La croissance américaine n'est pas celle que l'on croit

Par Ivan Best  |   |  602  mots
L'administration Obama ne mène pas aujourd'hui une politique très rigoureuse, mais le buget serait resserré en 2013. Reuters
Les différences de politique économique n'expliquent pas l'écart de croissance entre la zone euro et les Etats-Unis, estime l'économiste Patrick Artus. Seules les créations d'emplois sont à l'origine du différentiel favorable à l'Amérique. Une dégradation de cet indicateur aurait donc de lourdes conséquences

Les chiffres de l'emploi ont déçu aux Etats-Unis, en mars. Seuls 120.000 postes ont été créés, contre une moyenne de près de 240.000 les mois précédents. C'est évidemment préocuppant pour l'économie américaine. Mais peut-être encore plus qu'on peut le penser, si cette tendance se confirmait. Car l'emploi est le véritable soutien de la croissance américaine, comme le suggère l'économiste Patrick Artus, dans une étude qu'il vient de publier.

Le directeur des études économiques de Natixis rappelle l'écart de croissance existant entre les deux zones. Depuis 2009, il est massif. La croissance américaine devrait encore dépasser sensiblement les 2 % cette année, contre une récession, ou tout au plus une stagnation pour la zone euro. On peut a priori penser que ce différentiel s'explique par des politiques économiques opposées : favorables à l'activité aux Etats-Unis, restrictives en Europe, avec la série de plans de rigueur mis en oeuvre. Le directeur des études économiques de Natixis conteste cette thèse.

Sur la période 2010-2013, affirme-t-il, "les orientations des deux politiques budgétaires sont similaires". Certes, en 2011 comme en 2012, il apparaît clairement que la politique budgétaire est plus resctrictive en Europe qu'aux Etats-Unis. Partout, au sein de la zone euro (Espagne, Italie... et même France, à coup de hausses d'impôts), des plans de rigueur sont actuellement mis en oeuvre. Mais le budget américain a été "resserré" en 2010. Et il le sera à nouveau en 2013. De sorte que, sur ces deux années (2010 et 2013), la politique conduite par l'administration américaine sera plus rigoureuse que celle menée dans la zone euro. Du coup, sur l'ensemble de la période, les politiques sont comparables.

La Fed plus "coulante"

S'agissant de la politique monétaire, la Fed se montre plus "coulante" que la BCE, achetant massivement des titres publics. Si la BCE achetait ainsi, directement, des obligations espagnoles ou italiennes, sans doute les taux d'intérêt à long terme seraient-ils, globalement, plus faibles dans la zone euro. Mais est-ce déterminant ? Il apparaît que, dans les pays où tous les taux d'intérêt sont très bas (Etats-Unis, Royaume Uni, Allemagne, France), le crédit ne repart absolument pas. Le niveau des taux ne jouerait donc pas outre mesure, dans la période actuelle.

Pas de baisse de l'épargne

Comment expliquer alors la croissance de la consommation Outre-Atlantique, au rythme de 2 % l'an, contre une tendance approchant le zéro en Europe ? Par une baisse du taux d'épargne des américains ? Ce n'est pas le cas. Par une hausse des salaires ? Non plus. En termes de pouvoir d'achat réel, l'ouvrier américain ne gagne pas plus aujourd'hui qu'il y a a 40 ans. Une étude du spécialiste des inégalités, Emmanuel Saez, montre qu'en sortie de crise, depuis 2009, la hausse des salaires est allée à hauteur de 93 % dans la poche de la minorité des 1 % les plus riches.

La consommation américaine, et donc de la reprise - à travers des ventes de voitures neuves en en plein boom, notamment -, est aujourd'hui financée uniquement par la hausse de l'emploi. Les entreprises américaines redeviennent compétitives, investissent et créent des emplois, ce qui alimente la consommation, et donc la production. Et, par là même l'emploi... Il y a là un cercle vertueux que de mauvaises statistiques sur un mois ne peuvent remettre en cause. Mais si la tendance perdurait, la politique économique de la future administration américaine, qu'elle soit conduite par Barack Obama ou Mitt Romney devrait s'adapter à cette nouvelle donne.