Draghi veut agir vite, la chute de l'euro s'accélère

Par latribune.fr  |   |  1253  mots
Mario Draghi, président de la Banque Centrale européenne, veut accélérer la lutte contre la déflation (Crédits : Reuters)
L'euro, qui valait 1,25 dollar le 16 décembre, est tombé momentanément sous 1,20 dollar vendredi 2 janvier, au plus bas depuis juin 2010. Les déclarations de Mario Draghi, qui veut accélérer le pas, donnant à penser qu'il renforcera son action contre la déflation ("Quantitative Easing") dès le 22 janvier, expliquent ce mouvement

L'euro poursuivait sa chute face au dollar vendredi, lesté par les commentaires du président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi sur la préparation de mesures en réponse au risque de déflation en Europe.

L'euro est tombé ce vendredi jusqu'à 1,197 dollar, alors qu'il valait encore 1,25 dollars le 16 décembre. A moins de 1,20 dollar, il est au plus bas depuis juin 2010. Cette accélération tient pour l'essentiel au lancement probable le 22 janvier d'une politique monétaire plus accomodante, destinée à éviter la plongée de l'Europe dans la déflation.

Draghi envisage de nouvelles mesures

Dans son interview au quotidien économique allemand Handelsblatt vendredi, Mario Draghi a signalé que la BCE se préparait "techniquement pour modifier début 2015 l'ampleur, le rythme et le caractère des moyens à mettre en place s'il devenait nécessaire de réagir à une trop longue période d'inflation trop faible".

L'inflation en zone euro pointait à 0,3% en novembre et pourrait passer en territoire négatif, notamment avec la chute des cours du pétrole.

"Les commentaires de Mario Draghi (...) indiquent que la BCE se prépare à agir à sa réunion de janvier, car il a souligné que le risque de voir la banque centrale ne pas parvenir à remplir son mandat était plus grand qu'il y a six mois", note Howard Archer, analyste chez IHS.

Un assouplissement quantitatif bientôt annoncé

Lee Harman, analyste chez FX Daily, pense lui aussi qu'un programme d'assouplissement quantitatif pourrait être annoncé à la prochaine réunion du 22 janvier. Un tel programme revient à injecter des liquidités dans le système financier de la zone euro pour stimuler l'activité économique. Mais cela tend également à diluer la valeur de la monnaie unique, la rendant moins attrayante pour les investisseurs. D'où la baisse de la devise européenne. Cette chute de l'euro n'est pas pour déplaire à Mario Draghi: elle est gage de soutien à la croissance, via des exportations en hausse, grâce à une meilleure compétitivité, et d'inflation importée: les prix des biens achetés hors zone euro vont mécaniquement augmenter, ce qui va contribuer à éviter la déflation.

Concrètement, la BCE pourrait procéder à des achats massifs d' obligations de pays de la zone euro en difficulté financière, en créant des euros. Ces titres sont considérés comme des actifs risqués.

L'approbation d'Angela Merkel?

C'est en raison de ce risque que subsiste une incertitude sur l'attitude du gouvernement allemand, face à cette plus que probable inflexion de la politique de la BCE. Un gouvernement qui a toujours accepté avec beaucoup de réticence les évolutions dans la politique monétaire menée au sein de la zone euro.

La chancelière Angela Merkel validera-t-elle l'initiative du président de la BCE, Mario Draghi, comme elle l'avait fait en août 2012 ? Après avoir tergiversé pendant des mois, elle avait alors apporté un soutien très remarqué à Mario Draghi qui avait promis, quelques semaines auparavant, de prendre toutes les mesures nécessaires, quoi qu'il en coûte pour préserver l'euro.

L'appui d'Angela Merkel avait été déterminant pour convaincre les marchés que Mario Draghi avait le soutien politique nécessaire pour passer de la promesse à l'action et pour que les paroles du président de la BCE puissent faire leur effet.

Un soutien de Berlin toujours aussi nécessaire

Aujourd'hui, deux ans et demi plus tard, un nouveau soutien de Berlin est tout aussi nécessaire. Sans lui, l'assouplissement quantitatif (QE) - c'est le nom du programme d'achat de dettes avec de l'argent frais - risque d'être inefficace.

En outre, une divergence de vues entre l'Allemagne et la BCE, les deux piliers de la zone euro, serait dévastateur pour la crédibilité de la zone euro.


Lignes rouges

"La position de l'Allemagne sur le programme QE est sans doute la question la plus importante pour la BCE en ce moment", estime Marcel Fratzscher, qui dirige l'institut économique DIW à Berlin et qui a travaillé auparavant à la banque centrale de la zone euro. "Le soutien de Merkel, et de (Wolfgang) Schäuble (le ministre des Finances allemand) sera absolument vital."

A Berlin, on craint que le QE, qui pourrait donc être lancé lors de la prochaine réunion de gouverneurs de la BCE le 22 janvier, n'incite les pays du sud de la zone euro à lever le pied en matière de réformes. Certains estiment qu'injecter de l'argent frais dans le système sèmerait les graines d'une future crise.

Le risque d'une réaction allemande négative


"Si la BCE ne fait pas attention à la manière dont elle fait le QE, la réaction en Allemagne sera féroce", dit un responsable allemand sous le sceau de l'anonymat. "Si vraiment le QE est mis en place, ce qui semble être bien parti, il faut qu'il se passe de façon à ce qu'il ne soit pas torpillé par les politiques allemands. Draghi a besoin de savoir quelles sont les lignes rouges."

Le débat sur le plan politique risque d'être compliqué par la montée en puissance d'Alternative pour l'Allemagne (AfD), formation eurosceptique qui n'existait pas en 2012.
 Ce parti, créé en 2013, a obtenu des élus dans trois parlements régionaux en Allemagne et sept députés au Parlement européen. Une crise est ouverte au sein du parti à propos de sa stratégie et de son leadership.

En outre, l'incertitude à propos des élections législatives anticipées du 25 janvier en Grèce, qui pourraient porter au pouvoir le parti de gauche Syriza, qui entend renégocier les conditions de l'aide financière internationale accordée à Athènes, trouble un peu plus l'horizon.

Risque juridique?

Autre épée de Damoclès, le QE risque d'être refusé par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe. En février 2014, celle-ci avait estimé que le programme d'achat d'obligations OMT dévoilé par Mario Draghi dans les mois ayant suivi sa promesse de "tout faire" de l'été 2012, bien que jamais utilisé, était contraire à une disposition sur le financement des Etats.

Le dossier avait alors été transmis à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à Strasbourg qui doit se faire communiquer un premier avis sur la question le 14 janvier. Sa décision définitive est attendue pour la mi-2015.

"Il y a un consensus dans le marché selon lequel la CJUE ne trouvera rien à redire au programme d'achat d'obligations, mais il y a un risque", résume Elga Bartsch, économiste Europe chez Morgan Stanley. "Berlin s'inquiète des conséquences de la décision de la CJUE pour la Cour constitutionnelle allemande. La BCE le prend aussi très au sérieux. Sinon, elle aurait déjà bougé en décembre."

Les banques centrales nationales pourraient se retrouver en première ligne


Si la BCE joue la prudence avant la décision finale, il y a des chances que, dans le QE, les risques liés aux obligations achetées soient à la charge des banques centrales nationales. Cette idée a été suggérée le mois dernier par le président de la Bundesbank, Jens Weidmann. "C'est une solution qui pourrait marcher pour l'Allemagne", estime le responsable allemand ayant requis l'anonymat.

Dans ce cas de figure, Angela Merkel pourrait se sentir plus à l'aise pour donner son quitus au QE. Sauf qu'en limitant la portée du programme, cela risque de décevoir les marchés et de ne pas être suffisant pour faire redémarrer la machine économique de la zone euro.