Pour Joseph Stiglitz, l'Europe n'est pas encore sortie de l'auberge espagnole

Par latribune.fr (Avec Reuters)  |   |  771  mots
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Selon le célèbre prix Nobel d'économie, le plan de sauvetage des banques espagnoles ne permettra pas à l'Espagne de sortir durablement de la crise de la dette car l'Etat et les banques vont s'installer dans un cercle vicieux sans fin où chacun finance les déficits de l'autre. Il critique la volonté de l'Allemagne d'imposer la rigueur en Europe et insiste sur la nécessité de mettre en place une union bancaire afin de sortir de cette spirale négative.

Si les marchés européens semblaient applaudir ce lundi matin l'annonce d'un plan de sauvetage des banques espagnoles par l'Europe, Joseph Stiglitz se veut lui plus pessimiste. Selon le prix Nobel d'économie 2001, la solution trouvée ne va pas permettre à l'Espagne de sortir durablement de la crise de la dette car l'Etat et les banques vont s'installer dans un cercle vicieux sans fin où chacun finance les déficits de l'autre. "Le système fait que le gouvernement espagnol renfloue les banques et que les banques renflouent le gouvernement", souligne l'économiste américain dans une interview accordée à l'agence Reuters.

 "Economie vaudoue"

Les ministres des Finances de la zone euro ont convenu samedi de prêter jusqu'à 100 milliards d'euros à l'Espagne afin de lui permettre de renflouer ses banques en difficulté. Madrid doit maintenant préciser le montant de ses besoins et attend pour cela les résultats d'audits indépendants en cours sur son système bancaire. Les premières conclusions de ces enquêtes sont attendues pour le 21 juin. Dans l'hypothèse où l'Espagne devait solliciter la totalité de la somme, son ratio dette-PIB s'accroîtrait de 10% alors qu'il devait déjà atteindre 80% fin 2012 et qu'il n'était encore que de 68,5% fin 2011.

Cet alourdissement soudain de la dette publique rendrait d'autant plus problématique et coûteux pour le gouvernement espagnol d'émettre des obligations souveraines sur les marchés internationaux. Or, les banques espagnoles ont représenté l'année dernière les principaux acheteurs de la dette du pays, selon un rapport de la banque centrale espagnole. Le risque est donc grand de voir le gouvernement se résigner à solliciter l'aide des établissements qu'il est en train d'essayer de sauver. Pour Joseph Stiglitz, ce système qui semble marcher sur la tête "c'est de l'économie vaudoue", ajoutant qu'il n'y a "aucune chance, quand une économie entre ainsi en récession, qu'elle puisse mener une politique de relance de la croissance sans une forme de système européen". L'Union européenne aurait intérêt à accélérer son projet d'union bancaire, poursuit l'ancien conseiller du président américain Bill Clinton précisant que ce serait le seul moyen de sortir du cercle vicieux de la dette, de renforcer la monnaie unique et au final, de rendre service à l'Allemagne qui, en tant que pays le plus riche de la zone euro, aura à assumer le coût le plus lourd pour mutualiser la dette et soutenir les dépenses publiques.

L'Allemagne a tout faux

Car pour Joseph Stiglitz, la racine des maux européens se situe en Allemagne. Et plus précisément dans la potion de rigueur que Berlin semble vouloir faire avaler à l'ensemble du continent. "L'Allemagne ne cesse de répéter que le renforcement de la rigueur budgétaire est la solution, mais ce diagnostic est totalement erroné", juge l'économiste américain. Critique de longue date des mesures d'austérité imposées par le Fonds monétaire international (FMI) aux pays en voie de développement en contrepartie de plans de soutien, l'auteur de "La Grande Désillusion" estime que l'Union européenne a jusqu'à présent fait fausse route dans son approche de la crise de la dette, l'austérité n'ayant mené qu'à un ralentissement de la croissance et donc à une aggravation de la dette. "Ca ne sert à rien de mettre en place un pare-feu si on jette en même temps de l'huile sur le feu. Il faut s'attaquer aux racines du problème et pour ce faire, il faut promouvoir la croissance", argumente-t-il.

Berlin pourrait proposer lors du prochain sommet de l'UE, fin juin, une feuille de route vers une union budgétaire, mais la chancelière Angela Merkel s'oppose à l'émission d'obligations communes tant que les autres pays n'auront pas réduit leur dette et leur déficit budgétaire grâce à des politiques d'austérité. Or, la situation des pays les plus fragiles ne cesse de se détériorer et les élections législatives dimanche prochain en Grèce pourraient déboucher sur une sortie d'Athènes de la zone euro, au risque de faire exploser la monnaie unique. Le plan de sauvetage de l'Espagne n'aurait alors représenté qu'un bref et illusoire répit pour l'UE. "L'Allemagne va devoir se poser la question: est-ce qu'elle veut payer le prix d'une implosion de l'euro, ou payer le prix d'un sauvetage de l'euro?", estime Joseph Stiglitz. "Je croix que le prix à payer si l'euro s'effondre est bien plus élevé et j'espère qu'ils (les Allemands) vont en prendre conscience, mais ce n'est pas sûr."