La vraie nature du pacte budgétaire européen

Par Romaric Godin  |   |  933  mots
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Le pacte budgétaire européen est un volet seulement de la nouvelle architecture économique européenne. Une architecture qui vise à faire de la zone euro une "zone de stabilité" à l'allemande.

Quelques jours après le feu vert de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, les parlementaires français vont approuver à leur tour le pacte budgétaire. Ce pacte a un fondement qui détermine sa fonction. Son fondement, c?est la création d?une cohérence économique au sein de la zone euro. Quelle cohérence ? L?application à l?ensemble des 17 pays qui forment l?Union économique et monétaire (UEM) du même modèle économique : celui de la compétitivité externe. Il faut le reconnaître franchement : c?est l?application à la zone euro du modèle allemand.

La fonction du pacte budgétaire

Le pacte budgétaire a une fonction à moyen et long terme : il doit empêcher que les Etats ne soient tentés de soutenir à partir de 2018 leur croissance par de la consommation « achetée à crédit » par du déficit budgétaire. Ceci est pour le préventif. Il y a aussi le curatif : c?est la fonction du MES, adopté par la France sous la précédente législation. Loin d?être un simple mécanisme de solidarité, comme le dise trop souvent ses partisans, le MES est un mécanisme d?ajustement macro-économique. Les conditions d?éligibilité au mécanisme ne sont pas seulement des garanties pour les créanciers, ce sont des mesures visant à corriger le modèle économique des pays concernés et à les réorienter vers une croissance fondée sur la compétitivité extérieure.

La fonction du MES

Le MES et le pacte budgétaire ont donc une logique commune. Angela Merkel, qui a largement inspiré ces deux textes, a donc eu raison de les soumettre ensemble à la ratification parlementaire. Au reste, à partir du 1er mars prochain, seuls les pays ayant adopté le pacte budgétaire pourront déposer des demandes d?aides au MES. A ceci vient s?ajouter le mécanisme mis en place par la BCE qui calme le feu sur les marchés en appui du MES et qui pose comme condition sine qua non l?acceptation des « ajustements macro-économiques » prévues explicitement par le traité du MES, dans son article 12, paragraphe 1.

« Dévaluations internes »

Ces ajustements visent à mener des politiques de « dévaluations internes » permettant aux pays ayant développé jusqu?ici un modèle basé sur la consommation de migrer vers un modèle basé sur la dynamique des exportations. Ceci signifie, outre la réduction du déficit budgétaire (qui n?est en fait que secondaire dans ce cas), par un recul des salaires et des prix, autrement dit par un recul des bénéfices des entreprises. Recul temporaire dans l?esprit des rédacteurs des traités qui estiment que les gains de compétitivité permettront de rattraper le temps perdu. En réalité, l?argent du MES et de la BCE n?est là que pour empêcher que ces ajustements ne soient si violents qu?ils emportent les économies « stables » comme celle de l?Allemagne.

« Zone de stabilité »

L?idée est donc de faire de la zone euro une zone de « stabilité », ce qui en bon allemand signifie : une zone où la consommation est comprimée, ce qui assure une inflation faible et la croissance assurée par les exportations. Sauf que le pari est risqué : ces ajustements détruisent la seule source de croissance disponibles des économies comme la Grèce, le Portugal ou l?Espagne. Des économies où le secteur industriel n?est pas suffisamment développé pour profiter de l?amélioration de la compétitivité.

Bien au contraire, l?effondrement de la demande intérieur détruit souvent l?outil existant. Pour que le basculement rêvé par les rédacteurs du traité s?opère, il faudrait investir dans l?outil industriel des pays concernés. Et comme les investisseurs étrangers hésitent à investir dans des zones de fortes récessions, seule la puissance publique pourrait le faire. Ce qui est impossible, consolidation budgétaire oblige. La logique « d?ajustement » se transforme alors en mouvement déflationniste : cercle vicieux où se mêlent chute des bénéfices des entreprises et des prix, hausse du chômage et course perdue d?avance à la réduction des déficits.La plus grande faiblesse de cette architecture, c'est qu'elle ne prend pas en compte la diversité des situations dans les pays de la zone euro.

Logique démocratique ?

Le MES et le pacte budgétaire ont donc une logique basée sur la pensée ordolibérale allemande. Ce courant de pensée, né dans les années 1930 à Fribourg-en-Brisgau et qui a permis le « miracle économique allemand » des années 1950 (mais avec l?appui généreux du plan Marshall), a un autre fondement qui confirme cette analyse : la politique économique ne doit pas dépendre des « passions populaires ». D?où les règles immuables comme la règle d?or et les instances « indépendantes » comme le futur Haut Conseil des Finances Publiques en France.

Autant de façon d?ôter le contrôle démocratique sur les budgets nationaux. Pour la bonne cause, évidemment. Mais il est piquant de remarquer que c?est la cour de Karlsruhe qui, mercredi dernier, a posé une limite au système en réclamant que le Bundestag donne son avis sur toute augmentation de capital du MES (qui en théorie peut se faire sur simple demande du conseil d?administration). Il est vrai que l?on doit tout prévoir, même l?échec de la stratégie ordolibérale en Europe?