Cantonales : les cartes pour comprendre le vote Front National

Par latribune.fr  |   |  1084  mots
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Le parti de Marine Le Pen, présent dans plus de 400 cantons, est en situation de remporter plusieurs sièges dimanche lors du deuxième tour des élections cantonales. Surfant sur une vague de colère, le FN tente de séduire les victimes de la mondialisation.

Avant le 20 mars 2011, le Front national ne comptait aucun conseiller général. Lundi, le parti de Marine Le Pen, arrivé en tête dans 39 cantons, pourrait voir plusieurs de ses candidats siéger dans les conseils généraux. Avec la très forte abstention (55,6 %), la nette progression du FN (15,6 % des voix au premier tour) est le principal enseignement de ce premier tour.

Si le parti frontiste s'est renforcé dans ses bastions traditionnels - schématiquement : le nord et le sud de la France - il signe également quelques percées dans des territoires situés le long du littoral atlantique jusqu'ici pourtant peu accueillants à ses idées.

Quels sont les ressorts de cette vague « bleu Marine » ? Le Front national prospère auprès des Français qui peinent à boucler les fins de mois : les catégories populaires restent le segment fort du vote Le Pen selon des études de l'Ifop. La récession a accru le sentiment d'abandon de ces Français pour qui la mondialisation n'a rien d'heureux. Pauvreté, chômage, entreprises qui délocalisent, minima sociaux sont leur quotidien. Et ce sentiment de déclassement économique et social, les catégories populaires ne sont plus les seules à le vivre, ce qui explique l'influence grandissante du Front national. Selon une enquête Ifop-Fondation pour l'innovation politique : 65 % des Français interrogés estiment que leurs enfants vivront moins bien qu'eux dans la société de demain. Ce taux grimpe à 74 % parmi ceux se définissant comme appartenant à la classe moyenne intermédiaire.

Ayant perçu cette demande de protection et ce malaise, le Front national a mis plus de social dans son discours que par le passé. Et Marine Le Pen entend bien engranger les fruits de ce virage.

Par Anne Eveno

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Alain Mergier*, sociologue et dirigeant de l'Institut WEI

La percée du FN au premier tour des cantonales met-elle en relief la France des classes populaires ?

Ce vote donne à voir qu'une partie de la population - les classes populaires - se considère exclue du champ et du discours politique classique. En 2007, elles avaient été l'objet d'un discours de la part de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, qui étaient d'une certaine manière sur le même registre. Elles ont voté pour eux et on a assisté, provisoirement, à une disparition du FN. Mais ensuite les ouvriers, les employés et ce qu'on appelle le « nouveau prolétariat des services » ont été déçus. Ils ont vécu la situation comme une trahison, qui dépasse le camp de la majorité et ne profite pas à la gauche.

Le vote FN n'est-il qu'un vote de contestation ?

Pas à 100 % car il y a une partie du vote qui est positif vis-à-vis de Marine Le Pen. Son discours correspond au quotidien des classes populaires. Elle parle d'insécurité, un thème qui va au-delà des problèmes de violences. Il renvoie à la question de la mondialisation, avec ses flux migratoires, ses délocalisations qui créent du chômage, etc. Les gens se sentent vulnérables à tous les niveaux : le travail, le pouvoir d'achat, la sécurité, etc.

La situation a-t-elle évolué par rapport à 2006 ?

Elle est différente, essentiellement à cause de la crise, qui a mis en évidence des différences entre la France oligarchique et le monde des classes populaires. La distinction entre les deux s'est accentuée de manière outrancière, obscène. Elle a réellement pris forme en 2010 quand les Français se sont rendu compte que les salaires des grands patrons et les résultats des entreprises étaient repartis à la hausse, alors qu'eux s'enfonçaient. Les scandales mêlant les politiques et le monde économique et le fait que l'exécutif ait partie liée avec cette oligarchie ont renforcé les classes populaires dans leur sentiment que celui pour qui elles ont, en partie, voté était « dans l'autre camp ». Avec la hausse des prix, la situation s'est durcie et le sentiment d'injustice s'est accru. Les classes populaires sont touchées au portefeuille et n'ont plus de marge de manoeuvre. Pour elles, la crise c'est maintenant.

(*) Auteur avec Philippe Guibert en 2006 de l'ouvrage « le Descenseur social », chez Plon.

Propos recueillis par Isabelle Moreau

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Marine Le Pen veut défendre les petits contre les gros

Sur le thème de la lutte contre les injustices sociales, le Front national veut réhabiliter les services publics et l'État.

Inutile de chercher les propositions économiques et budgétaires du Front national : « Cette partie du programme du FN est en cours de réactualisation. Merci de revenir dans quelques jours », indique le site Internet de la formation de Marine Le Pen. Depuis que celle-ci a pris la tête de l'appareil, en janvier dernier, le discours économique du FN a sensiblement changé. Autant Jean-Marie Le Pen puisait son inspiration dans les idées libérales, susceptibles de satisfaire un électorat en partie composé de travailleurs indépendants et de commerçants, autant sa fille, tirant électoralement les leçons de la crise, réhabilite le rôle de l'État - cité 50 fois dans son discours d'investiture du 17 janvier -, encense les services publics et fait vibrer la corde sociale de son électorat. « C'est le retour d'une grande constante dans cette famille politique d'extrême droite, le thème de la lutte des petits contre les gros », analyse Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Iris. Dans la ligne de mire de la chef de file du Front national : la mondialisation, mère de tous les maux de la société française.

Remèdes miracles

« Faut-il faire semblant de ne pas voir qu'apparaissent dans notre pays, comme du temps de Zola, ceux que l'on appelle les "travailleurs pauvres", c'est-à-dire les travailleurs honnêtes et courageux que des salaires de misère acculent par exemple à coucher dans leur voiture ? » tonne Marine Le Pen, lors d'un meeting le 11 mars dernier, à Bompas, dans les Pyrénées-Orientales. Et de décliner dans la foulée une série de remèdes miracles pour panser les plaies d'une population meurtrie par la crise : sortie de l'euro (« pour rendre du pouvoir d'achat aux Français ») ; défense des services publics ; préservation des acquis sociaux (avec « la priorité pour les Français ») ; baisse immédiate de la TIPP compensée par « une surtaxation des profits des grandes compagnies pétrolières et gazières ».... Un mélange de bric et de broc, qui doit encore faire l'objet d'un programme, avant la présidentielle de 2012.

Éric Chol