L'Algérie ébauche ses réformes et se rapproche de la France

Par Alfred Mignot  |   |  1443  mots
Laurent Fabius en compagnie du Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, et de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, la 10 novembre, à l'occasion de l'inauguration de l'usine Renault d'Oran.
Confrontée une fois de plus aux fluctuations incontrôlables du cours du pétrole, l'Algérie prend conscience que son économie rentière ne peut perdurer encore très longtemps. Au-delà des aléas politiques du moment, elle s'engage dans un processus de réformes et de renouveau dans sa relation avec la France.

Certes, lorsqu'à la mi-novembre le président Abdelaziz Bouteflika a disparu pour se rendre incognito dans une clinique grenobloise, les spéculations sur sa succession se sont emballées. Apparemment, ce déplacement ne relevait d'aucune urgence, le président algérien se rendant à la clinique Alembert en consultation « de routine » auprès du professeur qui l'avait pris en charge au Val-de-Grâce il y a sept mois, lorsqu'il y fut hospitalisé pour un AVC - professeur qui exerce depuis à Grenoble.

Le déplacement n'a duré que deux jours, mais le mutisme absolu des autorités algériennes a suffi à emballer la machine médiatique et à attiser la colère des opposants, certains partis exigeant l'application de l'article 88 de la Constitution, qui autorise la destitution pour raisons de santé. Cette perspective de l'éventuelle ouverture à court terme de la succession occupe bien sûr les esprits. Cependant, les personnalités et les journalistes avec lesquels nous avons pu échanger lors du déplacement d'une délégation de La Tribune à Oran - à l'occasion de l'inauguration de l'usine Renault, le 10 novembre - considèrent que « les institutions de l'Algérie sont solides, nous pourrons surmonter cette épreuve ».

Non, ce qui (pré)occupe l'Algérie depuis plusieurs mois, c'est la question de la modernisation de son économie encore presque totalement administrée par l'État. Et d'autant plus que depuis l'été, le prix du brut a chuté de 25 % pour se maintenir au-dessous de 80 dollars le baril (à 76,18 $ le 21 novembre), alors que l'Algérie a besoin d'un baril à 120-125 dollars pour boucler son budget 2014-2015, selon le professeur Abderrahmane Mebtoul.

La quête d'un nouveau modèle économique

Ainsi, la fameuse règle 51-49, en vigueur depuis juillet 2009, et qui stipule qu'un investisseur étranger ne peut détenir plus de 49 % des actions d'une entreprise algérienne, serait-elle en passe d'être considérablement aménagée, sinon abandonnée - sauf pour les secteurs considérés stratégiques -, à l'occasion de l'adoption d'un nouveau code des investissements, en cours d'élaboration. Fortement critiquée par des économistes indépendants, ainsi que par le président sortant du Forum des chefs d'entreprises (privées), Réda Hamiani - il devait être remplacé le 27 novembre par le géant du BTP Ali Haddad, unique candidat à la succession -, cette règle s'est avérée nocive pour les investissements directs étrangers, qu'elle a fait chuter, ce que personne ne conteste plus sérieusement. D'ailleurs, dès juin dernier, le Premier ministre Abdelmalek Sellal, évoquant les négociations d'adhésion à l'OMC - qui devraient aboutir en 2015 -, reconnaissait que cette dernière demandait à l'Algérie de « revenir sur la règle 51-49 (...) C'est possible... », avait-il commenté.

Une deuxième question d'importance en discussion est celle du rétablissement du crédit à la consommation, dont les ménages algériens sont privés depuis des années, et qui pourrait s'opérer en 2015. Une nouveauté d'envergure, même si ce crédit sera limité aux biens produits en Algérie - une prudence presque compréhensible, car actuellement les entreprises et les ménages algériens importent déjà 75 % de leurs besoins.

Mais, jusqu'au début novembre, le débat relatif à la capacité des entreprises algériennes à investir à l'étranger était peut-être le plus vif. Ces investissements étaient alors impossibles, la loi algérienne interdisant de sortir des devises du pays. Seuls les exportateurs et la Sonatrach - l'entreprise nationale d'hydrocarbures - étaient autorisés à le faire, la loi prévoyant que tout exportateur algérien a le droit d'utiliser librement 20 % de ses bénéfices, y compris pour investir à l'étranger. C'est ainsi qu'Issad Rebrab, l'emblématique patron algérien du groupe Cévital (3 Mds € de CA, 13 000 employés), a pu racheter et sauver l'entreprise française Fagor Brandt, en perdition, en avril dernier. Mais, jusqu'ici, les entreprises non exportatrices n'avaient aucune possibilité d'investir hors d'Algérie.

le 12  novembre, début du changement

Après bien des tergiversations et déclarations contradictoires, un grand changement est intervenu le 12 novembre : via une modification du règlement de la Banque d'Algérie, 
publié au Journal officiel, le gouvernement permet désormais à des opérateurs privés d'investir à l'étranger pour acquérir des entreprises ou ouvrir des bureaux de représentation. Cependant, cette liberté nouvelle est assortie de plusieurs restrictions : les transferts de capitaux doivent servir au « financement d'activités à l'étranger complémentaires à leurs activités de production de biens et de services en Algérie » ; l'investissement dans la société étrangère doit être supérieur à 10 % du capital de celle-ci ; une autorisation préalable de la Banque d'Algérie est nécessaire et... garde-fou positif, cette fois, l'investissement dans les paradis fiscaux est interdit.

Pour le professeur Abderrhamane Mebtoul, économiste et conseiller indépendant du gouvernement, « c'est une bonne décision, mais ce n'est qu'une étape, ce n'est pas suffisant à l'heure de la mondialisation. Certes, le nouveau dispositif garantit la transparence des mouvements de fonds, les opérateurs disposeront de l'appui de la Banque d'Algérie, mais cela ne concerne que peu d'entreprises. Excepté Sonatrach, 98 % des entreprises publiques ne sont pas concernées, car elles n'ont pas les moyens d'investir. Et 97 % de nos entreprises privées sont des PME-TPE. Peu initiées au management stratégique, elles ont souvent un résultat brut d'exploitation négatif et sont endettées vis-à-vis des banques. L'assouplissement de cette procédure est nécessaire. D'autre part, je pense qu'il serait pertinent de créer un fonds souverain, comme je l'ai proposé aux pouvoirs publics. Il serait alimenté par 15 à 20 % des réserves de change qui, avec les réserves d'or, s'élèvent actuellement à quelque 200 milliards de dollars, l'Algérie connaissant un endettement extérieur très faible, du fait du remboursement anticipé de sa dette. »

Avec la France, le temps des retrouvailles

Outre l'intense débat sur les réformes, un autre marqueur significatif de l'état d'esprit des décideurs algériens est sans conteste le sentiment, très largement partagé, de l'intérêt d'un rapprochement avec la France.

L'inauguration de l'usine Renault d'Oran, le 10 novembre, concrétise une avancée significative en ce sens. Cette usine - 350 emplois directs pour une production de 25 000 véhicules par an, puis 75 000, essentiellement destinés au marché africain -, les Algériens la voulaient depuis longtemps. Que le projet ait enfin abouti ne doit rien au hasard, c'est bien plutôt la conséquence d'un patient travail de dentellière accompli depuis des années. Tout d'abord par Jean-Pierre Raffarin, le « Monsieur Algérie » unanimement apprécié côté algérien - nommé en 2011, il vient de passer la main à Jean-Louis Bianco. Ensuite par François Hollande lui-même, dont le voyage officiel en Algérie, en décembre 2012, a convaincu les Algériens de la sincère volonté française de rapprochement. Enfin par Jean-Louis Levet, le haut fonctionnaire en charge de l'Algérie à la Dimed (Délégation interministérielle à la Méditerranée), lui aussi très apprécié, au point d'avoir décroché en octobre dernier le titre de personnalité franco-algérienne de l'année, décerné par l'association France-Algérie (créée dès 1962, à la demande de Charles de Gaulle, elle est actuellement présidée par Jean-Pierre Chevènement).

Le déplacement à Oran de deux poids lourds du gouvernement français, Laurent Fabius et Emmanuel Macron, s'inscrit dans le continuum de cette action volontariste de rapprochement, à laquelle les Algériens se montrent désormais de plus en plus sensibles. Ainsi, à Oran, lors de la conférence de presse suivant la réunion du Comefa (Comité mixte économique franco-algérien), les ministres ont affirmé un engagement fort : « Nous voulons porter notre partenariat avec l'Algérie à un niveau d'exception », déclara Laurent Fabius. « Le rôle de la France est d'être au cœur de cette modernisation de l'Algérie »,releva Emmanuel Macron, qui fit aussi remarquer que son voyage à Oran était son premier déplacement hors d'Europe.

Et côté algérien ? Abdesselam Bouchouareb, ministre de l'Industrie et des Mines, et l'une des figures de proue des réformistes, réitéra sa satisfaction, déjà affichée à Paris dès le 18 octobre lors d'un colloque à l'Assemblée nationale : « Nous avons posé les bases d'une nouvelle vision [de partenariat] (...) Nos deux pays sont en mesure de constituer un binôme structurant pour remporter les défis du xxie siècle. » France-Algérie, un nouveau couple en gestation, côté sud  ?

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Cet article a été publié pour la première fois dans La Tribune hebdo n° 110, datée du vendredi 28 novembre 2014.

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