La BEI, bras financier de l'ambition climatique de l'UE

À la veille de la COP21, bien des incertitudes persistent, notamment sur la volonté des économies développées de financer les 100 milliards de dollars annuels destinés à la lutte climatique dans les pays pauvres. L'Europe, en revanche, affiche de grandes ambitions, que la Banque européenne d'investissement (BEI) met déjà en oeuvre.
La BEI s'engage à porter de 25% à 35% de ses activités la part de la finance climat et estime à plus de 50 milliards d'euros ses investissements en faveur du climat au cours des cinq prochaines années.

C'était le vendredi 18 septembre, et cette fois les Européens pouvaient se réjouir : les 28 États membres de l'UE, représentés par leurs ministres de l'Écologie, avaient réussi à s'accorder et publiaient un communiqué confirmant leur engagement à réduire, d'ici à 2030, « d'au moins 40 % » leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au niveau de 1990, et même « de 80 % à 95 % d'ici à 2050 ». Sur son compte Twitter @RoyalSegolene, la ministre de l'Écologie s'était franchement réjouie de l'événement :

« Accord adopté pour un mandat de négociation offensif de l'Union européenne ! L'Europe prouve qu'elle veut être une force d'entraînement ! » écrivait-elle le jour même.

Ce 18 septembre, l'Europe affiche en effet une position forte. Par exemple, l'article 9 du communiqué propose que l'accord que l'on espère à la COP21 de Paris soit « juridiquement contraignant au niveau international ». À l'article 15, il est stipulé que « l'accord de Paris doit prévoir un régime solide fondé sur des règles communes, y compris en ce qui concerne la transparence et l'obligation de rendre des comptes applicables à toutes les parties ».

Enfin, dans son article 14, le communiqué interministériel « réaffirme que l'UE et ses États membres se sont engagés, et restent engagés, à renforcer la mobilisation de fonds en faveur de la lutte contre le changement climatique [...] afin d'apporter leur contribution à l'objectif poursuivi par les pays développés, consistant à mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020 ».

Parallèlement à cette forte posture européenne, on assiste à un revirement de l'attitude de nombreux États. Tandis que les chances de réussite paraissaient faibles durant l'été - Ban Ki Moon, secrétaire général de l'ONU, avait alors fait connaître son inquiétude -, à la fin octobre, soit un mois avant l'ouverture de la conférence, 155 des 195 États attendus (plus l'UE) à la COP21 avaient remis leur « contribution », document par lequel ils s'engagent à réduire leurs émissions de GES. Parmi ces contributeurs, qui représentent ensemble 89,3% des émissions mondiales, on compte les deux plus gros pollueurs que sont la Chine (23,2 % du total) et les États-Unis (12,64 %) - l'Europe ne générant quant à elle « que » 9 % des émissions de GES.

Les engagements de l'UE largement dépassés

Mais, au-delà des engagements de réduction de GES pris par les États - contraignants ou déclaratifs -, restent encore à résoudre les modalités pratiques de mise en oeuvre de l'accord. Comme le souhaite la présidence française, l'accord devrait inclure les clauses de revue des objectifs à intervalles réguliers - tous les cinq ans, par exemple -, ainsi que les mécanismes de contrôle de réalisation des engagements pris par chacun. En effet, les réunions intergouvernementales tenues jusqu'ici n'ont fait qu'établir les principes de labellisation des dépenses, et proposer des critères de définition des différentes actions permettant d'identifier ce qui est une contribution à la sauvegarde du climat, et ce qui ne l'est pas.

La question des transferts annuels des pays riches vers les pays pauvres, à partir de 2020, sera aussi un enjeu décisif des négociations finales, et d'autant plus que les pays émergents ou pauvres demandent aux pays riches d'assurer des contributions effectives sous forme de dons et de flux financiers. Peut-être faudra-t-il donc attendre jusqu'au soir du 11 décembre, jour de clôture de la COP21, pour savoir si un accord financier aura pu être établi. Ce que l'on sait d'ores et déjà, en revanche, c'est que l'Europe n'aura pas démérité. En effet, l'engagement de l'Union européenne en faveur du climat est une réalité financière déjà concrètement à l'oeuvre, en application d'une volonté politique clairement exprimée - pour une fois - et effectivement traduite dans les faits, depuis 2009 !

D'une part, ainsi que cela a été souligné par le Conseil européen du 7 novembre sur le financement de la lutte contre le changement climatique, l'UE et ses États membres sont allés au-delà de leur engagement à fournir aux pays pauvres 7,2 milliards d'euros entre 2010 et 2012 : en fait, la contribution s'est élevée à hauteur de 9,6 milliards d'euros en 2013. D'autre part, la BEI, bras financier de l'Union, a fait de la finance climat l'une de ses priorités absolues et un critère transversal de tous les projets qu'elle finance, dans l'Union comme ailleurs. Ces cinq dernières années, elle a ainsi consacré plus de 90 milliards d'euros à l'objectif climat, dépassant son engagement d'affecter 25 % de ses financements à la prévention ou à l'adaptation au changement climatique. Dans les pays tiers bénéficiaires des politiques d'aide au développement de l'Union, la Banque a apporté 12,7 milliards d'euros de finance climat pendant la même période, soit près de 35 % de ses activités dans ces pays.

Des prêts à très fort effet catalyseur

Les prêts de la BEI vont à des projets structurants portés par des entités publiques, des opérateurs en PPP, ou des entreprises. Son engagement s'avère d'autant plus significatif que l'effet démultiplicateur de ses financements se révèle important : trois fois en moyenne pour des prêts, et beaucoup plus pour les participations dans des fonds d'investissement ou au capital d'entreprises.

À ce jour, par exemple, la BEI a engagé plus de 600 millions d'euros via 22 fonds d'infrastructures ayant trait au climat, dans un large éventail de secteurs : énergies renouvelables, efficacité énergétique, foresterie, biodiversité... et grâce à un effet de catalyseur constaté de 6,2 fois sa participation, le montant total des engagements de ces fonds s'élève en fait à près de 5 milliards d'euros.

Conformément aux directives de l'UE, la BEI s'est dotée d'une doctrine en matière de lutte climatique. À la suite d'une consultation publique officielle lancée en janvier 2015, elle a adopté le 22 septembre dernier le document « Stratégie de la BEI en matière d'action pour le climat ».

Ce dernier précise les différents axes de l'action qu'elle entend déployer : mise à disposition d'instruments financiers innovants visant à pallier les lacunes du marché, mais aussi conseil à la définition des projets, élaboration de normes ad hoc, critères et liste des secteurs éligibles (efficience énergétique, énergies renouvelables, transports, mobilités urbaines, villes intelligentes...), présence sur les marchés financiers en tant qu'émetteur d'« obligations vertes », etc.

Avec cette nouvelle stratégie, la BEI s'engage à porter de 25% à 35% de ses activités la part de la finance climat et estime à plus de 50 milliards d'euros ses investissements en faveur du climat au cours des cinq prochaines années ; mais, suivant la volonté des États membres, seulement 8 % à 10 % de ce total iront aux pays en développement.

100 milliards d'euros annuels en faveur des pays pauvres

Il peut être estimé qu'à l'extérieur de l'Union, les financements de la BEI ont contribué à catalyser la réalisation d'environ 40 milliards d'euros d'investissements dans les pays émergents ou en voie de développement, sur cinq ans. À Lima, en octobre dernier lors des conférences de la Banque mondiale et du FMI, toutes les institutions financières internationales de développement - les fameuses IFI, dont la Banque mondiale, la BEI, la Berd, la Banque africaine, etc. - ont renouvelé leurs engagements à augmenter leurs financements en faveur du climat dans les pays en développement. Mais comme ces institutions cofinancement très souvent les mêmes projets, l'effet multiplicateur de leurs interventions ne peut être simplement additionné. Pour atteindre les 100 milliards annuels, il faudra donc aussi inciter fortement le privé à investir dans les pays en développement.

De fait, certains experts considèrent que 100 milliards de dollars annuels ne suffiront pas à résoudre le problème. « C'est un objectif trop bas si ce montant doit venir à la fois de sources publiques et privées », estime notamment l'ONG Oxfam, qui a lancé une campagne pour un accord financièrement favorable aux pays les plus pauvres. Anticipant cette perspective, la BEI a annoncé, à la conférence de Lima, qu'elle entend faire passer de 25 % à 35 % la part de ses prêts à l'appui du climat dans les pays en développement.

Ainsi l'Europe se montre-t-elle globalement en ordre de marche au regard de l'ambition de la COP21. Reste à souhaiter que la « force d'entraînement » européenne, selon l'expression de Ségolène Royal, aura eu raison des ultimes réticences - après l'espoir suscité le 2 novembre par la déclaration franco-chinoise prévoyant un mécanisme de révision des engagements des pays tous les cinq ans, le ministre des Affaires étrangères américain John Kerry a beaucoup inquiété sur la position américaine en déclarant, dans les colonnes du Financial Times du 11 novembre, qu'à Paris il n'y aurait « pas d'accord juridiquement contraignant ».

Mais, quoi qu'il en soit au soir du 11 décembre, on peut d'ores et déjà considérer que l'Union européenne et son bras financier qu'est la BEI n'auront pas démérité. Tout comme la France, par son engagement diplomatique intense, ainsi que par le maintien de la tenue de la COP21, malgré la tragédie des attentats terroristes du 13 novembre.

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90 milliards d'euros, c'est ce que la BEI a consacré à l'objectif climat durant les cinq dernières années.

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