Qui sont ces Français jihadistes ?

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1427  mots
Qui sont ces jeunes français jihadistes? Un ouvrage récent donne un aperçu intéressant sur leur parcours. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan.

David Thomson dans « les Français jihadistes » (2014, Les Arènes) donne la parole à dix-huit jihadites français, âgés de 17 à 28 ans, qu'il a interviewés, au moyen de Skype, lorsqu'il s'agissait de jihadistes combattant en Syrie. Leurs propos ont été fidèlement retranscrits et tout ce qui est reproduit a l'accord des intéressés. Ils s'expriment avec leur sensibilité et leur langue. Il en résulte une indéniable authenticité, qui donne à l'ouvrage toute sa valeur, en dépit de redites dans les quatorze chapitres.

L'échantillon, qui ne prétend pas à la représentativité, témoigne de la diversité des histoires et des parcours. Neuf sont des convertis issus du christianisme. Le cas le plus surprenant est celui de Constance. Elle passe une enfance heureuse dans une propriété, à proximité des vaches et sans un musulman à l'horizon. S'interrogeant sur sa foi chrétienne, elle consulte Internet et découvre que sa vraie religion, celle d'un Dieu unique, c'est l'Islam. Elle se convertit à 18 ans.

Une pratique religieuse récente

Neuf sont des Français d'origine musulmane mais ne doivent pas leur « orthodoxie » religieuse à leurs parents. Leur pratique religieuse est récente et aucun n'a découvert l'islam jihadiste dans les mosquées françaises ou en prison. Le passage de la « conversion » à l'action jihadiste -le départ en Syrie- peut se faire en trois mois. Une moitié a un passif judiciaire de petite délinquance. La plupart ont le bac. Beaucoup avaient un travail et une famille aimante avant leur départ. Dix combattent en Syrie et, début 2014, aucun n'avait été tué au combat.
L'image traditionnelle du jeune beur frustré par l'échec scolaire, le racisme ambiant et le chômage est limitative. La réalité est beaucoup plus diverse et complexe, même si la quête d'identité est toujours présente.

Un dénominateur commun: Internet

A la vérité, le seul dénominateur commun est Internet et les réseaux sociaux. Leur importance est stupéfiante. Certains se convertissent à l'Islam en consultant Internet et en échangeant sur Facebook. Wilson raconte :
« On était en train de boire et de fumer du shit. Sur l'écran, j'ai vu une page que je ne comprenais pas. C'était le Coran. Mon copain me l'a donné. J'ai lu le Coran non-stop pendant trois jours. J'ai écrit des sourates sur un papier, puis une description de la prière que j'ai accrochée sur le mur et sur le sol. J'ai fait ma première prière tout seul chez moi. Et, depuis ce jour-là, j'ai arrêté de boire et de fumer... »
Internet est source de savoir. Yassine précise: « Avec Internet, on peut tout savoir. J'arrête pas de regarder des vidéos des cheiks de Syrie sur You tube. Parce que les vrais savants de l'Islam sont sur les champs de bataille. Pas ceux qui sont en Arabie Saoudite et qui pèsent deux tonnes. On utilise l'outil de l'Occident pour le détourner contre lui »
Facebook a dépoussiéré le jihad de Ben Laden et a donné naissance à un « lol jihad » plus tendance.

Des services français démunis face à la déferlante des sites

C'est une source de renseignements concrets (itinéraires) pour se préparer au départ, et d'échanges. On s'y fait de nouveaux amis, qui constituent une « communauté »
C'est aussi une source de trafics: de fausses recommandations d'émirs, nécessaires pour être acceptés en Syrie, sont vendues (750 euros).
Il existe des sites francophones (la plupart des apprentis jihadistes ne parlent pas l'arabe) qui enseignent un « Islam authentique » et incitent au jihad. Même si certains sites sont bloqués, ils réapparaissent, les services français apparaissent démunis : faiblesse des moyens, concurrence entre services, absence de logiciel espion.

 La Syrie, une place de choix

La Syrie occupe une place de choix dans le Coran et l'imaginaire musulman, ce qui explique pour une part l'attirance de l'apprenti jihadiste, beaucoup plus forte que pour un pays comme l'Afghanistan. Selon Yassine, le Prophète a parlé du Sham (Syrie et Irak) « Allez au Sham, terre bénie couverte par les Anges d'Allah... Je réunirai le meilleur de la création et le meilleur de ma communauté sur cette terre-là » Faire la hijra, c'est-à-dire émigrer dans une terre d'Islam, est une obligation mais la « vraie hijra », c'est sur une terre de jihad où la charia littérale sera appliquée, donc l'émirat islamique.

La Syrie est aussi un pays proche, facile d'accès. Souleymane y va dans sa voiture avec son épouse, après un mariage religieux en présence seulement de deux témoins, en passant par l'Allemagne, l'Italie, la Grèce et la Turquie. Yassine, toujours avec son épouse, prend l'avion - avec un billet aller et retour- pour une ville touristique du Sud de la Turquie, passe deux semaines à hôtel (piscine comprise) avant d'être pris en charge par un passeur. Le passage de la frontière turque ne semble présenter aucune difficulté.

La sortie de France, sans aucune difficulté

Il fut en temps où la Tunisie était une étape. L'apprenti jihadiste entrait en contact avec des mosquées intégristes et participait à des manifestations. Les autorités tunisiennes ont refoulé des jihadistes français. La sortie de France ne présente jusqu'ici guère de difficultés. Comment empêcher un jeune d'aller passer ses vacances en Tunisie ou en Turquie ?
La difficulté est plutôt financière. Il faut de l'argent pour payer le voyage, puis un loyer en Syrie et sa kalachnikov. Le « butin de guerre » c'est-à-dire le vol, ou des prêts fictifs à la consommation de Cofidis ou Sofinco, considérés comme halal, viennent compléter les économies.

La martyre qui débouche sur un paradis pour VIP

Certains jihadistes peuvent être comparés à nos croisés d'antan (il faudrait relire leurs textes) Pour Yassine : « La guerre en Syrie, c'est le grand signe du retour du califat. Le Mahdi (le dernier imam) émergera des légions jihadistes actuellement au combat. Sa mission sera l'instauration du califat au Sham, puis la conquête de Constantinople et la libération de Jérusalem...La bataille sera longue. Les Musulmans du Cham seront attaqués par 80 étendards...Ce sera l'affrontement final, l'affrontement entre le mensonge et la vérité, entre le nouvel ordre mondial et le califat, avant de conduire à la fin du monde » Cette démarche eschatologique ne manque pas de souffle. Tous disent que leur objectif c'est le martyre, qui débouche sur un paradis pour VIP et 72 vierges à disposition. Tous croient-ils, comme disent les textes, que la douleur du martyr sera extrêmement réduite, une piqure de moustique ?

Une formation militaire et relgieuse

En Syrie, le jihadiste prête allégeance à un émir, reçoit une formation militaire -un mois au minimum- et religieuse (tu ne peux pas combattre si tu ne connais pas la religion)
Les Français se sont divisés. Les intégrés dans une brigade du mouvement le plus extrémiste, l'EIIL ont considéré que les étrangers étaient traités comme de la chair à canon et ont quitté l'Armée islamique. De plus, leur méconnaissance de l'arabe était à l'origine de nombreux accidents.

Quel retour?

Et le retour ? Car sur une trentaine de combattants, certains reviendront. En 2013, l'on a compté 70 retours dont beaucoup sont passés inaperçus. Soit par lassitude, d'autant que certains sont vraiment « bien de chez nous » Soit pour trouver de l'argent en commettant quelques hold-up halal avant de repartir. Soit pour exécuter une mission armée.
Concernant les attentats sur le sol français, notamment contre les civils, les jihadistes sont divisés.

Souleymane est modéré : « Ce serait dur de dire que je déteste la France. Je peux pas détester quelqu'un parce qu'il n'a pas reçu le message » Mais Abu Naim rêve de suivre les traces de Mohammed Merah : « J'ai envie de tuer des kouffar (mécréants) en terre de kufr (mécréance) J'aimerais beaucoup que la France, elle soit tapée...Les kouffar, ils n'ont pas l'habitude de voir du sang. Les civils voient à la télé des gens en train de se faire tuer. Ils font rien, ils sont coupables » Alexandre, autrefois catholique, est encore plus radical : « Je hais la France...Moi je suis pour ce qu'il a fait Merah, quand tu vois ce qu'ils font. C'est qui les terroristes ? »
La question du retour est une question grave et durable.


Pierre-Yves Cossé
Septembre 2014