Retour sur « Une lecture du Coran »

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1256  mots
Beaucoup de Français sont manifestement dans une phase de recherche et de doute, s'agissant des religions. De nombreux lecteurs ont commenté le texte "une lecture du Coran". Retour sur ces commentaires. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Selon « La Tribune » « Une lecture du Coran » aurait eu 200 000 lecteurs. C'est une performance dans un journal principalement économique et financier. Ce « succès » n'est pas accidentel. Il illustre un intérêt probablement durable pour l'Islam et les religions.

Ne sous-estimons pas l'effet de mode. Les articles abondent dans la presse de toute nature, quotidiens, magazines, revues. L'autre soir, cinq cents personnes-dans trois salles, sans compter des relais en province- écoutaient à la Faculté Jésuite, rue de Sèvres, Ghaleb Bencheik, fils de l'ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris et frère de l'ancien mufti de Marseille ; à vrai dire, si l'on se fie aux questions posées, le public s'intéressait plus au sort fait par l'Islam aux minorités chrétiennes qu'à la religion islamique. Nos hommes politiques, habituellement silencieux sur les sujets religieux sont devenus loquaces et font un effort louable d'analyse et de compréhension, comme notre Ministre de l'Intérieur.

 Après la sortie de la religion, un mouvement inverse?

Au-delà des inquiétudes immédiates et légitimes sur la cohabitation avec l'Islam, il se pourrait que dans ce pays laïc, le plus avancé dans la « sortie de la religion » s'esquisse un mouvement inverse. Le christianisme n'avait, certes, pas disparu. Il existe une minorité de croyants, attachés à leurs convictions et engagés. Et il subsiste de façon diffuse une culture chrétienne qui influe sur la vie en société et sur les institutions. Mais pour la grande majorité des Français, la religion est affaire privée, qui n'a à intervenir ni dans la vie publique ni même dans les apparences extérieures (ce qu'une partie des musulmans a de la peine à comprendre).

Les religions laïques sont moribondes

Ce qui est nouveau, ce sont des questions que se posent un certain nombre de Français. Le triomphe de l'individualisme sous toutes ses formes conduit la société dans l'impasse et rend de plus en plus difficile le vivre-ensemble. Où trouver- une réponse ? Pas dans les »religions laïques » des moribondes. Même si le vocabulaire et les cantiques subsistent, plus grand monde, même chez les jeunes et à l'extrême gauche, ne croit à la Révolution et au Grand Soir. L'Anarchie et le Communisme ne sont des exutoires que pour un très petit nombre. La soif d'idéal, qui ne sera jamais complètement étouffée, ne trouverait-elle pas un apaisement dans le religieux ? Cette réponse est diffuse et elle n'est pas sans ambiguités ni risques. Ce pourrait être le temps , non d'un retour aux religions traditionnelles mais celui d'un essor des sectes ou de religions captées par les fondamentalistes.

Et les religions officielles sont-elles capables de répondre aux attentes de la société moderne ? On peut en douter, lorsqu'on les voit plus soucieuses de la défense exclusive de leur « fonds de commerce » et de l'institution. Signe le plus récent : l'église de France s'indigne avec une rigueur extrême contre l'éventualité de faire une place aux fêtes religieuses non chrétiennes dans des départements et territoires d'outre-mer, qui n'ont jamais été les fils aînés de l'Eglise. Ces églises ont devant elles un grand travail à accomplir.

Une phase de recherche et de doute

L'irruption de l'Islam dans la vie publique pourrait s'accompagner d'un réexamen de la place des religions, comme un élément structurant de notre vie collective, au grand désespoir des laïcs « durs ». Ce qui est sûr, c'est que la France est entrée pour longtemps dans une phase de recherche et de doute, individuel et collectif sur « son vivre ensemble ».
Cette attitude ouverte et interrogative est illustrée par le grand nombre de commentaires, qui ont suivi la parution d'«Une lecture du Coran ». Leur interprétation est délicate. Le commentateur n'est pas représentatif du lecteur moyen du journal et il écrit « à chaud » Recourant au pseudo, il peut invectiver en toute liberté.
La majorité des commentateurs serait de culture musulmane. Leurs réactions vont de l'approbation louangeuse à la critique acérée, certains mêlant les deux.
Parmi les « pour » une lectrice au nom à consonance arabe m'a remercié par le réseau Linkedin. Les « pour » ont loué mon ouverture sur l'autre, ma curiosité, mon honnêteté, l'importance que j'attachais à la liberté.

 Réponse aux critiques

Parmi les « contre » certains condamnent la démarche en elle-même :
-« Tu n'as pas le droit de commenter le Coran, puisque tu ne connais pas l'arabe et que tu n'es pas musulman » Moi, je lui reconnais parfaitement le droit de commenter les Evangiles et les paroles du Christ, quelle que soient sa religion et ses connaissances linguistiques. Le message de l'Islam est universel et s'adresse donc à chacun d'entre nous.
-« Tu n'as pas le droit d'écrire sur le Coran parce que tu es un amateur ignorant et que seuls des théologiens sont aptes à le faire ». Ce genre de propos, je l'ai entendu dans de nombreux domaines, pas seulement religieux. Je le réfute. Un « honnête homme » a le droit, voire le devoir de s'intéresser à tous les sujets, qui ont une implication pour lui. Ainsi, Emmanuel Carrère, qui n'est stricto sensu ni historien ni théologien, a publié « Le Royaume » sur les débuts du christianisme et en particulier sur Luc et Paul. Les experts ont constaté de nombreuses erreurs. N'empêche qu'un très large public a été très intéressé par un sujet qu'il ignorait.
L'honnête homme doit seulement satisfaire quelques exigences, d'abord un minimum d'empathie; si je considère que « la religion est l'opium du peuple » et que la soif de transcendance n'est que billevesée, mieux vaut que je m'intéresse à un autre sujet. Puis de la modestie, accepter de faire des erreurs et les reconnaître.
- « Le Coran, c'est fait uniquement pour être récité ou psalmodié ». Toute autre attitude serait incongrue. Pour moi, tout texte, même transmis par Dieu, peut être approché par l'intelligence et la raison. Si Dieu m' a doté d'une raison, c'est pour que je m'en serve.
- « La traduction que tu as retenue rend le texte incompréhensible et ôte tout intérêt à l'exercice » Il est probable que d'autres traductions sont plus claires. Celle de Jacques Berque a le mérite de rendre sensible la poésie du texte.

Une "complaisance" à l'égard de l'islam?

D'autres critiques, plus ponctuelles, sont mieux fondées. Reproche de « superficialité » par exemple sur la femme, d'autant plus exact que je n'ai pas lu les « hadiths » Superficialité aggravée par de la « partialité » Partialité, oui, au sens où mon positionnement est personnel et influe sur ma vision. Partial, peut-être mais honnête.
Reproche « d'erreurs » probablement pertinent, quoique les exemples donnés ne soient pas tous pertinents, comme l'ont fait remarquer d'autres commentateurs. Il n'y aurait pas de « contradictions » alors que sur l'usage de la violence à l'égard des gens du Livre, les positions du Prophète ont changé selon les circonstances. « Le Coran aurait été assemblé durant la vie du Prophète » La plupart des commentateurs estiment qu'il s'est fait du temps des califes.

Un certain nombre de commentateurs, apparemment non musulmans, m'ont reproché ma « complaisance » à l'égard de l'Islam. Les crimes commis au nom de l'Islam leur paraissent suffisamment nombreux et graves pour qu'il soit inutile d'examiner un arbre qui produit de tels fruits. Illusion de croire qu'une condamnation globale et sommaire suffise à traiter le problème.

Pierre-Yves Cossé
Mars 2015