Comment gagner la bataille du climat ? Les interrogations des économistes

Par Frédéric Gonand  |   |  850  mots
Comment vendre aux opinions des politiques de transition énergétique couteuses dans l'immédiat et beaucoup moins créatrices d'emplois qu'on ne l'affirme? Par Frédéric Gonand, professeur d'économie associé Paris Dauphine

La tenue à Istanbul fin juin du congrès mondial des économistes de l'environnement a permis de mettre en valeur quelques points d'interrogations lancinants au sein de la profession :

  • Le coût économique de la transition bas carbone : la quasi-totalité des modèles disponibles indiquent qu'elle pèserait sur la croissance à hauteur de quelques points de PIB d'ici 2050. L'OCDE estime l'effet des politiques environnementales à environ -1,5% du PIB en 2060, avec un coût serait très concentré en Asie du Sud-Est. La Commission Européenne table sur -2% à -3%. En équivalent taux de croissance, l'effet serait donc inférieur à -0,1% de croissance par an. Cet ordre de grandeur est très minime, mais il paraît spécialement mal vécu par une partie de la profession tant le discours de certains mouvements a incrusté dans le débat public l'idée qu'une transition bas carbone - qui constitue pourtant un choc d'offre défavorable à court terme - génèrerait un effet massivement favorable sur les créations d'emplois.

Ces chiffres sont exprimés en PIB qui ne constitue pas forcément la meilleure métrique. En particulier, ils ne tiennent pas compte du coût en bien-être de la pollution de l'air (qui est important mais fait l'objet d'encore relativement peu d'analyses) ni des effets liés à une meilleure sécurité d'approvisionnement associée à certaines transitions bas carbone.

Comment vendre des politiques de transition environnementale

En d'autres termes, les économistes s'interrogent actuellement sur un problème de « vente politique » des politiques de transition bas carbone, une nouveauté dans la mesure où l'écologie s'est jusqu'ici très bien vendue politiquement.

  • Le modus operandi des politiques bas carbone au niveau international : à la faveur du passage de Laurence Tubiana, ambassadeur pour les négociations climatiques en vue de la conférence de Paris sur le climat en 2015, les questions de stratégie de négociation internationale ont été abordées. L'absence d'accord à Copenhague en 2009 était dans toutes les têtes. Poursuivre la fixation d'objectifs contraignants à long terme paraît difficile aux décideurs, qui sont sensibles à toutes les incertitudes entourant leur réalisation : incertitudes sur les prévisions économiques, sur les actions des autres pays, sur la force du signal dans le long terme, sur la capacité à y parvenir en termes de politique intérieure. La représentante de la Banque Mondiale, Marianne Fay, a souligné que la bonne méthode consistait à s'attaquer directement aux sources les plus polluantes et non aux pollutions les moins coûteuses - comme l'a longtemps suggéré le cabinet McKinsey, proposant implicitement le maintien des activités les plus émettrices de CO2. L'argument complémentaire est que la vitesse de la transition est très contrainte par la durée de vie des équipements en place, par l'urbanisme, la durée de propagation des nouvelles technologies, les difficultés du secteur financier... et qu'il convient donc d'anticiper la mise en œuvre de la transition bas carbone compte-tenu de ces viscosités. Au total, l'instauration d'une taxe carbone ne suffira pas et il faudra travailler sur les standards de performance, des plans sectoriels... Par ailleurs, un consensus a émergé sur la variable critique qu'est la R&D dans le domaine de l'énergie pour limiter le coût de la transition bas carbone.
  • Le financement de la transition bas carbone : Jeffrey Sachs a rappelé la fixation d'un prix pour le carbone peut prendre la forme d'une réglementation, ou d'une taxe carbone, ou d'un système de quotas comme le système européen dit « EU-ETS ». Il estime que l'EU ETS est l'instrument le moins bien approprié car qu'il est sensible à la conjoncture économique de court terme alors qu'on cherche à donner des signaux pour une transition à l'échelle du siècle. Dans ce contexte, la taxe carbone fait davantage sens à ses yeux.

Des coûts aujourd'hui pour plus de bien être demain

Autre idée de l'économiste américain : la transition bas carbone génère des coûts aujourd'hui pour des gains de bien-être demain. Pourquoi ne pas faire payer les générations futures en finançant la transition bas carbone par de la dette ? L'argument serait que les générations actuelles sont en train de sauver leur monde (futur). A une époque où les enfants des baby-boomers écopent le coût des régimes de retraite par répartition qui ont tant bénéficié à leurs parents, l'argument ne manque pas de sel mais il a le mérite de souligner qu'une transition bas carbone génère aussi d'importants effets de redistribution entre les générations.

Ces questions de redistribution des richesses liées à la mise en œuvre d'une taxe carbone cristallisent du reste beaucoup l'attention des économistes de l'environnement. Ces analyses portent sur un vaste éventail de sujets : de la question du subventionnement des prix des produits pétroliers dans les pays importateurs d'Asie du Sud-Est aux effets de redistribution entre les générations et entre les niveau de revenus d'une taxe carbone par exemple.

Frédéric Gonand
Professeur d'économie associé à l'Université Paris-Dauphine