Méditer au travail, source d'efficacité ou simple ressource ?

Par Sophie Péters  |   |  1201  mots
Chade-Meng Tan, ici avec le dalaï-lama, encourage la connaissance de soi comme levier de l'intelligence émotionnelle. /DR
La pleine conscience débarque dans l'entreprise. Elle fait fureur chez Google où un ingénieur l'a fait découvrir à 2000 salariés. Aujourd'hui Chade-Meng Tan publie "Connectez-vous à vous-même" pour inciter à la méditation au travail. Une nouvelle façon d'"être", assortie d'une nouvelle façon de "faire", qui reste encore et toujours liée à l'efficacité.

Il était deux soirs à Paris et a fait salle comble. 600 personnes venues écouter la bonne parole de Chade-Meng Tan, ingénieur chez Google dont le titre officiel inscrit sur sa carte de visite prête à la bonne humeur : "jolly good fellow" ("c'est incontestable" proclame aussi sa carte de visite). A Mountain View, ce "joyeux luron" a mis en en place un atelier de méditation très prisé par les salariés californiens. Son ouvrage qui vient de paraître chez Belfond "Connectez-vous à vous-même" traduit de son best seller "Search inside myself" (en clin d'oeil au Google Search) promeut la pratique contemplative comme source d'efficacité au travail.

"Chaque personne de Google a 20% de son temps pour faire ce qu'il veut : moi j'ai choisi de chercher à l'intérieur de moi-même", raconte ce chantre de l'intelligence émotionnelle. Partant du principe de Lapalice selon lequel un salarié bien dans sa peau est un salarié performant, Meng pour les intimes, encourage la connaissance de soi comme levier de l'intelligence émotionnelle. Selon lui la "meilleure application" permettant d'y accéder est la "pleine conscience".

Rendre accessible la méditation au plus grand nombre

Il suit les traces du virage amorcé il y a dix ans par le pionnier Jon kabat-Zinn qui est à l'origine du programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) pour rendre accessible la pratique méditative au plus grand nombre. Aujourd'hui la pleine conscience connaît un écho retentissant auprès des médecins et spécialistes de la gestion du stress, en partie depuis sa médiatisation portée par le psychiatre Christophe André et son ouvrage "Méditer jour près jour" qui défend ses bienfaits jusque dans le traitement de la dépression.

Meng a donc, en bon ingénieur, élaboré "sa" méthode à partir des fondamentaux de la pleine conscience qui repose en grande partie sur une façon d'aborder la relation à autrui et à soi par la pratique de la médiation. "Pratiquée de façon systématique, la démarche est profondément transformatrice et libératrice. C'est une aventure et une expérience ouverte : sorte de fitness mental et émotionnel qui peut s'appliquer à la vie aussi bien qu'au travail et à tous les projets", relève le pionnier Jon Kabat-Zinn.

Maîtriser ses émotions grâce à une bonne méditation

Meng s'est ainsi appuyé sur des données scientifiques, les recherches en intelligence émotionnelle et en neurosciences sur la compassion. "Les études faites grâce aux IRM fonctionnelles ont permis de repérer que les circuits attentionnels sont en lien avec le cortex préfrontal et que la méditation renforce ce cortex qui contrôle les émotions", explique Meng. Selon lui, "les individus vivent comme s'ils n'avaient pas le contrôle de leurs émotions ("comme si le cheval des émotions contrôlait notre raison"). Résultat : quand la colère ou la peur surgit, l'émotion nous met par terre comme le cheval. Avec de l'entraînement un bon cavalier peut maîtriser ses émotions".

Première étape : entraîner notre attention pour ramener notre esprit au calme et à la clarté. Comment ? En prêtant attention d'une certaine manière dans le moment présent sans jugement.

Ensuite : utiliser cette clarté pour une meilleure connaissance et une meilleure maîtrise de soi-même. "Un peu comme la résolution d'une image : plus c'est net mieux on voit. Donc si on augmente notre perception de l'esprit on a une meilleure résolution de notre paysage mental", précise Meng. Enfin la troisième étape consiste à créer des habitudes mentales, comme par exemple la bienveillance, permettant une conscience sociale plus élargie.

Développer le leadership en entreprise

Meng estime cette démarche essentielle pour développer le leadership en entreprise : "La vigilance et la présence sont source de bien-être. Cette capacité a un impact sur le leadership. Car la qualité principale du leader est de garder son sang froid même en temps de crise".

Au même titre qu'un entraînement physique de haut niveau sollicite notre corps vers des capacités accrues, celui du mental ouvre donc de nouvelles perspectives qui ne sauraient laisser indifférents...les leaders justement. Une maîtrise de l'esprit propre à apporter une liberté intérieure au lieu d'être le jouet de nos pensées. Ce que Michel de Montaigne avait déjà découvert par lui-même au siècle des lumières en livrant le fruit de ses observations intérieures dans ses Essais.

L'entreprise réussit avec des managers chaleureux

Une faculté au demeurant précieuse dans l'existence qui permet aussi d'ajuster son comportement aux autres, dans le respect de chacun. "Une étude a montré que parmi les top managers dont la carrière était la plus couronnée de succès, ceux qui manifestent de l'affection et apprécient de recevoir de la chaleur humaine performent plus que les autres : car plus les gens s'entendent bien avec vous, plus ils vous apprécient, plus l'entreprise réussit", défend Meng. Il a lancé le leadership Institute avec Google qui s'ouvre aujourd'hui à d'autres entreprises.

Son objectif ? "Créer les conditions de la paix mondiale". Le moyen ? "Développer la paix intérieure dans chaque individu". Et Meng assume en surjouant l'humour un langage aux accents marketing, bien dans la tradition anglo-saxonne, pour emporter l'adhésion. "Pour que cela soit attirant, que ces qualités se traduisent par le succès et le profit, il faut utiliser un langage qui parle a tout le monde aujourd'hui", défend le "jolly good fellow" qui ne compte pas s'arrêter au monde de l'entreprise. Sur les murs du hall d'entrée du bâtiment principal du Googleplex sont affichées des photos de lui en compagnie de célébrités mondiales (d'Al Gore au dalaï-lama en passant par Bill Clinton et Gwyneth Paltrow).

Meng, un militant sympathique de la pleine conscience

Façon de dire qu'il souhaite rendre la méditation et ses bienfaits accessibles à l'ensemble de l'humanité. Y compris aux Français réputés un brin dépressif ? Malgré un abord particulièrement agaçant avec son sabir à l'anglo-saxonne autour de la performance et son humour friendly, Meng force la sympathie par son côté militant de la pleine conscience dont les racines plongent dans la philosophie.

C'est à la fois un travers susceptible de lui faire manquer la rencontre avec les Français, méfiants face aux embrigadements couleur mashmallow, mais tout aussi bien les séduire par son discours frappé au coin de l'empathie et de la bienveillance. A chacun de trouver le chemin de la présence à soi, quelque soit le moyen et son interlocuteur. L'essentiel de la pratique de méditation pleine conscience étant de découvrir son Etre et de l'affiner par une pratique systématique de la méditation.

Si la discipline est intéressante dans un monde du travail obsédé par le "faire" et le résultat, elle n'est pas non plus dévolue à la sphère professionnelle. Inutile donc de lui adjoindre ces corollaires de la performance et de la réussite qui collent à nos sociétés comme le sparadrap au doigt du Capitaine Haddock.