Enfin le retour de l'investissement en 2015 ?

Par Florence Autret  |   |  1090  mots
Rattrapé par son passé de Premier ministre luxembourgeois dans l'affaire « Luxleaks », le président de la Commission européenne joue gros sur la réussite de « son » plan Jusqu'à présent, il a fait un sans-faute.
Avec son titanesque plan de croissance, qui a priori n'implique pas de participation financière directe des gouvernements, Jean-Claude Juncker espère créer un choc de confiance. Déjà, 2 000 projets d'investissements ont été soumis à la Commission européenne.

Un gazoduc en Val de Saône, l'interconnexion en métro automatique entre la Défense, le Bourget et Saclay, le contournement de Paris par la ligne ferroviaire Lille-Bordeaux, l'extension du port de Calais, la numérisation de campus et d'hôpitaux, la rénovation énergétique des logements sociaux : voilà de quoi donner un tour concret au « plan Juncker » annoncé le 26 novembre. Tous ces projets figurent dans un « catalogue » qui en compte déjà plus de 2000 pour un montant total de 1300 milliards d'euros, dont 500 milliards sur les trois prochaines années ! La liste a été présentée le 9 décembre à la Commission par les 28 États membres. Les pièces du plan Juncker commencent donc à se mettre en place. L'objectif : rattraper un retard d'investissement estimé à 430 milliards d'euros en termes réels à fin 2013, par rapport aux niveaux d'avant crise de 2008. Et relancer ainsi une croissance en panne.

L'énergie, le numérique et les marchés publics

Rattrapé par son passé de Premier ministre luxembourgeois dans l'affaire « Luxleaks », le président de la Commission européenne joue gros sur la réussite de « son » plan. Et il faut dire que, jusqu'à présent, il a fait un sans-faute. Le 19 décembre, les chefs d'État européens devraient lui donner leur imprimatur. ouvrant la voie pour qu'en juin prochain le Fonds européen pour les investissements stratégiques (Feis), logé au sein de la Banque européenne d'investissement (BEI), doté d'un capital de 21 milliards d'euros destiné à absorber les premiers risques d'un paquet d'investissement de 315 milliards en trois ans, soit à pied d'oeuvre. Pour le grand public comme pour la Commission, l'essentiel est de pouvoir rapidement estampiller « plan Juncker » des projets concrets. Dans les semaines qui viennent, la question centrale sera donc celle de la gouvernance du Feis et la création d'un comité d'investissement chargé d'opérer la sélection, car la fameuse « liste de 2000 projets » n'était qu'une ébauche. « Être sur la liste ne veut pas dire qu'un projet sera financé et finançable », a martelé le président de la BEI Werner Hoyer. Le « tuyau » que la BEI aura pour mission de créer devra « aider le secteur privé à piocher les projets dans lesquels investir », a expliqué le vice-président de la Commission Jyrki Katainen.

À Bruxelles et Luxembourg, on assure qu'il n'y aura pas de quota national ni par secteur, même si les trois domaines prioritaires sont « l'énergie, l'économie numérique et... les marchés publics », ce qui permet de considérablement élargir le champ des projets possibles, a indiqué Jyrki Katainen début décembre. La compétition promet d'être féroce pour bénéficier de la garantie du Fonds, d'autant qu'en fin de course, la Commission s'est engagée à ce que 75 des 315 milliards financent des PME et des mid-caps, le reste étant réservé aux « investissements de long terme ».

En attendant, le président de la BEI a promis que les seuls critères de sélection seront « la viabilité, la soutenabilité, l'impact... et la rapidité ». « Nous voulons de vrais professionnels dans le comité d'investissement [qui sélectionnera les projets], de façon à ce que l'on ne finance pas des éléphants blancs », explique une source à la Commission.

Tout le succès de l'opération dépendra de la capacité de la Banque européenne d'investissement, où sera logé le Feis, à attirer des investisseurs privés sur des projets solides pour faire fonctionner le levier de 1 à 15. Pour l'instant, les investisseurs attendent de voir ce qui remontera du Feis avant de s'engager.

« Nous sommes prêts à participer à différentes structures de financement de projets », expliquait toutefois le représentant d'un assureur français à Bruxelles au lendemain de la présentation.

Insurance Europe, la fédération européenne des assurances, dont les membres sont assis sur un trésor de 8500 milliards d'euros placés aux trois quarts en actions et en obligations, a indiqué fin novembre qu'il allait « étudier » le plan. Pour l'instant, le monde des investisseurs institutionnels s'intéresse surtout à la promesse de s'attaquer sérieusement aux lourdeurs réglementaires - européennes ou nationales -, qui compliquent la vie des entreprises, et d'adapter les exigences en capital des banques et des assurances.

Un signal politique au monde des affaires

De son côté, Jean-Claude Juncker n'a pas renoncé à convaincre les gouvernements de mettre au pot pour augmenter le capital du Feis et accroître sa force de frappe. Pour l'instant sans succès. L'Allemagne a dit nein, sauf à ce que chacun contribue à concurrence de ses moyens. La France, elle, plaide non pas pour une augmentation de capital mais pour que le Fonds dispose d'une « capacité d'emprunt », comme l'a demandé le ministre français de l'Économie, Emmanuel Macron. C'est encore moins acceptable pour Berlin qui s'était déjà opposé en juillet à ce que l'on utilise les moyens du Mécanisme européen de stabilité, doté de 80 milliards d'euros de capital, pour financer ce plan de relance. Il y a donc de fortes chances pour que l'on s'en tienne aux 21 milliards d'origine et que chaque pays fasse ensuite participer sa banque d'investissement nationale à tel ou tel projet. Si tel est le cas, les Vingt-Huit auront réussi l'exploit de présenter un « plan européen d'investissement » sans mettre un euro de plus dans le pot commun.

C'est bien ce que l'on risque de lui reprocher au Parlement, qui doit donner son autorisation de soustraire des moyens budgétaires déjà alloués pour constituer son capital.

« Sur les 16 milliards du plan Juncker, il y a 8 milliards venant du mécanisme d'interconnexion et d'Horizon 2020 », explique Dominique Riquet.

Le député UDI, qui a porté le flambeau d'une opération de lobbyisme emmenée par la Caisse des dépôts et consignations et la KfW allemande pour créer un « intergroupe pour l'investissement de long terme et la réindustrialisation », est bien placé pour le savoir : c'est lui qui a négocié avec les États membres à la fin de l'année dernière la liste des projets retenus dans le cadre du « mécanisme d'interconnexion », un fonds permettant de financer des infrastructures ferroviaires, maritimes, routières ou énergétiques. « Cet argent est déjà affecté à des projets d'investissement de long terme. Et les 8 milliards de garantie restants sont gagés sur un budget auquel il manquait 30 milliards en 2014 ! », ajoute l'élu. Peu importe. L'essentiel du plan Juncker réside pour l'instant dans le signal politique qu'il adresse au monde des affaires. Et sur ce terrain, il est déjà un succès.