Les acteurs financiers anticipent un Brexit dur

Prenant acte du désordre politique au Royaume-Uni et de la fermeté européenne, banquiers, assureurs et gestionnaires de fonds anticipent de vivre un pied dedans et un autre en dehors du marché unique européen.
Florence Autret
La City se prépare à se réveiller le 29 mars 2019 sans accord avec l'UE

Il semble loin le temps où la City rêvait que (presque) rien ne change. Alors que les acteurs financiers multiplient les annonces de rapatriement d'activités sur le Continent, en vue de l' « après-mars 2019 », la date à laquelle le Royaume-Uni deviendra, effectivement, un « pays tiers » pour l'Union européenne, la Commission européenne n'hésite plus désormais à annoncer publiquement qu'elle se prépare à une sortie pure et simple de la City du marché unique à l'échéance, sans accord de transition ni de libre échange.

 « On m'en voudrait si je ne me préparais pas au scénario du pire », a ainsi déclaré Olivier Guersent, son directeur général en charge des services financiers lors d'une conférence organisée par l'Institut Friedland, en partenariat avec la CCIP, ce lundi.

Alors que le quotidien britannique Financial Times annonçait le jour même qu'un groupe de représentants de la City emmené par l'ancien ministre conservateur et ex-manager de PriceWaterhouseCoopers Mark Hoban était à Bruxelles pour parler d'un accord post-Brexit, ce responsable a démenti que le négociateur en chef de l'Union européenne, Michel Barnier, recevrait la délégation.

Un exercice d'anticipation plus que de lobbying

Dans l'ensemble, les acteurs financiers ont déjà pris acte de cette ligne. De l'avis de plusieurs consultants interrogés par La Tribune, ils restent, pour l'instant, en « mode observation » et se préparent à un divorce pur et simple.

« Nos clients travaillent beaucoup sur l'analyse des risques, ils ont plus un objectif de 'compliance' (respect des règles) et de continuité de service de leurs clients que de lobbying », explique Philippe Blanchard, associé chez Brunswick à Bruxelles.

Le consultant considère que le jeu politique qu'il est trop tôt pour intervenir. « C'est très compliqué à cause du processus de négociation et du désordre politique au Royaume-Uni ne rend pas la situation plus simple », dit-il, insistant sur la « déconnexion entre le monde administratif et le monde politique » au Royaume-Uni.

« Le Brexit est tout simplement l'environnement dans lequel on opère, un peu comme nous avons vécu la 're-régulation' financière après 2009 », explique Philippe Blanchard qui assure qu'actuellement « 90% du travail (de conseil) est un travail d'explication et de décryptage des négociations » destiné à « ramener les entreprises au plus près de la réalité ».

Même son de cloche au cabinet FTI.

« Pour les entreprises, le Brexit n'est pas juste un problème politique ou de politiques, cela touche le cœur de leurs opérations, c'est une nouvelle sorte de risque », constate Aled Williams, consultant à Bruxelles. Et d'ajouter : elles « ne peuvent pas attendre 2019 ou la fin des négociations (d'un nouvel accord) pour faire ce qu'elles ont à faire... Les gens doivent faire des plans et savoir à quel moment ils devront prendre des décisions ».

L'assurance et la gestion se préparent à l'après-2019

Dans ce contexte, les entreprises se sont lancées dans une course de vitesse afin d'assurer la continuité des services, en redoublant de pragmatisme.

Le secteur de l'assurance poursuit pour l'instant deux pistes d'adaptation : la création de filiales ou bien le transfert des contrats sur le Continent. Il a l'avantage, par rapport aux banques, le secteur présente cependant l'avantage d'être plus décentralisé.

« Notre industrie est typiquement organisée en filiales... (mais) il y a beaucoup d'interrogations sur la manière dont tout cela va marcher », a reconnu Olav Jones, le vice-directeur général de Insurance Europe, le lobby européen des assureurs, lors de la conférence.

Les principaux défis : la gestion des contrats dérivés, dont l'assurance est grande consommatrice, l'outsourcing des services et, tout simplement, l'accès aux services.

Les assureurs continentaux comptent plus de 700 succursales installées au Royaume-Uni... et susceptibles de devoir être transformées en filiales. Les assureurs britanniques comptent, eux, un demi-million d'assurés sur le Continent. Création de filiales, en remplacement des succursales, et transferts de contrats avec les complications juridiques et comptables que cela engendre sont à l'ordre du jour.

Pour Peter de Proft, qui dirige la fédération européenne des fonds d'investissement, EFAMA, dont sont membres plusieurs acteurs majeurs installés à la fois sur le Continent et à la City tels Fidelity et Blackrock, l'industrie de la gestion dispose de « tous les instruments » pour faire face à un « hard Brexit » : délégation de gestion, installation de « management company » sur le Continent et passeports paneuropéens.

« Pour les gestionnaires d'actifs, c'est gérable », dit-il.

Il faut dire que les principaux véhicules de gestion : OPCVM et AIFMD (fonds alternatifs réservés aux professionnels) sont déjà devenus des marques mondiales ou susceptibles de le devenir. Comme de nombreuses autres en Europe, la fédération vient de créer une « task force » Brexit et attend l'avis que rendra l'autorité européenne de régulation des marchés, ESMA, sur le Brexit, attendu dans deux à trois semaines.

Gagner du temps

La principale demande du monde financier est d'obtenir un accord transitoire afin de disposer d'un peu plus de temps pour s'adapter. Mais les effets sur le rôle de la City dans le financement futur de l'économie européenne et l'équation économique du Royaume-Uni restent flous.

« Gagner 3, 4 ou 5 ans est préférable pour la stabilité économique du Continent, mais à long terme, pour les investisseurs, la question se posera de savoir si le Royaume-Uni reste une destination de choix », explique Philippe Blanchard.

Les acteurs attendent donc que la Commission européenne donne, finalement, le signal de la négociation d'un accord de transition, ce qui ne devrait pas intervenir avant l'automne 2019, quand les Vingt-Sept estimeront que l'accord de sortie est suffisamment clair sur les trois points mis en avant par l'Union : l'Irlande, le sort des citoyens européens basés au Royaume-Uni et britanniques dans l'UE, et les obligations financières britanniques vis-à-vis des Vingt-Sept.

Florence Autret
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