Ce qu’il faut savoir quand on immigre au Québec

Par Sophie Girardeau - Monster pour La Tribune  |   |  1239  mots
«Si tout va bien, obtenir le droit de vivre au Québec peut prendre un an»
Une expérience positive et une intégration réussie au Québec sont avant tout question d’attitude adéquate et de modération de son niveau d’attentes, d’autant plus que la Belle Province fait rêver.

La carte postale est belle : avec ses contrées immenses et sauvages, sa qualité et son niveau de vie, son assez faible taux de chômage (en juin 2015 : 6,8% au global, 8% au Québec), le Canada, et plus spécifiquement le Québec, n'en finit pas d'attirer les Français. C'est même de rêve qu'il s'agit, avec son cortège d'attentes... et de déceptions potentielles. Sandrine Théard, fondatrice de La Source Humaine, cabinet de conseil en recrutement, s'étonne de voir des Français « débarquer sans jamais être venus au pays, avec une espèce de pensée magique qui fera que tout se passera bien et se déroulera comme ils l'ont imaginé ». Pour cette Rennaise qui a immigré il y a vingt ans au Québec, une expérience canadienne réussie est avant tout question d'attitude adéquate et de modération de son niveau d'attentes.

Compter deux ans pour retrouver un équilibre

Le parcours des personnes qui s'y installent provisoirement dans le cadre d'une mobilité internationale au sein d'un grand groupe est généralement bien balisé ; nos conseils s'adressent plus aux autres catégories de personnes qui veulent vivre et travailler dans la Belle Province.

Le jeune qui part dans le cadre d'un job étudiant ou d'un PVT (Programme Vacances Travail) et décide de rester ou la personne qui suit son conjoint sont des exemples parmi d'autres. Le premier tente, de visa en visa, de faire son chemin vers un statut plus définitif et doit être prêt à vivre la précarité. « Il lui faut bien connaître les délais de chaque visa, le nombre de fois maximal qu'on peut candidater et savoir quel critère favorisera l'acceptation de la prochaine étape : l'expérience par exemple », conseille Caroline Coulombe, professeure à l'ESG-UQAM.

La seconde est parrainée pendant trois ans par son conjoint, que le couple fonctionne ou non.

 « Si tout va bien, obtenir le droit de vivre au Québec peut prendre un an ; quelque mois après, on peut obtenir celui de travailler et une résidence permanente. Patience et implication sociale sont de mise pour traverser cette étape de déracinement », ajoute-t-elle.

Comptez deux ans pour retrouver un équilibre après avoir fait les ajustements nécessaires entre vos attentes et la réalité d'un pays à deux saisons où l'hiver - et quel hiver ! - dure six mois.

Le piège de la francophonie

Les Français tendent à penser que la francophonie fait tomber les barrières. Elle fait plutôt tomber dans le piège d'une pseudo-proximité avec de soi-disant cousins. On croit arriver en terrain conquis or, l'Histoire ayant laissé des traces, les rapports franco-québécois sont ambigus. Pour les faciliter, soyez simple, respectueux et renoncez à affirmer votre opinion, de ce côté-ci de l'Atlantique, on privilégie le compromis.

On est par ailleurs en pays nord-américain et bilingue, un bon niveau d'Anglais est requis.

« En Amérique du Nord, les gens sont plus matérialistes, plus pragmatiques qu'en France, les relations de travail, très directes, peuvent paraître abruptes pour un Français », observe Michel Laviolette, enseignant chercheur chez Novancia.

Il vient de passer un an au Canada. Directs, les Québécois n'en sont pas moins accessibles et affables. Gare à vous !, le tutoiement facile n'est pas une incitation à la familiarité et si par amour du folklore vous vous mettez à « sacrer » (jurer), ça ne passera pas aussi bien que vous le croyez : « C'est insultant et ce n'est pas drôle », prévient Caroline Coulombe.

Le Québécois mérite sa réputation de personne très accueillante, mais sa courtoisie joue des tours en entretien de recrutement :

 « Contrairement à beaucoup de recruteurs français, le recruteur québécois ne cherche pas à déstabiliser le candidat, comme ça se passe bien, le candidat est persuadé qu'il va avoir le job au bout d'un seul entretien, mais non, il est donc déçu s'il oublie que le Québécois est comme ça dans la vie en général. » explique Sandrine Théard

Beaucoup de cadre dans le travail mais une notion plus libre du travail

Pas de place pour l'improvisation dans les relations d'affaire et le quotidien de travail, cadré, formalisé, avec cependant plus de souplesse relationnelle et moins de compétition qu'aux États-Unis.

 « Le partage du travail par exemple est formalisé par écrit et on se réfère à cet écrit », note Michael Laviolette.

Les retards en réunion ne sont pas tolérés, les journées commencent à 8h00 et finissent généralement à 17h00, la pause déjeuner d'une heure n'est pas totalement utilisée, on n'hésite pas à prévoir un rendez-vous à 13h00.

Ce formalisme ne s'embarrasse pourtant pas de contrat de travail à la française : on parle de lettre d'embauche, on peut même s'en passer et c'est alors le bulletin de salaire qui fait foi.

« Une mission de travail temporaire qui ressemblerait à notre CDD français peut être renouvelée à l'infini, ou on peut être mis dehors du jour au lendemain, personne ne s'en offusque. On compte sur ses propres fesses mais on fait aussi ce qu'on veut et c'est ça qui est bien ! », lance, franco, Sandrine Théard.

Venez donc sans Code du Travail, cela allègera vos bagages, votre état d'esprit et simplifiera vos relations professionnelles.

L'époque de la préférence française est révolue

« On est dans un marché du travail plus flexible où il est assez facile de trouver des petits boulots - ils font partie de la culture et sont donc bien perçus -, la mobilité professionnelle est plus simple », constate Michael Laviolette.

Mais l'Eldorado de l'emploi n'existe pas plus au Canada qu'ailleurs. Le pays, et plus particulièrement le Québec, est ouvert aux forces vives étrangères mais les Français n'en sont que parmi d'autres.

« L'étranger, y compris français, doit comprendre qu'à compétences égales, il y a aujourd'hui une préférence nationale, d'autant plus que le marché s'est légèrement inversé récemment au Québec », poursuit Sandrine Théard.

Il faut aussi différencier le Français qu'on va chercher pour pallier une pénurie de profils (principalement informaticiens et soudeurs) et celui qui vient chercher un job parfois la fleur au fusil et sans parler un mot d'Anglais.

Par ailleurs, la reconnaissance des diplômes est un obstacle pour certains profils, du fait de l'existence d'ordres des métiers pour de nombreuses professions (infirmier, chimiste, ingénieur, enseignant, électricien, conseil RH...).

 « Obtenir une équivalence peut-être compliqué, notamment pour les ingénieurs, il faut donc bien se renseigner avant de partir et savoir ce que suppose l'obtention de cette équivalence », complète notre interlocutrice.

Quand on a un statut social en France, il faut aussi avoir conscience qu'on ne retrouvera pas immédiatement le même au Québec. « L'humilité n'est pas la qualité première des Français, il faut pourtant accepter l'idée d'un petit pas en arrière pour vite grimper ensuite », recommande-t-elle. Enfin, les sièges sociaux des plus grandes entreprises sont généralement implantés à Toronto (Ontario), le marché québécois est donc un marché étroit pour les postes à responsabilité dans les fonctions stratégiques et les fonctions supports (Finance, Marketing...)

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