Alain Minc : « Je souhaite la défaite de François Hollande en 2017 »

Par Propos recueillis par Sarah Belhadi et Philippe Mabille  |   |  2238  mots
Pour Alain Minc, « La monnaie unique est la dernière ligne qui sépare la partie dure de la droite et le Front national »
L'identité de la France, les musulmans, la croissance mondiale, "le provincialisme et l'arrogance" de l'industrie allemande, les enjeux de la présidentielle de 2017... "La Tribune" a interrogé Alain Minc, qui publie chez Grasset son 37e livre, "Un Français de tant de souches".

LA TRIBUNE - Vous êtes l'auteur d'une trentaine d'ouvrages mais "Un Français de tant de souches" est sans doute votre livre le plus personnel. Dans ce dernier, vous évoquez vos origines, votre judéité, mais aussi votre sentiment sur le concept d'identité française tant débattue parmi les intellectuels...

ALAIN MINC - La France, pourtant longtemps pays d'accueil, a aujourd'hui de grandes difficultés à intégrer. Dans ce pays, il est devenu plus aisé de parler des 35 heures que d'intégration. C'est pourtant une question omniprésente. À titre d'exemple, je pense qu'il faut aujourd'hui suspendre la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État, pour une période limitée, afin de pouvoir faire deux choses : construire des mosquées sous contrôle de la puissance publique plutôt que de les voir financer par l'Arabie Saoudite, le Qatar, ou par des mouvements opaques. Et, deuxièmement, mettre la formation des imams sous contrôle public.

À vous entendre, vous seriez donc favorable à cet « Islam de France », tant débattu sous la présidence de Nicolas Sarkozy ?

La tentative d'organiser la communauté musulmane était une bonne idée mais c'est très difficile. Il faut d'abord se concentrer sur l'appareil religieux et la formation des prêtres. Il y a une chose très simple que l'on pourrait faire, et qui est de l'ordre du possible puisque la France vit en Alsace-Lorraine sous le régime concordataire.

Le paradoxe, c'est d'ailleurs que ce régime s'applique au catholicisme, au protestantisme et au judaïsme, mais pas aux musulmans. On paye les prêtres, les curés, les pasteurs, les rabbins, et je pense qu'il serait de bon augure de mettre la religion musulmane sous le même statut dans cette région.

Cela permettrait d'avoir des instituts de formation d'imams et d'étendre cela pour l'ensemble de la France. Je souhaite qu'une telle option soit envisagée pour le prochain quinquennat.

Vous vous définissez dans le livre comme « le seul ashkénaze optimiste ». Mais l'heure est plutôt favorable à un constat sombre : le FMI vient à nouveau de réviser à la baisse ses prévisions de croissance mondiale. À l'exception des États-Unis, la croissance est à la peine en Europe, et elle se casse la figure en Chine...

Certes, il y a un problème avec la croissance chinoise, mais de là à considérer qu'elle se casse la figure, c'est un raccourci journalistique. En réalité, on ignore le taux réel de croissance en Chine, on ne sait pas non plus quels sont les effets des mesures anti-corruption sur l'investissement public et la consommation.

Et il faut garder à l'esprit que les Chinois ont 3.500 milliards de dollars de réserves financières, ce qui aide à faire des plans de relance. Si la France était dans une telle situation créditrice en matière de réserves, l'endettement public n'existerait pas ! Il y a deux ans, on disait que la Chine était un exemple de croissance ininterrompu, aujourd'hui, on argue qu'elle va tomber en récession.

Quant aux à-coups boursiers, il faut relativiser : la Bourse de Shanghai a baissé de 30% après avoir grimpé de 130%.

La situation en Europe est toutefois préoccupante...

Quand on analyse la situation en Europe, il ne faut pas regarder le PIB, mais le PIB par habitant. Par exemple, ceux de l'Allemagne et des États-Unis sont semblables. Et pourtant, l'Allemagne croît seulement de 1,5% alors que les États-Unis enregistrent 3,5% de croissance. Car, la population américaine augmente chaque année de 2 % alors qu'elle baisse de 1% en Allemagne. Donc on ne peut pas comparer les chiffres de la croissance européenne dans un contexte de décroissance démographique, avec ceux des États-Unis.

La France a l'extrême chance à long terme d'avoir une démographie dynamique, et la malchance à court terme d'en porter le poids. Elle pèse en effet sur l'emploi, ce qui explique en partie la pression sur le taux de chômage dans notre pays. En réalité, dans l'écart de chômage entre la France et l'Angleterre, la moitié représente la démographie. Chez nous, le PIB par habitant stagne alors qu'il augmente dans tous les autres pays d'Europe. Cette situation affecte le climat du pays car les gens ont le sentiment de vivre en crise permanente.

Ces derniers mois, la crise grecque, l'affaire des migrants, ne nous montrent-elles pas que l'Europe est en perte de vitesse ?

L'Europe ne va pas bien, c'est vrai. Mais quelle est la zone la plus libre du monde ? Autrefois, on répondait les États-Unis. Aujourd'hui, en termes de droits de l'Homme, d'habeas corpus, de droits individuels (avortement, euthanasie), l'Europe a le système de valeurs le plus libre du monde. Nous pouvons également être satisfaits de notre système institutionnel : le pouvoir fonctionne mieux à Bruxelles qu'à Washington.

Alors que les Européens ont voté le premier plan d'aide à la Grèce en un mois, les Américains ont mis huit mois à voter un plan pour les banques, en raison d'un refus de la Chambre des représentants. La deuxième crise grecque a ensuite été soldée en deux mois par les 17 parlements de la zone euro.

Au même moment, les États-Unis se sont retrouvés à un millimètre du défaut de paiement à cause du conflit entre républicains et démocrates. La réalité, c'est que Washington ne fonctionne pas à cause de l'opposition entre un Congrès de plus en plus idéologique et une présidence politiquement différente. Barack Obama n'a pas plus de pouvoir que Jean-Claude Juncker !

Pourtant, les États-Unis ont encore un pouvoir de pression et d'action. Le pays a révélé la manipulation de tests anti-pollution chez Volkswagen. Que traduit pour vous ce scandale ?

Cette affaire est l'illustration du provincialisme et de l'arrogance - et pour moi les deux sont liés - de l'industrie allemande. C'est tout de même fascinant que personne au sein du groupe n'a pu dire que les États-Unis sont le seul pays où il ne faut pas mentir. C'est incroyablement provincial ! Et cela témoigne d'une méconnaissance du monde.

Et le côté arrogant consistant à penser que « nous sommes intouchables, rien ne nous arrivera ». Je pense que c'est une crise salutaire pour le monde économique allemand qui ne respecte pas les règles anglo-saxonnes des entreprises, à cause de caractéristiques propres à ce pays : la cogestion, la faible pression des investisseurs internationaux, le nombre de sociétés non cotées, et cette atmosphère de corruption.

En revanche, contrairement à ce que l'on raconte, cette crise d'image n'affectera pas Volkswagen qui sera, le cas échéant, nationalisé par le pays le plus riche d'Europe.

Dans un rapport publié en 1977 avec Simon Nora sur l'informatisation de la société, vous anticipiez le formidable mouvement de progrès de productivité que nous connaissons dans les services. Mais, aujourd'hui, le paradoxe annoncé par l'économiste et prix Nobel Solow se confirme : l'informatique est partout... sauf dans les statistiques de productivité. Notre époque n'est-elle qu'une « transition négative ? »

Si on raisonne en termes d'emplois classiques, il est clair que notre époque révèle une polarisation entre les emplois très qualifiés d'un côté, et ceux très peu qualifiés de l'autre. Au fond, le capitalisme est une machine à produire de l'efficacité et de l'inégalité. Quand il tourne à pleine vitesse, il en fabrique beaucoup, et avec la révolution technologique cette inégalité concerne directement l'emploi. Cela signifie que ce sont les emplois moyens qui sont pris en sandwich. C'est un phénomène lié à l'évolution des services avec le monde technologique.

Quand on parle des grandes startups qui ont réussi, on ne fait pas de distinction. Uber et Airbnb, ce n'est pas la même chose ! Le premier est un système intelligent pour mettre à bas un monopole. Le second donne de la valeur à un capital nul. C'est donc un acte économique positif, et qui génère, in fine, du pouvoir d'achat.


En 1994, vous avez publié "Le Nouveau Moyen-Âge", un ouvrage beaucoup plus sombre. Vous expliquiez que la fin du dualisme idéologique entre libéralisme politique et communisme nous oblige à repenser notre monde. Vit-on actuellement un nouveau Moyen-Âge qui se manifeste par la fin du salariat, la crise des migrants, ou encore par l'émancipation des métropoles face à la puissance étatique ?

Dans ce pays, on oublie que chaque Français est 50 % plus riche que chaque Allemand. Pour des raisons évidentes : l'Allemagne a été détruite deux fois. Il existe des régions plus riches que la France, mais pas de pays. La France est incroyablement riche et la main-d'oeuvre - à tous les niveaux - y est bien formée. Les investisseurs étrangers le savent, et malgré la difficulté pour créer des usines ici, ils s'intéressent à la France.

De plus, contrairement à l'Espagne, nous ne sommes pas menacés par des séparatismes. Enfin, c'est un pays tonique : on compte le même nombre de startups par million d'habitants à Paris qu'aux États-Unis et en Israël.

Si la France est si riche, pourquoi est-elle autant à la traîne ?

Entre 1983 et 1995, la France - gauche et droite réunies - a consenti un effort considérable qui lui a permis d'être plus productive que l'Allemagne de 10 % à 15 %. La balance externe (ou commerciale) s'est retrouvée dans une situation d'équilibre. Mais, entre 1995 et 2007, nous sommes passés de 15 points de productivité de plus, à 10 à 15 points de productivité de moins.

Deux causes expliquent ce retournement : les 35 heures imposées par la loi par Lionel Jospin, puis les manipulations liées à la réunification des Smic en 2002. Elles ont eu de lourdes conséquences sur notre compétitivité. Et, pendant ce temps, Berlin a fait avec Schröder les réformes dont la France aurait tant eu besoin.

Nous approchons de la fin du quinquennat. Quelles seraient selon vous les priorités d'un programme de redressement ?

Je suis persuadé qu'il faut augmenter la TVA de 1% chaque année pendant cinq ans et placer cet argent dans une cagnotte spéciale pour éviter qu'il serve à renflouer le déficit. Il pourrait permettre de baisser les charges au profit des entreprises, à deux tiers, et un tiers au profit des salariés. Nous avons un différentiel de cinq points de TVA avec les pays du Nord.

Mais je crains qu'aucun homme politique n'ait le courage de faire cette réforme fiscale. Notre pays doit sortir du débat idéologique sur l'âge de la retraite, et accepter de le lier à l'espérance de vie. Il faut évidemment supprimer les 35 heures, et ainsi mettre un terme, sur cinq ans, aux milliards d'euros qui les subventionnent. Quant au vieux serpent de mer des fonctionnaires, la solution est simple. Servons-nous des exemples de la Poste et de France Telecom. On pourrait envisager de ne pas toucher au statut pour ceux qui en bénéficient, et embaucher hors statut pour les nouveaux arrivants. Ce régime serait ainsi limité à quelques fonctions régaliennes.

Le logement est le seul secteur qui nécessite selon moi une purge « thatchérienne », autrement dit une libéralisation extrême. Mais pour ce faire, il faudrait enlever les permis de construire aux maires, autant dire qu'une telle mesure n'est pas près de voir le jour !


Vous murmurez à l'oreille des puissants, vous étiez « un visiteur du soir » à l'Elysée sous Nicolas Sarkozy, et vous livrez régulièrement vos pronostics. À dix-huit mois de la présidentielle, quelles sont vos prévisions ?

Je souhaite la défaite de François Hollande en 2017, et souhaite pour l'honneur de ce pays que la candidate du FN ne soit pas en tête au premier tour. Ou qu'elle soit écrasée au deuxième tour. À partir de là, il faut que le candidat de droite présent au premier tour n'ait pas de candidat du centre contre lui, et qu'il puisse au deuxième tour mobiliser le maximum de voix de gauche.

Mon regard se tourne naturellement vers Alain Juppé - comme je le répète depuis un an. C'est le seul homme politique de droite capable de réaliser ce scénario. S'il remporte la primaire, l'élection présidentielle est terminée pour des raisons mécaniques.

Le scénario de Marine Le Pen élue présidente de la République en 2017 est-il de l'ordre du possible ?

Je n'y crois pas, mais j'ai la conviction - qui peut être fortement démentie - que Marine Le Pen est une vraie femme politique. Elle se fiche du fond, et je pense qu'elle finira par accepter l'euro. Si un tel scénario se produit, alors elle cassera en deux la droite française. Car la monnaie unique est encore la dernière ligne qui sépare la partie dure de la droite républicaine et le Front national.

Marine Le Pen a réussi à se débarrasser des oripeaux de l'antisémitisme, du racisme. Elle a même fait la leçon à Nadine Morano. In fine, elle a tué le père, idéologiquement. Si elle se convertit à l'euro, qu'est-ce qui différenciera Marine Le Pen de la CSU allemande ?

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>>> VIDEO Entretien avec Alain Minc, économiste, sur le thème « Par ici la sortie de crise ? »

>>> VIDEO Flash interview d'Alain Minc

Propos recueillis par Laurent Lequien