Derrière les mots ? d'Alain Minc

Par Valérie Segond Décryptage. Dans la bouche d’un des consultants écouté à l’Élysée, ces petites phrases assassines — qui de surcroît ne sont pas les premières — ont eu, cette semaine, un écho certain. Même si, prises à la lettre, elles relèvent davantage de la provocation préméditée que d’une observation impartiale des faits. Le Medef a signé, en 2009, 17 accords avec les partenaires sociaux, dont certains, comme celui sur le chômage partiel et sur la gestion sociale des conséquences de la crise économique sur l’emploi, ont contribué à limiter les effets sociaux dévastateurs de la crise sur le tissu social. Mais il y a aussi bien d’autres accords, comme celui sur la formation professionnelle, le reclassement personnalisé des chômeurs, etc. Sur le terrain aussi, le Medef a joué son rôle, en aidant les entreprises à éviter la panne de trésorerie fatale, en les aidant à négocier avec leur banquier ou à échapper à la dure loi des assureurs crédit. Alain Minc se pose donc en juge d’une réalité, qu’à l’évidence, il ignore. L’intérêt de son propos est donc ailleurs. Appelé à plusieurs reprises par nos soins pour qu’il s’explique davantage, il préfère ne pas répondre. Reste donc à tenter de saisir ce qu’il y a « derrière les mots ». À six mois de l’élection du leader patronal, en juin prochain, ses mots résonnent comme un pilonnage en règle de la présidente du Medef. Et ce, dans une stratégie tout à fait maîtrisée, comme l’indique la répétition de ses interventions. D’autant qu’elles s’inscrivent dans le sillage de sa « Lettre ouverte à mes amis de la classe dirigeante » de mars dernier, où il reprochait à la présidente du Medef de ne pas avoir usé de son autorité morale pour interdire bonus et stock-options en 2009. Cette fois, Alain Minc tire à un moment très choisi : suffisamment tôt pour que la campagne de discrédit donne son plein effet dans six mois, mais juste après le congrès de la CGT, pour que cela ne ressemble pas à un « baiser de la mort » vis-à-vis de Bernard Thibault. S’il décide de se prêter ainsi à cette manœuvre de déstabilisation, c’est que le consultant a l’assurance de ne pas aller contre le vent dominant à l’Élysée, ou dans l’opinion publique plus encline aujourd’hui à entendre les thèses syndicales que les injonctions patronales. Alain Minc tient là le rôle de miroir fidèle de « ce qui se dit à l’Élysée », où l’on tonne contre le refus du Medef de suivre Nicolas Sarkozy sur la limitation des rémunération des dirigeants en cette année de crise, contre les exigences de la patronne des patrons sur la réforme de la taxe professionnelle ou encore sur ses revirements sur la taxe carbone. Mais les propos du consultant ne font pas que refléter les humeurs du palais : il agit par le verbe. Primo, quand il flatte la CGT, en jugeant que sa direction a dix fois plus de talent que celle du patronat, il aide un président qui compte bien s’appuyer sur le premier syndicat de France pour faire passer cette année sa grande réforme des retraites. Secundo, en tirant à bout portant sur la présidente du Medef, il lance un « droit de tuer » qui laissera tôt ou tard le terrain libre pour une candidature à la succession de Laurence Parisot, alors qu’à ce jour seul le patron d’une PME, Thibault Lanxade, est sorti du bois. « Pour qui roule Alain Minc ? » est la question qui revient aujourd’hui sur toutes les lèvres, alors que personne ne le crédite d’une remarque désintéressée. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO « Dire que le Medef a été, en tant qu’acteur social, aux abonnés absents est totalement faux ! Durant cette période, le patronat a signé de très nombreux accords avec les partenaires sociaux. Quant à dire qu’on ne l’a pas entendu pendant la crise, c’est aussi très curieux. En particulier, le patronat a parfaitement joué le jeu lors des négociations sur le développement du chômage partiel, qui fut une des réponses importantes données à la crise. Je dirais même que le fait de ne pas avoir mis d’huile sur le feu pendant la crise, en réclamant comme le faisait toujours le patronat plus de flexibilité ou un assouplissement des règles de licenciement, me paraît être un signe d’intelligence et de responsabilité de la part de Laurence Parisot. Est-ce que ne pas en rajouter dans la caricature patronale signifie être « aux abonnés absents » ? Si l’on devait retenir toutes les analyses et prévisions d’Alain Minc, en les confrontant à ce qui s’est effectivement passé, on comprendrait qu’il s’est surtout beaucoup trompé. C’est pourquoi, je n’accorde aucune importance à ce qu’il dit. » Henri Weber, député européen et auteur de « le Parti des patrons » (1991) « Qui aime bien châtie bien ! Alain Minc se montre donc sévère avec le Medef. Sévère, mais juste. Qui connait les propositions du patronat pour sortir notre pays de la crise, éviter que celle-ci ne se reproduise, et conserver à la France une base industrielle ? Je vois trois raisons à cette léthargie de l’organisation patronale : primo, la combativité des salariés et des syndicats du secteur privé (à de rares exceptions près), qui est à un point bas historique, du fait notamment de l'ampleur du chômage. Secundo, la droite libérale est aux affaires et “l'ami des patrons” s'active à l'Élysée. Ainsi, pourquoi le patronat se mobiliserait-il, puisque ni les salariés ni les gouvernants ne menacent ses intérêts ? Enfin, à cela s'ajoute l'éclatement du patronat comme corps social. Les grandes entreprises françaises ne sont plus des “multicantonales”, comme c'était encore le cas dans l’immédiat après-guerre, lorsque fut fondé le CNPF, mais des authentiques “multinationales”, réalisant l’essentiel de leur chiffre d’affaires hors de France. Elles disposent ainsi, avec l'Afep de leur propre groupe de pression. Elles ont moins besoin d’un mouvement patronal unifié et dynamique que lorsqu’elles produisaient principalement pour le marché français et étaient confrontées à un mouvement ouvrier puissant et à des gouvernements (de droite ou de gauche) interventionnistes. Voilà sans doute pourquoi le Medef ne se sent pas requis d’incarner, comme l’ex-CNPF dans les années 1970, une figure de l’intérêt général et de proposer un « grand dessein » économique et social pour la France. » Jean-Dominique Simonpoli, directeur de Dialogues. « Alain Minc a raison de saluer la qualité des dirigeants syndicaux, et ce quelle que soit leur organisation. En particulier leur sens des responsabilités dans la période difficile que nous traversons. Il a aussi raison de noter que le Medef a été absent sur tous les enjeux sociaux. Il n’a pas tenu les promesses de la position commune, laissant de côté des sujets importants, comme le dialogue social dans les TPE, sur lequel il refuse de négocier, ou la pénibilité, qui est un des volets incontournables de la réforme des retraites. Tous les thèmes qu’il a négociés en 2009 lui ont été imposés par les pouvoirs publics : il n’est plus à l’origine des accords négociés. Il est vrai que la brouille avec l’UIMM lui a coûté cher : il y a perdu une partie de sa capacité à trouver des compromis et à négocier avec les partenaires sociaux. Résultat : ce sont les pouvoirs publics qui aujourd’hui ont l’initiative. » Xavier Lacoste, directeur général d’Altedia « Le nombre de négociations menées et d’accords signés en 2009 par les partenaires sociaux dit en soi que le patronat n’a pas été aux abonnés absents, mais qu’il a plutôt bien tenu son rôle. Les petites phrases d’Alain Minc me semblent relever d’un bien mauvais procès, de quelqu’un qui semble surtout surfer sur une succession d’incidents fortement médiatisés, mais qui existent dans toutes les organisations. On peut se demander quel est l’objectif de telles remarques, et surtout au bénéfice de qui elles ont été lancées, à six mois de l’élection du nouveau leader du Medef. » Nathalie Brion, sociologue et président de Tendances Institut « En parlant de “patronat”, Alain Minc replace le Medef dans une représentation verticale du pouvoir, qui est une vision ancienne. Et en l’opposant aux chefs d’entreprise, promus en vrai lieu de pouvoir, il ringardise ce patronat, faisant comme s’il ne comptait plus. Implicitement, Alain Minc raisonne comme si les corps intermédiaires n’avaient plus de rôle à jouer. Le fait qu’il valorise la CGT, le syndicat dont l’Élysée est aujourd’hui le plus proche, est bien le signe du peu de cas qu’il fait de ces corps intermédiaires. Cela me semble être une erreur d’analyse, qui reflète parfaitement celle de Nicolas Sarkozy, qui considère que le politique a le pas sur l’économie. »
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