"Des départements n'auront plus d'élevages dans dix ans"

Par Propos recueillis par Jean-Yves Paillé  |   |  830  mots
"Du côté des agriculteurs, il peut être intéressant que des organisations de producteurs se mettent en place (...) afin de constituer un contrepoids pour les négociations sur les prix", estime Thierry Pouch.
Le gouvernement est prêt à mettre sur la table 600 millions d'euros d'aides pour les éleveurs. Thierry Pouch, chef du service des études économiques de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture à Paris, déplore le manque de mesures sur le long terme et estime qu'une réorganisation des filières est nécessaire pour soulager le secteur.

La Tribune - Les mesures annoncées mercredi par le gouvernement seront-elles efficaces sur le long terme ?

Thierry Pouch. Ce plan va répondre à l'urgence pour des situations économiques et humaines dramatiques. Mais il manque des mesures sur le long terme. Au niveau du marché national, il y aura sans doute des effets positifs. Il faut toutefois rappeler que nous sommes dans une situation économique où le pouvoir d'achat progresse peu et le chômage est important. Une fraction de la population au regard de sa situation se tourne vers les premiers prix : les produits en provenance de l'étranger ou standards fabriqués chez nous.

Concernant les allègements et les reports de charges proposés: ce ne sont que des reports. Les agriculteurs devront dans 6 mois ou un an verser certaines cotisations aux organismes sociaux.

Par ailleurs, la BPI va garantir jusqu'à 500 millions d'euros de crédits bancaire aux trésoreries. C'est une bonne nouvelle, mais la Banque publique d'investissement ne prêtera pas d'argent. Elle accordera des des garanties au système bancaire pour qu'il puisse faire le nécessaire pour alléger la trésorerie des élevages ou accorder de nouveaux crédits. Or, le système bancaire aujourd'hui au regard de la crise depuis 2008 à laquelle s'ajoute celle de l'agriculture, est frileux pour accorder ces crédits. L'horizon économique n'est pas assez dégagé pour les banquiers qui voient la difficulté de rentabiliser les élevages.

Enfin, il est malheureusement peu question de prix et de visibilité sur le long terme. Que veut-on faire de l'élevage en France, quelles connexions établir entre l'élevage, les territoires et l'emploi ? Il n'y aura plus d'élevages dans certains départements en France d'ici 10 ans et on ne se pose pas la question de ce que l'on fera des territoires en friche.

Des réformes efficaces sont-elles possibles dans le cadre de l'Union européenne ?

Pour rappel, les réformes structurelles ont été enclenchées dans l'UE avec celles de la PAC à partir de 1992. Elles ont conduit à une dérégulation des marchés du lait, rendant les prix nettement inférieur à ceux du marché. On est entré dans une configuration où l'on demande aux agriculteurs de répondre aux signes du marché. Et ils font face à une concurrence mondiale très dure.

Pour améliorer la situation des éleveurs français, il faut notamment une réorganisation des filières. Du côté des agriculteurs, il peut être intéressant que des organisations de producteurs se mettent en place. S'ils s'entendent, ils peuvent ainsi constituer un contrepoids pour les négociations sur les prix. Il y a environ 130.000 éleveurs, une centaine de transformateurs (industriels, ndlr), entre 5 et 10 distributeurs. Plus vous êtes nombreux et moins vous avez de poids autour de la table dans ce contexte.

Avant 2008, il existait une interprofession laitière. Mais celle-ci a été supprimée par Christine Lagarde alors ministre de l'économie, via la direction générale de la concurrence. Avec l'existence de cette organisation, le secteur était considéré comme insuffisamment concurrentiel. On a vu ce que cela a donné : la crise laitière de 2009.

Pourquoi la crise des éleveurs s'est autant aggravée ces derniers mois ?

L'année dernière les éleveurs-producteurs de viande porcine ont subit une double peine. L'embargo sanitaire de février 2014 a été amplifié par l'embargo russe à partir d'août, signant la fermeture des importations de produit laitiers et viandes porcines. Les répercussions économiques ont été importantes, cela donne l'impression que l'Europe s'est tirée une balle dans le pied.

Tous les pays européens ont alors essayé d'écouler leurs productions. Ils se sont repliés sur le marché intracommunautaire, mais la demande n'était pas à la hauteur de l'offre. Le marché européen s'est vite trouvé saturé et cela a provoqué une baisse des prix.

En outre, beaucoup de producteurs ont tablé sur des augmentations de production. On leur avait dit que la croissance mondiale allait augmenter. Mais cela ne s'est pas produit. Outre les Russes qui ont moins acheté du fait de l'embargo, la Chine a produit et stocké plus de lait que prévu. Or le plan du gouvernement ne prend pas vraiment en compte ce ralentissement des importations chez les émergents.

Egalement, on a ouvert les vannes avec la fin des quotas laitiers. Les gros producteurs que sont l'Allemagne ou encore les Pays-Bas se sont préparés à conquérir les marchés. En France, les producteurs de laits s'y sont préparés trop tardivement.

Enfin, la viande bovine, en difficulté depuis des années, enregistre depuis longtemps une production au-dessus de la consommation. Pour rappel, celle-ci est en recul depuis les années 90 pour des raisons médicales, sanitaires et suite aux campagnes contre la consommation excessive de viande rouge notamment. En 2014, les éleveurs spécialisés dans la viande bovine se sont retrouvés avec un revenu moyen de 16.000 euros, alors qu'en moyenne un agriculteur a touché 24.000 euros.