France Stratégie pour un bouleversement de la fiscalité sur les successions

Par latribune.fr  |   |  896  mots
Le patrimoine des seniors a fortement augmenté par rapport aux autres tranches d'âge.
Le patrimoine des seniors ne cesse d'augmenter, relativement aux autres tranches d'âge. Les héritages confortent les inégalités existantes. Pour en sortir, il faut revoir la fiscalité des successions, souligne France Stratégie. En considérant non l'héritage mais ce qu'a reçu l'héritier tout au long de sa vie

« Peut on éviter une société d'héritiers ? ». En titrant ainsi sa dernière « note d'analyse », France Stratégie met les pieds dans le plat de la question des inégalités, qui, on le sait, sont encore plus fortes s'agissant du patrimoine que des revenus. Ce que montrent les experts de l'ex commissariat au Plan, c'est que, non seulement le patrimoine des ménages augmente, de façon évidemment inégalitaire, mais qu'il ne s'agit pas seulement d'une répartition par classe sociale : l'écart entre les âges ne cesse de croître, au profit des personnes âgées. Les chiffres sont frappants. Le patrimoine median des Français âgés de moins de 50 ans a diminué depuis 1986, relativement à celui de la catégorie des 50-59 ans, tandis que celui des 60 ans et plus a fortement progressé. Autrement dit, les plus de 60 ans se sont largement enrichis par rapport aux autres. La question de l'héritage et des héritier n'en est donc que plus cruciale.

Les inégalités confortées

« Les héritages confortent les inégalités existantes au sein d'une même génération » souligne l'étude. Les ménages déjà aisés se retrouvent encore plus riches grâce à l'héritage en provenance de parents assez fortunés. Les héritages et autres donations sont passés de 60 milliards à 250 milliards d'euros depuis 1980: ils représentent 19% du revenu global des ménages contre 8% voilà 35 ans... et pourraient peser pour un quart des revenus en 2050. Peut on se satisfaire de cette situation, accepter, donc, une société d'héritiers ? La question contient la réponse. Et pour faire évoluer cette situation, l'arme de politique économique est bien sûr à trouver du côté de la fiscalité, estime France Stratégie.

"La fiscalité en matière de successions et de donations est appelée à devenir un enjeu majeur pour la société française", souligne France Stratégie, organisme rattaché au Premier ministre. "Dans un contexte de croissance économique ralentie, ce mouvement risque d'accentuer la reproduction sociale", en figeant les inégalités existant entre héritiers et non-héritiers, prévient France Stratégie, qui s'inquiète d'une fin de la "méritocratie". Le système actuel, dont les principes ont été en grande partie fixés il y a plus de deux siècles, prévoit des barèmes d'imposition augmentant progressivement en fonction de la somme héritée, avec des tranches maximales allant jusqu'à 45% voire 60% selon le degré de parenté.

Mais "l'affichage ne correspond pas à la réalité", rappelle Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), qui assure que "95% des successions ne sont pas taxées".

Un système d'abattement a ainsi été mis en place pour faire sortir certaines transmissions de la base taxable. Les donations et legs à ses enfants sont ainsi exonérés d'impôts en dessous de 100.000 euros, quand les héritages d'assurance-vie sont taxés, eux, selon un barème spécifique. "Les taux officiels sont des taux de façade. En réalité, il y a de nombreuses stratégies pour réduire ses impôts", explique Jonathan Goupille, de l'Ecole d'économie de Paris, qui insiste sur l'existence de "multiples niches et dispositifs d'exonérations".

"Société à deux vitesses"

Pour l'Etat, mais aussi pour les particuliers, l'enjeu est de taille. Chaque année, 720.000 successions sont en effet ouvertes en France et plus de 550.000 donations sont effectuées. "Le problème, c'est que les exonérations bénéficient surtout aux ménages les mieux informés", souligne Antoine Bozio. Le système, en outre, n'incite pas à la transmission vers les jeunes, l'abattement étant identique pour les successions et les donations. "Il n'y a aucun intérêt fiscal à transmettre de son vivant", souligne ainsi France Stratégie.

Pour éviter l'apparition d'une "société à deux vitesses", où le patrimoine serait "hérité à un âge avancé par une petite partie de la population", l'institut dirigé par Jean Pisany-Ferry propose plusieurs pistes de réformes, destinées à simplifier un système jugé "complexe".

Parmi elles: une modification des règles d'abattement, ou bien la mise en place d'un système construit du point de vue des héritiers, avec un taux d'imposition calculé en fonction du patrimoine global hérité par les individus au cours de leur vie, et non en fonction de l'héritage perçu à chaque décès.

Schéma irlandais

Dans ce schéma, mis en oeuvre en Irlande depuis 1976, le taux de taxation augmenterait en fonction du montant de patrimoine hérité, pour "inciter les détenteurs de patrimoine à disperser leur héritage", en donnant aux personnes "ayant peu hérité", souligne France Stratégie.

Modification des paramètres ou bien remise à plat du système: quel que soit le modèle retenu, la réforme devra "favoriser la transmission du patrimoine aux jeunes", insiste pour sa part Jonathan Goupille. Une façon de réduire les inégalités, mais aussi de stimuler l'activité, en favorisant l'achat de résidences principales ou la création d'entreprises.t rop complexe, coûteuse et surtout pas assez redistributive: la fiscalité des successions est jugée inadaptée par nombre d'économistes qui appellent à modifier les règles du jeu pour renforcer l'égalité des chances et l'accès des jeunes générations au patrimoine.

(Avec AFP)