Fraude fiscale : le "verrou de Bercy" saute pour les gros fraudeurs

Par latribune.fr  |   |  684  mots
Grâce à ce "verrou desserré", l'administration pourrait "sans doute doubler" le nombre de dossiers fiscaux transmis à la justice, qui passerait de 1.000 à 2.000 par an, selon Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics. (Crédits : Reuters)
Les députés ont adopté le 19 septembre, à l'unanimité, moins cinq abstentions, la fin du "verrou de Bercy" pour les gros fraudeurs, le très controversé monopole exercé par l'administration sur les décisions de poursuite judiciaire pour les infractions fiscales. L'article adopté rend ainsi automatique la transmission des dossiers les plus graves à la justice, dont les montants sont supérieurs à 100.000 euros.

Un "verrou desserré". Par 112 voix pour et 5 abstentions, les députés ont approuvé mercredi en première lecture l'article du projet de loi antifraude qui instaure un mécanisme de transmission automatique au parquet des affaires ayant donné lieu à des pénalités administratives importantes. Le seuil déclenchant cette transmission est fixé à 100.000 euros.

Jusqu'à présent, le lancement des poursuites par le parquet était conditionné au dépôt d'une plainte du fisc, qui devait suivre l'avis d'un organisme indépendant, la Commission des infractions fiscales (CIF), fondé sur des éléments comme le montant du dossier ou les circonstances de la fraude. Autrement dit, le procureur de la République ne pouvait engager de poursuites pour fraudes sans une plainte du ministre du Budget. Toutefois, le fisc pourra toujours transmettre à la CIF des dossiers dont les montants sont inférieurs à 100.000 euros, si la gravité des faits le justifie ; un seuil qui ne satisfait pas complètement l'opposition.

Un verre "à moitié plein"

Après avoir tergiversé dans un premier temps, le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin s'était dit "ouvert" à des "aménagements" du verrou de Bercy, tout en se disant défavorable à sa suppression pure et simple. Le gouvernement s'est ainsi rangé derrière l'amendement de la députée LaRem Emilie Cariou, qui rend donc automatique la transmission des dossiers les plus graves, sans consultation préalable de la Commission des infractions fiscales. A la suite du vote d'hier, le ministre a vanté une "avancée décisive" et "historique".

« Il ne s'agit pas d'un changement de serrure (...) mais c'est vraiment la fin d'un verrou », a-t-il affirmé, rappelant le paradoxe sur ce dispositif controversé apparu en 1920, qui « n'existait pas légalement ».

Si l'opposition a globalement salué une avancée sur cette "exception à la française" qui constituait "une anomalie", certains élus de droite comme de gauche ont regretté que le verre soit "à moitié plein", principalement en raison du seuil de 100.000 euros. Au premier chef, Eric Coquerel, député de la France Insoumise, qui a plaidé, en vain, comme les socialistes - les seuls à s'abstenir -, et les communistes pour la suppression totale du verrou de Bercy, ou a minima, pour revoir le seuil à la baisse.

« Pourquoi conserver ne serait-ce qu'un bout de ce monopole? », a questionné le communiste Fabien Roussel, se félicitant toutefois qu'il soit "fissuré". Il a rappelé que c'est « l'affaire Cahuzac qui a mis le feu aux poudres », car en 2013, le ministre aurait dû, s'il n'avait pas démissionné, décider s'il allait faire suivre son propre dossier.

« Ne boudez pas votre plaisir ! », les a exhortés Jean-Louis Bourlanges (MoDem), rappelant qu'au début des discussions « personne n'y croyait » et que « le ministre paraissait dubitatif ».

De 1.000 à 2.500 dossiers fiscaux transmis à la justice

À ceux critiquant le seuil, le Gérald Darmanin a répondu qu'il ne serait pas "raisonnable" que les dossiers soient transmis "dès le premier euro". Il a aussi indiqué qu'une prochaine circulaire co-signée avec la garde des Sceaux prévoira notamment que "les agents des finances publiques sont déliés du secret professionnel à l'égard du procureur".

L'aménagement du "verrou" pourrait conduire à un doublement des affaires transmises par Bercy à la justice, qui serait alors amenée à traiter quelque 2.500 cas par an, selon une estimation de la Chancellerie.

L'article instituant une police fiscale à Bercy rétabli

D'autre part, les députés ont rétabli l'article, rejeté par le Sénat, renforçant les pouvoirs d'investigation de l'administration des impôts avec la création d'une police fiscale dépendant de Bercy. Constituée d'une cinquantaine d'agents, cette unité, qui travaillera avec les 250 officiers de douane judiciaire existants, pourra être saisie par le parquet national financier pour les dossiers de fraude les plus pointus, avec pour objectif d'en accélérer le traitement.

Sa création avait suscité d'importantes réserves du Conseil d'État, qui a soulevé le risque d'une "guerre des polices" avec la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale rattachée au ministère de l'Intérieur.

(avec AFP et Reuters)