6e vague de sanctions contre la Russie : pourquoi l'UE peine à finaliser l'embargo sur le pétrole

Par latribune.fr  |   |  1175  mots
Photo d'illustration: le champ pétrolifère de Yarakta, exploité par la compagnie russe Irkoutsk Oil Company (INK), est situé en Sibérie à plus de 1.000 km au nord d'Irkoutsk, le 10 mars 2019. (Crédits : Reuters)
L'UE est très dépendante de la Russie pour son approvisionnement énergétique (gaz, pétrole, charbon) mais cette dépendance est réciproque, la Russie exportant par exemple les deux tiers de son pétrole vers l'UE. De fait, pour assécher le financement de la machine de guerre russe engagée depuis le 24 février dans l'invasion de l'Ukraine, Bruxelles cherche à mettre en place un embargo pétrolier et gazier strict. Mais, avant, elle doit gérer deux écueils géostratégiques complexes qui ralentissent la finalisation du 6e train de sanctions qui vise tout l'écosystème pétrolier de la Russie, selon von der Leyen. Ce lundi, les ministres de l'Energie des Vingt-Sept à Bruxelles discuteront d'un embargo "progressif", mais aucune décision n'est attendue tant que la Commission n'aura pas parlé.

Actuellement le partenaire énergétique le plus important de l'Union européenne, la Russie compte pour 40% à 50% des importations européennes de gaz et de charbon et 20% à 25% des importations européennes d'hydrocarbures. Cette dépendance est réciproque la Russie exportant notamment les deux tiers de son pétrole vers l'Union européenne.

Pour contraindre la Russie à stopper son invasion destructrice et meurtrière de l'Ukraine, qui dure depuis le 24 février, l'UE a décrété cinq vagues de sanctions économiques à l'égard du pays et de sa classe dirigeante. Inefficaces pour l'instant.

Pour véritablement assécher le financement des forces armées de la Russie engagées depuis le 24 février dans l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne sait que la solution serait d'arrêter tout achat de produit énergétique issu de la Russie mais elle doit gérer des écueils géostratégiques importants avant de pouvoir mettre en place un embargo pétrolier et gazier strict.

Proposition d'un embargo "progressif"

En témoigne la difficulté à boucler le sixième train de sanctions qu'elle prépare contre la Russie puisqu'il pourrait inclure l'instauration d'un embargo sur les importations de pétrole russes d'ici la fin de l'année, selon les déclarations à Reuters de deux diplomates européens dimanche.

"Il y a une volonté politique de cesser les achats de pétrole à la Russie et nous aurons la semaine prochaine des mesures et une décision sur un retrait progressif", a affirmé un responsable européen impliqué dans les discussions.

La Commission européenne doit mettre sur la table une proposition d'embargo "avec une période de transition jusqu'à la fin de l'année", a également indiqué un diplomate européen.

La décision n'est "pas facile à mettre en oeuvre" en raison de deux difficultés, a cependant précisé le responsable européen.

"Un nouveau train de sanctions, qui est en préparation, est absolument indispensable", a estimé dimanche le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, lors d'une visite au Chili.

"Nous devons utiliser nos leviers économiques et financiers pour faire payer à la Russie ce qu'elle est en train de faire", a-t-il ajouté, estimant que le bombardement de l'aéroport d'Odessa signifiait que Moscou "avait l'intention de priver l'Ukraine de son accès à la mer".

Deux écueils: aider les pays européens ultradépendants, éteindre la flambée mondiale des prix

Au chapitre des obstacles qui entravent la décision d'un embargo sur les importations énergétiques russes, il y a la situation des pays très dépendants des hydrocarbures russe, comme la Hongrie et la Slovaquie. Ces deux pays européens enclavés dépendent complètement des oléoducs russes pour leur approvisionnement: ils ne sont reliés à aucun oléoduc européen et n'ont aucun port à disposition pour accueillir des tankers. Là tout est à faire : il faut construire des infrastructures qui assurent un approvisionnement sécurisé, et, avant cela, vu le temps requis par la construction desdites infrastructures (gazoduc européen?)... trouver des alternatives.

En outre, les décisions européennes d'embargo doivent être conçues pour ne pas alimenter voire accélérer la flambée mondiale des prix du pétrole, ce serait complètement contreproductif.

Même les États-Unis appellent à la prudence quant à un embargo strict et brutal:

"Nous devons être prudents avec une interdiction européenne complète des importations de pétrole", a mis en garde en avril la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen.

Un plafonnement des prix préconisé par les Etats-Unis est une "mesure intelligente" car elle évite les spéculations et le pétrole reste rémunérateur, mais "il faut qu'il s'applique au-delà des Européens et des Américains", a expliqué le responsable européen.

Von der Leyen veut mettre sous sanctions tout l'écosystème pétrolier de la Russie

La volonté européenne de diversifier ses approvisionnements et un calendrier de six à huit mois pour cesser les achats de pétrole et de produits pétroliers sont autant d'annonces destinées à éviter un emballement des marchés.

Le 6e paquet de mesures européennes préparé par la Commission présidée par Ursula von der Leyen va mettre sous sanctions tout l'écosystème pétrolier de la Russie. A court terme, l'une des mesures visera à renchérir le transport du pétrole russe par tanker.

La plus importante banque russe, la Sberbank, qui représente 37% du marché, doit par ailleurs être exclue du système de transactions Swift, ont indiqué plusieurs sources diplomatiques européennes. Ce sixième train de sanctions viserait également d'autres banques russes et des banques biélorusses, ainsi qu'une nouvelle liste de personnes et de sociétés.

Un week-end de négociations intenses

Des "confessionnaux" (des discussions privées) se sont déroulés durant le week-end entre responsables de la Commission européenne et représentants de plusieurs Etats membres de l'UE, mais aussi avec les Etats-Unis et avec l'Agence Internationale de l'Energie pour boucler les bases d'un accord qui sera soumis aux États-membre au travers de la réunion des ambassadeurs des Vingt-Sept prévue mercredi à Bruxelles.

Les ministres européens de l'Energie se réunissent également lundi à Bruxelles en session extraordinaire pour examiner la situation née de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, mais aucune décision n'est attendue car la Commission n'aura pas encore soumis ses propositions de sanctions.

La sanction sur le pétrole russe doit être approuvée à l'unanimité des 27 Etats membres, et c'est pourquoi la question des États-membres enclavés comme la Hongrie et la Slovaquie est devenue centrale:

"La Hongrie a jusqu'à présent toujours été au rendez-vous des sanctions et il faut éviter de lui donner un prétexte pour bloquer sur le pétrole", a plaidé le responsable européen.

L'UE a payé une facture de pétrole russe 4 fois plus importante que celle du gaz

En 2021, la Russie a fourni 30% du brut et 15% des produits pétroliers achetés par l'UE. "La facture des importations de pétrole russe était quatre fois plus importante que celle du gaz, 80 milliards de dollars contre 20 milliards", avait souligné à la mi-avril Josep Borrell.

Lire aussi 6 mnGaz russe : pourquoi l'Europe est piégée

L'Allemagne a annoncé avoir réduit sa dépendance au pétrole russe avec une baisse de ses importations de 35% à 12% au cours des dernières semaines, et soutient le principe d'un embargo progressif, a indiqué le ministre de l'Économie et du Climat, Robert Habeck.

(avec AFP et Reuters)

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EN CHIFFRES

L'extrême dépendance de l'UE aux importations énergétiques russes

L'UE dépend de la Russie pour

  • 40% à 50% de ses importations de gaz naturel
  • 20% à 25% de ses importations de pétrole
  • 40% env. de ses importations de combustibles solides (charbon surtout)

Certains Etats-membres de l'UE sont beaucoup plus dépendants que les autres à ces importations énergétiques. L'Allemagne, notamment, importe par exemple 55 % de son gaz et 42 % de son pétrole à la Russie, contre 17% et 9 % pour la France.

(Source: Public Sénat)