L'Europe "protectrice" sur l'agenda franco-allemand

Par Florence Autret  |   |  1078  mots
Le sujet de la mondialisation et la manière dont l'UE pourrait en atténuer les "effets négatifs" sur l'emploi et les entreprises européennes sera à l'ordre du jour de la rencontre lundi entre Emmanuel Macron et Angela Merkel.
Emmanuel Macron et Angela Merkel pourraient surfer sur l'agenda législatif européen pour afficher des convergences sur la politique antidumping de l'UE et montrer que celle-ci est prête à faire face aux appétits chinois.

On a beaucoup parlé des voies et moyens pour réformer la fonctionnement de la zone euro pendant la campagne électorale française. Le sujet étant particulièrement glissant en Allemagne, Paris et Berlin pourrait investir rapidement un autre terrain pour donner les premiers gages d'une entente renouvelée: la mondialisation et la manière dont l'Union européenne pourrait en atténuer les "effets négatifs" sur l'emploi et les entreprises européennes. Le sujet sera à l'ordre du jour de la rencontre lundi entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Alors que la Commission européenne vient de publier un document "Comment l'UE peut maîtriser la mondialisation", plusieurs dossiers sont depuis des mois, voire des années, dans le circuit des institutions européennes et pourraient aboutir grâce à un impetus bienvenu des deux capitales.

Les instruments de défense commerciale

Depuis trois mois, les ministres des Vingt-Huit et les députés européens tentent de réconcilier leurs positions sur une réforme des procédures au terme desquelles l'UE peut infliger des taxes punitives aux produits étrangers dont les entreprises ont des pratiques commerciales déloyales. Le dossier est resté bloquer pendant des années au niveau des ministres à cause du différend entre les pays peu désireux de muscler les pouvoirs de la Commission européenne et d'autres qui souhaitent augmenter fortement les possibilités de sanctions.

Tandis que Berlin, sous la pression d'une industrie automobile, grande consommatrice d'acier chinois, se plaçait dans le camp des premiers, Emmanuel Macron, alors ministre des finances s'était résolument placé dans le camp des seconds au nom des difficultés rencontrées par l'industrie sidérurgique européenne. Une position plus en ligne avec celle arrêtée en 2014 par un Parlement européen, qui n'était pas encore sous l'emprise du centre-droit.

Bloqué par l'indécision des ministres, la réforme des instruments commerciaux a été relancée par l'adoption cette semaine d'une "position commune" par les ministres. Si elle reste très éloignée de la ligne parlementaire, elle permet, concrètement, la relance et probablement la finalisation des négociations dans les mois à venir.  L'enjeu : le raccourcissement des délais d'examen des plaintes, actuellement entre 18 et 24 mois, soit plus du double des procédures américaines, et surtout la possibilité de prendre plus facilement des "mesures préventives", dont la Commission européenne a d'ailleurs, face à l'indécision des gouvernements nationaux, commencé à prendre l'année dernière au cas par cas au sujet de l'acier chinois.

Le calcul des droits exceptionnels

Depuis des années, certains industriels particulièrement frappés par la concurrence des pays émergents dénoncent la règle des "moindres droits" qui limite, de facto, autour de 25 à 35% les droits applicables par l'Union européenne, tandis que ceux décidés par le Département du Commerce américain peuvent aller très au-delà des 100%. L'écart entre Etats-Unis et Europe est frappant, comme le montre une estimation faite par le lobby européen des producteurs d'acier, Eurofer.

Ici, c'est la fin du protocole international sur le statut de la Chine à l'OMC qui a accéléré les choses. Pressés par le flou juridique découlant de l'expiration du protocole fin 2016, les ministres européens, après deux années de blocage, ont arrêté leur position début 2017 sur la base d'une nouvelle proposition de la Commission. Comme dans le cas des instruments de défense commerciale, leur ligne est nettement plus favorable au libre-échange que celle des députés. Mais elle permet de reprendre les discussions et laisse entrevoir la possibilité d'un compromis.

Soucieuse de ne pas s'exposer à des poursuites devant l'Organisation mondiale du commerce, la Commission européenne a cherché à revoir la méthodologie actuellement utilisée pour évaluer un éventuel dumping et justifier des droits supplémentaires en appréciant d'éventuelles "distorsions significatives" induites  par l'intervention de l'Etat dans le marché.

Deux sujets, donc, hautement conflictuels entre Européens mais sur lesquels une position commune franco-allemande changerait la donne.

La protection des investissements

Un troisième sujet, tout aussi politique, risque de remonter plus haut sur l'agenda : le contrôle des investissements étrangers dans les entreprises européennes. En février dernier, les ministres de l'économie italien, allemand et français avaient écrit à la commissaire au commerce, la libérale suédoise Cecilia Malmström, pour lui dire leurs inquiétudes et lui demander de réagir.

"Au cours des dernières années, des investisseurs non-européen ont repris de plus en plus d'entreprises européennes détentrices de compétences technologiques clés pour des raisons stratégiques. Dans le même temps, les investisseurs européens ne jouissent pas des mêmes droits dans les pays d'origine respectifs que ces investisseurs non-européens", ont écrit Carlo Calenda, Brigitte Zypries et Michel Sapin.

Le "bradage" de l'expertise européenne justifierait, à leurs yeux, d'établir une nouvelle doctrine de contrôle des investissements au niveau européen sur la base de critères de réciprocité en matière de liberté d'investissement, de transparence comptable ou encore de distorsions des règles du marché, notamment par des subventions publiques aux investisseurs. Le sujet est devenu de plus en plus polémique dans une Allemagne très soucieuse de protéger le capital de ses fleurons industriels et où toutefois les investissements chinois ont explosé au cours des dernières années. Selon une étude du cabinet Ernst & Young, le nombre  de prises de participations ou de rachats d'entreprises européennes par des investissements chinois est passé de 40 en 2006 à 183 en 2015. Au premier semestre 2016, ce chiffre s'élevait déjà à 164, tandis que la valeur des investissements pendant ces six mois aurait été le double de celle constatée pour l'ensemble de 2015, les cibles étant situées principalement en France et, surtout, en Allemagne

La demande franco-italo-allemande n'a pas encore débouché sur des propositions concrètes de la part de la Commission. Mais cette dernière, qui est en train de négocier un accord commercial avec la Chine, ne peut pas ne pas en tenir compte. Ce sera d'autant plus le cas si le sujet venait à être porté par les chefs d'Etat et de gouvernement. Or sur ce terrain, les intérêts entre un président français sans majorité claire et une chancelière en quête de réélection pourraient s'avérer fortement convergents.