L'OCDE dénonce la précarité dans l'emploi, source d'inégalités

Par Ivan Best, avec AFP  |   |  811  mots
Part du revenu global revenant à la minorité la plus aisée (1% des ménages), en 1981 (bas de la flèche) et en 2012 (haut de la flèche)
Les inégalités atteignent un niveau record dans les pays industriels, souligne un rapport de l'OCDE publié ce jeudi. 40% des ménages voient leurs revenus baisser. L'organisation met l'accent sur la dégradation des conditions de travail, notamment les emplois précaires et le temps partiel contraint

Les inégalités ont atteint des niveaux record dans la plupart des pays restent plus élevées encore dans beaucoup d'économies émergentes, selon un rapport de l'OCDE publié ce jeudi. Le rapport met en exergue le fait que la course à l'inégalité n'a pas été stoppée par la crise, bien au contraire. Alors qu'on insistait auparavant sur l'accroissement des écarts de revenus entre les 5% les plus riches, voyant leurs ressources augmenter rapidement alors que le reste de la population ne bénéficiait guère d'augmentation, ou alors plus modeste,  le constat s'aggrave depuis la crise. "On peut considérer en moyenne que les 40% de la population en bas de l'échelle voient leurs revenus diminuer, nous changeons de dimension" souligne une expert. Entre 2007 et 2011, le revenu réel (corrigé de l'inflation) des 40% de ménages les moins aisés a diminué de près de 4%, estime l'OCDE. Si, depuis 1995, les 10% les plus riches ont vu leur revenu réel progresser de 51%, il n'a augmenté que de 25% pour ces 40% du bas de l'échelle.

"Un point critique"

Aujourd'hui, dans la zone OCDE qui regroupe 34 pays, les 10% les plus riches de la population ont un revenu 9,6 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres, alors que la proportion était de 7,1 fois dans les années 1980 et 9,1 fois dans les années 2000. Les inégalités sont encore plus criantes en termes de patrimoine, souligne le rapport.

"Nous avons atteint un point critique. Les inégalités dans les pays de l'OCDE n'ont jamais été aussi élevées depuis que nous les mesurons", a déclaré le Secrétaire général de l'organisation, Angel Gurría, en présentant le rapport, à Paris, au côté de Marianne Thyssen, Commissaire européenne à l'emploi.

"En ne s'attaquant pas au problème des inégalités, les gouvernements affaiblissent le tissu social dans leur pays et compromettent leur croissance économique à long terme", a-t-il ajouté. L'OCDE estime que la montée des inégalités, entre 1985 et 2005, dans les 19 pays analysés, a amputé la croissance de 4,7 points de pourcentage en cumulé entre 1990 et 2010. L'organisation estime en effet qu'en empêchant une grande partie de la population d'accéder à une formation de qualité, la montée des inégalités mine le capital humain et donc les possibilités de croissance.

Emplois précaires

La nouveauté de ce rapport, en regard des deux précédents sur le sujet (parus en 2008 et 2011) est notamment l'insistance qu'il met à dénoncer les effets de la précarité croissante dans l'emploi.  Entre 1995 et 2013, plus de la moitié des emplois créés dans les pays de l'OCDE étaient à temps partiel, sous contrat à durée déterminée ou relevaient de travailleurs indépendants. Plus de la moitié des emplois temporaires étaient occupés par des moins de 30 ans.

L'OCDE schizophrène?

L'OCDE voit là un facteur d'inégalités croissante, qu'elle entend dénoncer. L'organisation n'est-elle pas un peu schizophrène, qui prône dans maints rapport publiés par ailleurs une libéralisation des marchés du travail, un assouplissement des règles existantes? Celle-ci conduit à l'évidence à une précarité accrue. Officiellement, bien sûr, cette schizophrénie n'existe pas. Mais, mezzo vocce, un expert souligne l'écart entre les positions prises par les services de l'OCDE chargés de suivre les questions sociales et celui en charge de l'économie. Les premiers affichent leur préoccupation pour les questions sociales -les inégalités, comme le montre le document publié ce mercredi- tandis que le service économie défend toujours une ligne très libérale. D'où des différences de points de vue qui peuvent déconcerter les observateurs.

 Encourager l'accès à des emplois plus stables

 Pour réduire les inégalités et stimuler la croissance, l'OCDE recommande aux gouvernements de promouvoir l'égalité entre hommes et femmes en matière d'emploi, d'élargir l'accès à des emplois plus stables et d'encourager les investissements dans l'éducation et la formation tout au long de la vie active.

Les inégalités dans les pays de l'OCDE sont le plus marquées au Chili, au Mexique, en Turquie, aux Etats-Unis et en Israël, et le moins au Danemark, en Slovénie, en République slovaque et en Norvège. Elles sont plus importantes encore dans les grandes économies émergentes mais se sont réduites dans de nombreux pays, notamment au Brésil, souligne le rapport.

La redistribution par le biais de l'impôt est aussi un moyen efficace de réduire les inégalités, selon le rapport, qui relève que l'efficacité des mécanismes de redistribution s'est amoindrie dans de nombreux pays ces dernières décennies. Les politiques publiques doivent garantir que les plus riches, mais aussi les entreprises multinationales, paient leur part de la charge fiscale, souligne l'Organisation.