La distorsion de concurrence du plan Biden pour le climat peut « fragmenter l'Occident », prévient Emmanuel Macron

Par latribune.fr  |   |  824  mots
Emmanuel Macron a fustigé l'Inflation Reduction Act (Crédits : POOL)
Le président français Emmanuel Macron, en visite d'Etat à Washington, a prévenu mercredi les Etats-Unis que leur programme d'investissements et de subventions de 430 milliards de dollars pour aider leurs entreprises et lutter contre l'inflation risquait de « fragmenter l'Occident ».

En visite d'Etat aux Etats-Unis, Emmanuel Macron s'est voulu « direct » et a tapé fort sur les subventions prévues dans le grand plan climat de Joe Biden, qui favorisent les produits « made in USA ». Après les avoir qualifiées, de « super agressives » sur le plan commercial (même s'il « partage les objectifs »), le président français a indiqué que l'Inflation réduction Act (IRA), ce programme américain d'investissements et de subventions de 430 milliards de dollars pour aider leurs entreprises et lutter contre l'inflation (dont 370 milliards pour réduire les émissions de CO2 de 40% d'ici à 2030), risquait de « fragmenter l'Occident ».

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 Il y a un « risque » que « l'Europe et la France deviennent une sorte de variable d'ajustement » de la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine, les deux premières puissances mondiales, a-t-il prévenu devant la communauté française à l'ambassade de France à Washington. Selon lui, l'IRA « crée de telles différences entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Europe que ceux qui travaillent dans nombre d'entreprises vont juste se dire "on ne fait plus d'investissements de l'autre côté de l'océan" » Atlantique. S'il ne « croit pas une seconde » à une volte-face américaine, le chef de l'Etat français plaide en revanche pour une meilleure synchronisation entre les Etats-Unis et l'Europe.

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Renforcer la coordination

Lors d'une conférence de presse quelques heures plus tôt, il avait déclaré :

« Je ne veux pas devenir un marché pour les produits américains parce que j'ai exactement les mêmes produits que vous. J'ai une classe moyenne (qui doit) travailler et des gens qui doivent trouver du boulot. Et la conséquence de l'IRA est que vous allez peut-être régler votre problème mais vous allez aggraver le mien. Je suis navré d'être aussi direct », a déclaré Emmanuel Macron.

Un avis que ne partage pas la Maison Blanche pour qui cet « Inflation Reduction Act » crée "des opportunités significatives pour les entreprises européennes et pour la sécurité énergétique européenne. « Ce n'est pas un jeu à somme nulle », a déclaré la porte-parole de Joe Biden, Karine Jean-Pierre.

Le risque est colossal pour la France

« Compte tenu de la nature des soutiens et de leur caractère très massif, ce plan ne respecte pas les règles de l'OMC », indiquait récemment Elisabeth Borne aux Echos. Il pourrait « faire perdre (à la France) 10 milliards d'euros d'investissements en France et 10.000 créations potentielles d'emplois ». L'Europe ne peut pas être le seul endroit où il n'y a pas de « Buy European Act » (visant à confier des marchés à des entreprises européennes, NDLR).

Le risque des délocalisations énergétiques

Le risque de distorsion de concurrence provoqué par l'IRA s'ajoute à la différence du coût de l'énergie entre les Etats-Unis et l'Europe qui accentue le risque de délocalisations.

En Allemagne, le chimiste BASF n'exclut pas en effet de transférer hors d'Europe ses productions les plus « gourmandes en énergie ». En France, le verrier Duralex a reçu lundi un prêt d'urgence de l'Etat pour passer l'hiver : partout en Europe, l'industrie craint les délocalisations d'usines vers des pays où l'énergie coûte moins cher.

« Le risque de délocalisation énergétique, ou plutôt de "grand déplacement industriel" au profit de zones attractives comme les Etats-Unis ou l'Asie, est actuellement le gros risque structurel » qui pèse sur l'Europe, résumait récemment pour l'AFP Nicolas de Warren, président de l'Uniden qui représente 36 industriels pesant plus de 70% de l'énergie industrielle consommée en France, dans l'agroalimentaire, l'automobile, la chimie, le ciment, l'électronique, les métaux, le papier, le transport ou le verre.

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Ces délocalisations énergétiques ne prendraient pas la forme de rachats d'entreprises comme dans les années 90, mais de transfert de charge de travail « site par site », dit-il.

C'est déjà le cas dans les engrais et l'ammoniac, qui dépendent à plus de 80% du prix du gaz. Bon nombre d'entreprises ont mis leurs usines sous cocon pour aller produire dans des zones du monde où le gaz est moins cher. En Normandie (nord-ouest de la France), Fabrice Tourres, le président d'Univerre, un fabricant de bouteilles en verre, voit lui « arriver les premières livraisons venant d'Asie », selon le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux. Jusqu'ici le verre, dont l'énergie représente 30% du coût de revient, était produit localement parce que lourd et donc cher à transporter.

Le sidérurgiste ArcelorMittal a pour sa part déjà fermé temporairement plusieurs haut fourneaux cet automne, en Espagne, en Allemagne et en France, sous la pression de la baisse de la demande d'acier sur le vieux continent et de l'énergie.

(avec AFP)