Quand l'Union européenne veut "maîtriser" la mondialisation

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  859  mots
Frans Timmermans et Jyrki Katainen, vice-présidents de la Commission européenne
Les Européens sont encore loin d'un consensus sur une stratégie renouvelée pour atténuer les effets négatifs de la mondialisation. Illustration involontaire par un duo de commissaires européens.

Il y avait comme une nuance entre le vice-président finlandais de la Commission européenne, Jyrki Katainen, et son homologue néerlandais Frans Timmermans, ce jeudi, lors de leur présentation en binôme du "document de réflexion" de la Commission européenne sur la mondialisation.

Le conquérant et le prudent

Le premier, ancien ministre des Finances de centre-droit de 46 ans, a certes admis que la mondialisation pouvait avoir "des retombées négatives" auxquelles il fallait « faire face », mais il n'a rien lâché sur le principe des bienfaits d'une concurrence économique élargie aux dimensions du globe. Dès lors, l'essentiel est d' "augmenter la résilience des entreprises et des individus".

« Rien ne nous (les Européens) empêche d'être leader mondial dans n'importe quel domaine », a-t-il lancé à l'adresse de ceux qui déplore la concurrence déloyale d'autres blocs économiques.

Le ton de son confrère néerlandais, un ancien ministre des Affaires étrangères social-démocrate de 56 ans, était nettement moins conquérant. "Nous sommes en train de vivre des changements tectoniques dont les gens font les frais », a expliqué Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission et proche de Jean-Claude Juncker.

« Lors de la troisième révolution industrielle, nous avons vu qu'il y avait des perdants et des gagnants et qu'il faut refaire le contrat social pour assurer la distribution de tout ce que peut nous apporter la globalisation", a-t-il expliqué, reconnaissant que "partout dans le monde, les acteurs ont du mal à (la) comprendre".

Pour ce dernier, « notre modèle économique doit être basé sur nos valeurs et nos valeurs ne sont pas le résultat du modèle économique mais l'inverse ». Or la mondialisation n'aurait "pas de sens pour nos citoyens si les bénéfices ne sont pas partagés de manière juste et équitable". Pour le premier, "la mondialisation n'est pas une source d'inégalités... si nous arrivons à nous intéresser aux causes des inégalités", assure-t-il, tout en soulignant que "plus un pays est ouvert, plus il joue sur un pied d'égalité avec le reste du monde".

Plus les économies sont ouvertes, plus les inégalités (mesurées par le coefficient Gini) sont réduites, souligne la Commission européenne.

Pas de place pour la préférence nationale ou européenne

"Nous ne pouvons répondre à toutes les préoccupations en conférant de nouveaux pouvoirs à la Commission européenne", a répondu Jyrki Katainen à l'adresse de ceux qui aimerait voir Bruxelles contrôler les investissements en Europe de groupes chinois aux règles comptables et au capital opaques.

Pour Frans Timmermans, "s'il y a une chose que nous avons appris au cours des 10 ou 20 dernières années, c'est que sur la scène mondiale, les marchés ne tournent pas tous seuls. Il y a des régions du monde où il y a des interférences ou des ingérences importantes de la part des autorités publiques ou d'autres acteurs".

Les deux s'entendent sur l'utilité de bâtir sur l'esquisse de gouvernance mondiale que sont le G7 et le G20, rappelant que l'Union européenne a proposé la création d'un « tribunal mondial » destiné à traiter les différends entre les Etats et les investisseurs.

Compromis contesté sur l'antidumping

Ironiquement, le lendemain de la présentation de ce qui est présenté comme un « document de réflexion » et non un papier stratégique, les ministres des Vingt-Huit adoptaient une position commune sur les instruments antidumping. Un texte à la technicité repoussante qui vise à revoir la méthodologie d'appréciation des coûts de production de façon à pouvoir, en cas de dumping, lever des taxes à l'importation.

La décision a immédiatement provoqué la colère des sociaux-démocrates au Parlement européen qui y voient l'influence des grands importateurs de produits industriels chinois au premier rang desquels l'Allemagne.

« Une nouvelle fois, la position du Conseil nous démontre que la politique industrielle en Europe n'occupe pas la place stratégique qu'elle le devrait. C'est l'illustration d'un défaut d'Europe qui est en jeu alors qu'il est d'une nécessité impérieuse que l'Union européenne protège ses travailleurs et son tissu industriel», estime Edouard Martin, rapporteur du groupe socialiste et démocrate au sein de la Commission ITRE (industrie), suite à l'accord entre ministres.

L'affaire se réglera dans les mois qui viennent dans des négociations serrées et largement incompréhensibles du grand public entre représentants du parlement et du conseil des ministres.

Les Européens divisés

La principale conclusion à tirer des laborieuses discussions sur l'encadrement du commerce international et du document de la Commission, qui fait quelques recommandations difficilement discutables sur le besoin d'améliorer les systèmes de formation ou de protection sociale, est qu'avant d'être en désaccord avec le Chine ou les Etats-Unis, les Européens le sont entre eux et ont besoin de frotter leurs valeurs et leurs principes les uns aux autres... sans avoir le loisir de se mettre, pendant ce temps, en retrait d'une compétition mondiale qui les a beaucoup enrichis.