Réforme bancaire : le projet de Michel Barnier reçoit une volée de bois vert

Par Christine Lejoux  |   |  992  mots
Attaqué sur son projet de réforme bancaire, Michel Barnier a rétorqué que "c'est la spéculation" qui a fragilisé la confiance et la croissance, et non un excès de réglementations. REUTERS.
Le commissaire européen chargé des Services financiers a présenté, mercredi 29 janvier, son projet très attendu de réforme du secteur bancaire. Ce texte, qui va au-delà des lois bancaires française et allemande votées en 2013, a déclenché les foudres des banques de part et d’autre du Rhin.

Il en coûte de ne pas (trop) céder au lobby bancaire. Michel Barnier, le commissaire européen chargé des Services financiers, en a fait l'expérience mercredi 29 janvier, après la présentation de son très attendu projet de réforme bancaire. Celui-ci a déclenché une véritable levée de boucliers, notamment de la part de la France. Qu'y a-t-il donc dans ce texte, pourtant beaucoup plus "soft" que le rapport Liikanen de 2012 - qui préconisait de séparer les activités de banque de détail (collecte des dépôts et crédits aux particuliers et aux entreprises) de celles de marchés - pour provoquer une telle levée de bois vert ?

D'abord, le projet de la Commission, qui vise à mieux encadrer les activités risquées des 30 plus grandes banques européennes afin d'éviter une répétition de la crise financière de 2008, interdit purement et simplement à ces dernières de spéculer pour leur propre compte. S'inspirant de la règle Volcker américaine, la Commission européenne estime que cette activité comporte de nombreux risques sans pour autant apporter d'avantages tangibles aux clients des banques et à l'économie dans son ensemble. Certes, le trading pour compte propre est une activité éminemment lucrative mais nombre de banques européennes avaient déjà réduit la voilure dans ce domaine.

 La tenue de marché dans la ligne de mire du projet Barnier

C'est donc moins ce premier volet du projet européen de réforme bancaire qui leur pose problème que la filialisation de certaines activités de marchés jugées risquées par les superviseurs locaux, en l'occurrence la Banque centrale européenne (BCE) pour la zone euro. Car, parmi ces activités, figure la tenue de marché, qui consiste, pour les banques, à acheter des titres afin d'assurer la liquidité des marchés pour leurs clients, par exemple pour des entreprises émettant des obligations. Un métier dont on peut certes redouter qu'il abrite des activités spéculatives mais qui n'en est pas moins très important pour le financement de l'économie.

 "A travers la filialisation de la plus grande partie des activités de marchés, le projet de la Commission européenne remet en cause la possibilité, pour les banques européennes continentales, d'accompagner de façon efficace les entreprises sur les marchés",

gronde la Fédération bancaire française (FBF). Une remise en cause d'autant plus dommageable que la désintermédiation, c'est-à-dire le financement des entreprises par les marchés, est appelée à se développer dans les prochaines années, les nouvelles contraintes réglementaires pesant sur les banques devant inciter ces dernières à consentir moins de crédits.

 Un désavantage compétitif pour les banques européennes

Pour mémoire, la loi française de régulation et de séparation des activités bancaires, votée le 26 juillet dernier, maintient, elle, la tenue de marché au sein de la maison-mère. Ce qui rend cette activité bien moins coûteuse que si elle était cantonnée dans une filiale ad hoc, laquelle devrait disposer de fonds propres spécifiques, comme l'exige le projet de Michel Barnier.

"La filialisation de la tenue de marché conduirait à un renchérissement considérable de cette activité, (donnant ainsi) un avantage compétitif injustifié aux banques américaines (et entraînant) un impact négatif sur le coût du financement des entreprises",

insiste la FBF.

La Fédération européenne des banques s'est dite, elle aussi, "profondément préoccupée". Quant à la fédération bancaire allemande, elle a mis en garde contre "le danger que les instituts de crédit ne puissent plus offrir à leurs clients autant de services qu'avant". Une inquiétude partagée par Pierre Gattaz, le président du Medef, qui "regrette que le projet remette en cause les services complets proposés par nos banques universelles aux entreprises", et qui redoute "de multiples distorsions de concurrence", au détriment des établissements européens de crédit. Dans la même veine, Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace - le lobby de la place financière de Paris - et patron de GDF Suez, fustige un projet qui "menace la possibilité de maintenir un système bancaire européen compétitif, au service du financement de l'économie."

 Christian Noyer qualifie les idées de Michel Barnier "d'irresponsables"

Mais c'est à Christian Noyer que revient la palme de la virulence. S'exprimant dans le cadre des 23èmes rencontres parlementaires sur l'épargne, le gouverneur de la Banque de France a qualifié "les idées mises sur la table par le commissaire Barnier d'irresponsables et (de) contraires aux intérêts de l'économie européenne." Evoquant la montée en puissance de la désintermédiation, Christian Noyer a livré un véritable plaidoyer en faveur du maintien de la tenue de marché au sein des maisons-mères, jugeant "indispensable que les banques universelles continuent à faire ce travail d'amener les entreprises sur le marché, de vendre les obligations à des investisseurs institutionnels, d'assurer elles-mêmes la liquidité de ces titres".

 Michel Barnier ne s'est guère laissé émouvoir par ce déluge de critiques. Ce qui a fragilisé la confiance et la croissance,

"ce n'est pas l'excès de règles, c'est la spéculation, l'opacité de certaines transactions, le risque de faillite désordonnée qu'on demande au contribuable de payer, sans parler d'un certain nombre de manipulations",

a rétorqué le commissaire européen en charge des Services financiers. Seule consolation pour les banques, le projet européen de réforme bancaire doit faire l'objet d'un accord avec les pays membres et le Parlement européen, accord qui n'a rien d'acquis. Et quand bien même celui-ci serait trouvé, les propositions de la Commission européenne n'entreraient pas en vigueur avant 2017.