Conseiller bancaire, une profession à réinventer

Par Christine Lejoux  |   |  1015  mots
Près d'un quart des clients de banques françaises sondés par le cabinet Deloitte n'utilisent plus les services de leur agence, et ils sont déjà 13% à recourir exclusivement à Internet. Une évolution qui nécessite de repenser le rôle du conseiller bancaire.

« Une révolution copernicienne. »

C'est ainsi que Daniel Pion, associé chez Deloitte, a défini l'impact à venir de la révolution numérique sur le métier de conseiller bancaire, lors d'une conférence de presse, le 17 septembre. Une révolution numérique qui se traduit d'abord par la montée en puissance de l'Internet dans la relation entre les banques et leurs clients, au détriment de la fréquentation des agences.

D'après un sondage réalisé par le cabinet de conseil en stratégie, près d'un quart (24%) des 3.292 clients de banques françaises interrogés confessent ne plus utiliser les services de leur agence. L'an dernier, cette proportion n'était encore que de 14%.

« Insuffler du nomadisme dans les réseaux »

À l'inverse, 13 % des sondés affirment utiliser Internet, et Internet seulement, dans le cadre de leur relation bancaire, contre 9% en 2014. Et, par « Internet », il faut comprendre « Internet mobile » : 21% des sondés utilisent leur smartphone pour effectuer des opérations bancaires simples, telles que des virements, contre 17 % un an plus tôt. Par ricochet, la part de ceux qui se rendent en agence pour réaliser ce type d'opérations a été ramenée de 30 à 24%, en l'espace d'un an.

« L'Internet mobile, dont la fréquence d'utilisation est maintenant supérieure à celle de l'Internet fixe, est en train de prendre le pouvoir dans la relation bancaire », insiste Daniel Pion.

Résultat, « il faut insuffler du nomadisme aux réseaux bancaires », estime l'expert. Autrement dit, les conseillers bancaires ne devront plus se contenter de convoquer leurs clients en agence, quand l'envie les prendra de leur vendre de nouveaux produits. Demain, le conseiller devra se déplacer au domicile ou au bureau de son client, en fonction des besoins de ce dernier. Autre conséquence de la montée en régime de l'Internet mobile dans la relation bancaire, celle-ci est désormais « omnicanal. » Concrètement, dans le cadre de la souscription d'un crédit immobilier, par exemple, le client peut commencer par effectuer une simulation sur le site Internet de sa banque, demander ensuite des précisions à un conseiller à distance via le « chat » mobile, puis finaliser l'opération en agence avec son chargé de clientèle habituel. C'est dire si ce dernier va devoir apprendre à « partager » ses clients avec d'autres collaborateurs de la banque.

« En raison du développement de l'omnicanal, le client appartiendra désormais à la banque, avant d'appartenir à un conseiller. Celui-ci ne sera plus forcément au centre de la relation bancaire, ce qui impliquera un changement d'état d'esprit », souligne Daniel Pion. « Les conseillers clientèle devront gérer leur fonds de commerce différemment, en prenant notamment en compte l'essor de l'omnicanal. Ils seront certainement encore plus réactifs, plus pointus qu'aujourd'hui », confirme Hervé d'Harcourt, directeur de la stratégie et du développement social chez BPCE.

Un formidable enjeu de ressources humaines

La révolution numérique modifie en outre le rapport de forces entre le client et le conseiller bancaire, dans la mesure où les moteurs de recherche et les forums sur Internet permettent au premier d'arriver très renseigné dans le bureau du second. À tel point que près d'un tiers (32%) des Français interrogés par Deloitte considèrent en savoir davantage que leur conseiller en matière de gestion de budget.

« Avant, un conseiller voyait un client cinq ou six fois pour un crédit immobilier. Aujourd'hui, deux rendez-vous suffisent, les clients, grâce à Internet, en sachant, sur le sujet, quasiment autant que le conseiller lorsqu'ils arrivent en agence », témoigne Régis Dos Santos, président national du syndicat SNB/CFE-CGC.

Dans ces conditions, les compétences techniques des conseillers devront être revues, afin que ceux-ci soient en mesure de délivrer davantage de valeur ajoutée aux clients. Cette montée en compétences des conseillers est d'autant plus nécessaire que leur métier commence à subir une nouvelle forme de concurrence, celle des fintech, ces startups spécialisées dans les technologies financières.

« Les fintech ne se contentent plus d'attaquer les banques sur les flux d'argent tels que les transferts, elles attaquent désormais le coeur du métier bancaire, à savoir le conseil financier, la gestion des finances personnelles et des investissements », analyse Baudoin Choppin de Janvry, directeur conseil chez Deloitte.

Et les arguments de simplicité et de transparence des fintech font à ce point mouche auprès des consommateurs, que 32% des Français se disent prêts à ouvrir un compte bancaire ailleurs que dans une banque traditionnelle. Certes, il ne s'agit là que de déclarations d'intention mais « le risque d'attrition [de la clientèle] progresse », prévient Deloitte.

« Faudra-t-il recruter les conseillers dans les universités de sociologie ou de psychologie »

Pour retenir leurs clients, qui leur reprochent principalement la vente de produits inadaptés à leurs besoins, les banques devront par ailleurs développer un modèle de conseil basé sur « une proposition de valeur ultrapersonnalisée », poursuit le cabinet. Aussi les conseillers bancaires devront-ils apprendre à travailler avec les spécialistes des mégadonnées, capables d'analyser d'énormes masses de données provenant tant des bases clients que des réseaux sociaux, dans le but de cerner au mieux les besoins des clients et de leur faire les propositions commerciales les plus pertinentes.

L'objectif final des banques étant de tenter d'offrir à leurs clients une relation aussi satisfaisante que celle à laquelle Amazon et autres géants de l'e-commerce les ont habitués. Au Royaume-Uni, la jeune Metro Bank, qui s'efforce (avec succès) d'appliquer les recettes commerciales d'Apple, « recrute dans de grands hôtels, où elle repère les personnes dotées d'un grand sens du service », affirme Daniel Pion. Chantal Marchand, secrétaire nationale de la Fédération CFDT Banques et Assurances, va plus loin encore:

« Demain, peut-être faudra-t-il recruter les conseillers bancaires dans les universités de sociologie ou de psychologie, afin de disposer de collaborateurs capables de cerner au mieux les besoins des clients. »

Nul doute que la révolution numérique constitue, pour les banques, un enjeu de ressources humaines, plus encore qu'un enjeu technologique.