Les Caisses d'Epargne bientôt rattrapées par l'affaire Doubl'O ?

Par Laura Fort  |   |  1177  mots
Copyright Reuters
La Caisse d'Epargne Loire Drôme Ardèche sera jugée devant le tribunal correctionnel le 8 novembre dans le cadre de l'affaire Doubl'ô. Le jugement pourrait créer un précédent pour les souscripteurs des autres caisses, empêtrées dans de nombreuses procédures judiciaires.

Tout a commencé au début des années 2000 avec le slogan : "Doubl'O Monde : doublez votre capital en toute sérénité". La Caisse d'Epargne lançait une campagne commerciale autour de sa nouvelle offre d'épargne, basée sur la performance de 12 actions réunies dans un fonds commun de placement, sur une durée de six ans. Un produit qui a attiré 266.547 personnes et drainé un plus de 2 milliards d'euros. Sauf que, six ans après avoir souscrit, les clients ont rarement vu leur capital doubler.

Première comparution devant un tribunal correctionnel

Depuis plusieurs années, nombre d'entre eux ont assigné la banque en justice, individuellement, regroupés dans un collectif ou via les associations de consommateurs.
Alors que plusieurs procédures sont toujours en cours au civil et au pénal, la Caisse d'Epargne Loire Drôme Ardèche sera la première à comparaître devant un tribunal correctionnel le 8 novembre pour publicité mensongère. Et selon le jugement rendu, d'autres caisses pourraient être amenées à comparaître devant cette juridiction.
"Nous demandons au moins des dommages et intérêts qui représenteraient les intérêts correspondant à l'immobilisation des sommes pendant six ans", affirme Me Daniel Richard qui représente les 600 membres du collectif Lagardère contre les abus bancaires (CLAB).
Sachant que l'investissement moyen se montait à environ 8000 euros par souscripteur et que les droits d'entrée perçus par la banque s'élevaient à 29,9 millions d'euros au total.
L'association de consommateurs UFC-Que Choisir estime elle aussi que "les clients de la Caisse d'Epargne ont perdu, non seulement les frais payés au titre du droit d'entrée, soit plusieurs centaines d'euros, mais aussi le rendement qu'ils auraient pu obtenir en plaçant leurs économies dans un autre produit financier plus rémunérateur".

"Les clients ont souscrit en toute connaissance de cause"

La banque considère, pour sa part, avoir agi en toute transparence. "Nous attendons de ce procès qu'il soit démontré que ces accusations sont infondées. La Caisse d'Epargne Loire Drôme Ardèche a proposé Doubl'O (produit agrée par la COB devenue l'AMF) avec un objectif de doublement du capital pouvant être réalisé à certaines conditions clairement indiquées aux souscripteurs. Par contre, Doubl'O était un produit à capital garanti. Cette promesse de garantie du capital (hors frais de souscription) a toujours été tenue", explique Marie Sorabella, secrétaire générale de la Caisse d'Epargne Loire Drôme Ardèche.
Sur la plaquette commerciale de l'offre Doubl'O Monde, il est effectivement mentionné cinq avantages : "Vous doublez votre capital sans limite de performance. Vous bénéficiez du potentiel de croissance de 12 grandes valeurs mondiales de la Bourse. Votre capital initial est garanti. Vous accédez à Doubl'O Monde avec un capital minimum de 150 euros seulement. Vous profitez d'une fiscalité avantageuse en souscrivant Doubl'O Monde dans le cadre d'un PEA ou de l'assurance vie".
Marie Sorabella ajoute que "les clients ont souscrit en toute connaissance de cause, puisque cela figurait dans le document publicitaire et dans les documents remis par le conseiller lors de la souscription".

L'Autorité des marchés financiers embarrassée

Plusieurs institutions se sont également penchées sur le dossier Doubl'O. En 2010, la DGCCRF (direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) a notamment rendu un rapport accablant pour la banque. "Aucun de ces documents publicitaires ne mentionne le doublement du capital comme étant une simple possibilité", lit-on dans son rapport, transmis au Parquet de Paris avec un procès-verbal d'infraction.
Saisie depuis le début de l'affaire, l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) est quant à elle encore aux prises avec le dossier. Mieux, elle se contredit en interne : le rapporteur de la commission des sanctions avait plaidé la cause des épargnants, et s'était vu contredit par la commission des sanctions elle-même. Or aujourd'hui, le collège de l'AMF a porté l'affaire devant le Conseil d'Etat, ce qui revient en quelque sorte à faire appel de la décision de la commission des sanctions...
De son côté, la Caisse d'Epargne avait engagé en décembre 2008 une poursuite en diffamation contre le président du collectif CLAB. La banque a été déboutée en janvier 2009, l'assignation ayant été déclarée irrecevable pour cause d'imprécisions.

Des condamnations sporadiques

Les plaignants se heurtent quant à eux à l'organisation "fédérale" des Caisses d'Epargne : en effet, c'est chaque caisse régionale qui est assignée par les épargnants, et non le groupe BPCE. Les actions judiciaires sont donc disséminées sur tout le territoire. Certaines décisions ont déjà été rendues en faveur des épargnants, mais elles sont pour l'instant sporadiques.
A titre d'exemple, le tribunal d'instance de Metz a donné raison à une cliente défendue par l'UFC-Que Choisir au motif de manquement à l'obligation de conseil et d'information. La banque a été condamnée à verser une réparation comparable à ce qu'aurait rapporté l'assurance-vie de la cliente, si la somme n'en avait pas été retirée pour être placée sur Doubl'O.
Par un arrêt du 20 avril 2011, la cour d'appel de Riom a condamné la Caisse d'Épargne Auvergne Limousin : "Attendu que la publicité doit être cohérente avec l'investissement proposé ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que l'absence de loyauté de ces documents publicitaires - dignes de jeux de loteries publicitaires des commerces par correspondances - mais qu'une banque ne saurait se permettre - constitue une faute dont un client non spécialiste est en droit d'obtenir réparation".

Pas de provisions constituées par la banque

Un client peut par ailleurs tenter de négocier directement avec la banque. "D'une manière générale, pour les réclamations qui le nécessitent, nous avons un processus de saisine du médiateur et d'indemnisation éventuelle des clients au cas par cas", précise Marie Sorabella. Mais, selon Me Richard, "la Caisse d'Epargne a négocié en ordre dispersé des remboursements de frais d'entrée par exemple".
La banque ne s'inquiète pas outre mesure de l'issue de toutes ces procédures en cours. En effet, son document de référence 2011 mentionne que, "au 31 décembre 2011, aucune provision n'a été constituée au titre de ce litige". Pourtant, la banque précise que les assignations individuelles engagées contre les Caisses d'Epargne représentent un montant total d'environ 2.7 millions d'euros. Et concernant les poursuites engagées par le collectif Lagardère, l'établissement ajoute : "ces actions regroupent les intérêts de 315 clients. Au total, le montant des sommes réclamées s'élève à 6.494.393,82 euros".
La Caisse d'Epargne n'a pas été la seule à se lancer à proposer des "fonds à promesse". A la même époque, La Poste distribuait par exemple son offre Bénéfic, qui consistait à gagner "même si le CAC baisse" et assurait "+23% en trois ans en toute sécurité". Le produit n'a pas non plus tenu ses promesses. Et l'établissement a finalement été condamné à indemniser de nombreux souscripteurs et des associations de consommateurs.