Comment l'industrie aéronautique et de défense française s'est imposée en Malaisie

Par Michel Cabirol, à Kuala Lumpur  |   |  1176  mots
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Les industriels français arrivent au salon aéronautique de Singapour, le « Singapore Airshow », qui ouvre ses portes le 14 février, auréolés de leurs succès en Malaisie. Une exception dans le sud-est asiatique.

Qui pourrait croire que la Malaisie à plus de 10.000 km de Paris est aujourd'hui le pays le plus francophile de la région du sud-est asiatique en matière d'achats de de matériels aéronautiques et de défense... Et pourtant, Paris est bien le plus gros exportateur d'armements de Kuala Lumpur, loin devant les Etats-Unis, un rouleau compresseur dans cette zone véritable chasse gardée de l'administration américaine, qui grogne et tempête contre des Malaisiens beaucoup trop friands à leur goût des technologies françaises. C'est la pépite des industriels tricolores dans la région avec l'Inde. « Sinon nous avons une position médiocre dans cette région. Où est l'eldorado ? C'est un mythe et c'est la triste réalité », explique-t-on à La Tribune.

Le 5ème client français

En dépit de la pression américaine, la Malaisie, qui dispose bon an, mal an d'un budget pour les équipements militaires de 900 millions d'euros, se classe au cinquième rang des clients de l'industrie de défense française derrière les deux poids lourds du Golfe (Arabie saoudite et Emirats Arabes Unis) et les leaders des Brics (Brésil et Inde). « C'est l'une des plus belles réussites de la France même si ce succès reste très discret », regrette le président d'EADS en Malaisie et à Brunei, Bruno Navet. Ces dix dernières années, l'industrie française de défense a réussi de très jolis coups : deux sous-marins à propulsion classique Scorpène (DCNS) en 2002, quatre avions de transport de troupes A400M (Airbus Military) en 2005, douze hélicoptères de transport tactique EC725 (Eurocopter) en 2010 et bientôt six corvettes Gowind de DCNS en 2012. Sans compter les armements de MBDA (37,5 % EADS, 37,5% BAE Systems et 25 % l'italien Finmeccanica).

Razzia d'Airbus

Le civil n'est pas en reste. Airbus fait une razzia en Malaisie, notamment chez AirAsia, qui possède une flotte 100 % Airbus. La low cost à succès du Sud-Est asiatique disposera à terme du plus grand nombre d'A320 au monde (375 commandes fermes, dont 200 Neo). En outre, le tonitruant patron d'AirAsia, Tony Fernandez, s'est également offert l'A350 (15 exemplaires) et fait voler une flotte de neuf A330-300 (+ cinq A330-200 en commande). Chez Malaysia Airlines (MAS), qui disposera quant à elle de six A380, possède une flotte de onze A330-300 (13 sont encore à livrer) et de trois A330-200. La filiale hélicoptériste d'EADS, Eurocopter, vend quant à elle en moyenne une dizaine de machines. L'avionneur régional ATR (50 % EADS, 50 % Finmeccanica) a vendu en 2007 une vingtaine d'ATR 72-500 à deux filiales de la compagnie aérienne MAS. Enfin, Astrium (groupe EADS) a été sélectionné en juin 2011 par l'opérateur de télécoms Measat, jusqu'ici plutôt favorable à Boieng, pour fabriquer le satellite de télécoms Measat-3B.

French touch

Pourquoi un tel engouement pour les matériels français ? La Malaisie (28,7 millions d'habitants début 2012), comme toute la région Asie-Pacifique, connaît une forte croissance de son trafic passager (+ 6,7 % en 2011). En outre, MAS et AirAsia veulent jouer dans la cours des grandes compagnies. D'où la volonté de s'armer pour devenir des compagnies incontournables au niveau régional et international même si aujourd'hui MAS connaît quelques difficultés et doit se restructurer. Au-delà d'une conjoncture favorable à des investissements aéroportuaires et en appareils, la Malaisie, d'un pays acheteur, veut devenir un pays producteur. Une volonté politique incarnée par le Premier ministre, Najib Razak, anciennement ministre de la Défense de 1999 à 2004 et qui connait, de fait, très bien la qualité des matériels français, notamment l'hélicoptère de combat Tigre dans lequel il a volé. « La Malaisie (7 % de croissance par an en moyenne depuis 50 ans) a l'ambition de passer du statut de pays en développement à celui de pays à haut revenu en l'espace de trois générations », précise-t-on à l'ambassade de France à Kuala Lumpur.

A armes égales avec les Etats-Unis

Et ça, les industriels français, pour pouvoir exporter, savent faire depuis très longtemps. A savoir concevoir et organiser des coopérations industrielles avec des transferts de technologies, ce qui leur permet de jouer de temps en temps à armes égales ou presque avec la puissance de feu des Etats-Unis. C'est notamment le cas en Malaisie. En témoigne la coopération gagnante entre DCNS et le conglomérat Boustead. Sa filiale Boustead Naval Shipyard (BNS), qui a choisi le design du groupe naval tricolore, a obtenu un contrat d'un montant de 2,14 milliards d'euros pour livrer à la Malaisie 6 corvettes de la gamme Gowind, qui seront fabriquées localement par BNS.
Installé depuis 2002 en Malaisie, Eurocopter est le plus bel exemple de cette coopération industrielle. Sa filiale Eurocopter Malaysia, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 105 millions d'euros (+ 20 %), est devenue un centre de maintenance et de support pour tous les hélicoptères de la région du Sud-Est asiatique (Malaisie, Thaïlande, Indonésie et Philippines). Son patron, Pierre Nardelli a signé en 2011 une coopération, dans le cadre des offsets (contreparties industrielles) garantis par le contrat EC 725, avec le groupe malaisien CTRM (Composites Technology Research Malaysia), qui est désormais le seul industriel au monde à fournir le fenestron de l'EC 130, jusqu'ici fabriqué en France. Soit un marché pour 40 machines par an. CTRM, qui travaille également avec Airbus, dispose d'un carnet de commandes de 1,5 milliard d'euros, dont l'essentiel est généré par l'avionneur toulousain : notamment 1 million d'euros de chiffre d'affaires par A400M livré, 1 million par A350 livré, entre 700.000 et 800.000 euros par A320 livrés et 500.000 euros par A380 livré.

Tensions régionales

Dans le domaine de la défense, les industriels ne peuvent plus déroger aux offsets en Malaisie, qui s'est dotée d'une politique ambitieuse en la matière pour constituer à terme son industrie aéronautique. Ces contreparties sont passées de 50 % en 2010 à 100 % en 2011 pour la durée du contrat et à partir d'un appel d'offre d'une valeur de 10 millions d'euros. « Les offsets ne sont plus basés sur l'échange d'achat de biens (huile de palme par exemple) mais sur l'investissement dans le pays, explique un industriel tricolore. L'accent est mis fortement sur la formation ». Ils peuvent être directs ou indirects, le plus souvent avec des transferts de technologies.
Enfin, baignée par la Mer de Chine au du nord du pays, la Malaisie, comme la plupart des pays de la région, s'arme pour disposer d'une défense crédible face à la puissance de la Chine, génératrice de tensions dans cette région. Tout comme les iles Spratleys, riches en hydrocarbures, les îles Parcels sont revendiquées, elles aussi, par plusieurs pays outre la Chine et le Vietnam et notamment le Brunei, la Malaisie, Taiwan et les Philippines. Du coup, la Malaisie cherche à accroître ses capacités militaires navales (sous-marins, corvettes...). Comme la plupart de ses voisins qui se dotent de sous-marins nécessaires pour assurer leur souveraineté au large de leurs côtes. Car la Chine, elle, compte à ce jour 63 sous-marins, dont huit à propulsion nucléaire et 31 modernes et opérationnels.