Airbus : un "non absolu" au lancement du nouvel avion de 90 places d'ATR

Par Michel Cabirol  |   |  1153  mots
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Faute de disponibilité de son bureau d'études, Airbus n'a pas encore les moyens humains pour lancer le nouveau modèle de 90 sièges du constructeur de turbopropulseurs. Le patron d'Airbus Fabrice Brégier a mis son veto, ou plus exactement "un non absolu".

ATR et son actionnaire italien, Finmeccanica (50 % du constructeur de turbopropulseur), devront prendre leur mal en patience pour obtenir le feu vert d'EADS (50 %) pour lancer le projet d'un nouveau modèle de 90 sièges, le programme NGTP (New generation TurboPropulseurs). C'est "un non absolu"... pour le moment, a expliqué le président d'Airbus (groupe EADS), Fabrice Brégier, à l'issue de sa conférence de presse jeudi dernier. Et le patron d''Airbus s'est interrogé à voix haute pour savoir s'il y avait un intérêt du marché pour cet appareil de 90 places. Mais pourquoi donc ATR a-t-il besoin d'Airbus ? Parce que l'avionneur régional, basé à Toulouse, n'a pas de bureau d'études pour développer un tel avion. Et Airbus n'a pas encore les moyens humains (ingénieurs et techniciens de son bureau d'études de Toulouse), selon Fabrice Brégier, à consacrer à ce projet, qui n'est pas prioritaire au regard des enjeux colossaux que représentent les programmes A350, A320neo et A400M même si aujourd'hui les problèmes de l'A380 (microfissures notamment) sont derrière le rival de Boeing.

Du coup, le message à Finmeccanica, qui veut lancer rapidement cet appareil, est clair. Pas question. Et les menaces du groupe italien ne semblent pas de nature visiblement à troubler Fabrice Brégier. Un peu plus tôt dans la semaine, le PDG d'Alenia Aermacchi, Giuseppe Giordo, a pourtant exhorté EADS de donner son feu vert au lancement d'un nouveau modèle de 90 sièges d'ici à la fin de l'année. "Nous patienterons jusqu'à la fin de l'année, a-t-il expliqué. Nous sommes persuadés qu'il y a un marché pour un appareil de 90 places et les technologies sont disponibles". Plusieurs motoristes, dont Pratt & Whitney et Safran, ont souligné leur intérêt pour motoriser un tel avion. Et pour prouver le sérieux de sa menace, Finmeccanica, pourtant en pleine crise financière, aurait déjà même entamé des discussions avec des groupes étrangers. "Nous avons plusieurs partenaires alternatifs possibles", confie le dirigeant italien même s'il reconnait qu'EADS reste le partenaire privilégié. Finmeccanica revendiquerait bien la future chaîne d'assemblage en Italie.

Un avion vital pour l'avenir d'ATR ?

Le marché réclame cet appareil, selon ATR. Le constructeur l'évalue, à l'horizon de 20 ans, à quelques 1.000 appareils. Soit environ un tiers du marché des turbopropulseurs. ATR doit être en mesure de lancer cet appareil de 90 sièges avant ses concurrents. Car déjà, il existe certains projets menés par de possibles nouveaux entrants sur le marché des turbopropulseurs, notamment les Chinois qui développent un avion de 90 places à l'horizon 2017-2018. Voire les Coréens associés au canadien Bombardier. Le programme NGTP, un nouvel appareil de plus grande capacité, viendrait compléter la gamme actuelle d'ATR. L'analyse technique a été faite par un groupe de travail en interne chez ATR, ainsi que le potentiel du marché pour cet appareil, qui volera à une vitesse de croisière de 320 kts légèrement supérieure aux modèles actuels à 270 kts. Des clients sont déjà prêts à acheter ce nouvel appareil économique et robuste, avait rappelé ATR en mai 2012. "C'est un peu le Ford Transit de l'aérien", avait expliqué Filippo Bagnato lors de la cérémonie de livraison du 1.000e ATR. L'objectif affirmé de réduction de consommation s'élève au minimum à 15 % par rapport aux moteurs actuels.

Pour l'heure, ATR, après avoir frôlé la mort au début des années 2000, confirme année après année sa bonne santé retrouvée... grâce au prix élevé du pétrole. C'est tellement vrai que pour ATR, c'est le meilleur salon du Bourget de son histoire. L'avionneur a enregistré des commandes pour un total de 173 avions, dont 83 fermes. Le montant de tous les contrats dépasse les 4,1 milliards de dollars, dont 2 milliards en commandes fermes. "Le succès remporté pendant le salon permet à ATR d'afficher un nouveau recond de son carnet de commandes, désormais porté à plus de 270 appareils fermes, pour un montant évalué à 6,5 milliards de dollars", a précisé le constructeur dans un communiqué. Soit une visibilité jusqu'à fin 2016 pour la production. 

Pour sa part, le canadien Bombardier a été plus modeste. Il a annoncé deux commandes au cours du salon du Bourget pour son turbopropulseur Q400 NextGen, l'une émanant de la compagnie nigériane Arik Air pour quatre appareils fermes. Cette commande s'ajoute à celle d'Alaska Air Group allant jusqu'à dix Q400 NextGen. Il s'agit de la conversion de trois options précédemment prises, et la confirmation d'options sur sept autres appareils, au profit d'Horizon Air, filiale d'Alaska Air Group. Soit un total un montant estimé à 228 millions de dollars au prix catalogue pour sept nouveaux appareils.

Les loueurs moteurs d'ATR

Au salon du Bourget, ATR a cartonné en continuant à séduire des clients exigeants comme les sociétés de leasing, ainsi que les compagnies sud-américaines. Près d'un ATR sur quatre a été vendu à des sociétés de leasing, a rappelé ATR, qui revendique quelque 65 % de parts de marché sur les avions régionaux de moins de 90 places. Les loueurs d'avions ont une solide confiance auprès d'ATR considéré comme un "money maker". Depuis 2010, ils ont multiplié par six les commandes pour des avions régionaux de la catégorie 50-90 sièges par rapport à la période 2005-2009. Soit 143 appareils commandés. ATR revendique 75 % de ces commandes (107 appareils). 19 % des commandes (27 appareils) ont concerné des jets régionaux et 6 % (9) des turbopropulseurs achetés à des concurrents d'ATR.

Ainsi, le loueur d'avion danois Nordic Aviation Capital (NAC) s'est offert 35 ATR, dont 30 ATR 72-600 (70 places) et 5 ATR 42-600 (50 places). Il dispose en outre d'une option sur 55 de ces appareils. Au total, la commande s'élève à 2,1 milliards de dollars. "NAC, qui a signé plusieurs commandes pour des nouveaux ATR lors de ces trois dernières années, compte déjà à ce jour le plus gros portefeuille d'ATR au monde avec un peu plus d'une centaine" de ces appareils à hélices, a indiqué le président exécutif du groupe, Filippo Bagnato. En outre, le loueur d'avion espagnol HGI Aircraft Division a signé un contrat pour 20 ATR 72-600, dont 10 fermes, pour équiper la compagnie brésilienne Passaredo. Le montant total de la commande s'élève à 482 millions de dollars. Enfin, ATR et la société de leasing américaine Air Lease Corporation (ALC) ont annoncé aujourd'hui un accord pour l'achat de 5 ATR 72-600.

L'Amérique du Sud, un eldorado pour ATR

En Amérique du sud, ATR écrase la concurrence sur le marché des 50-90 sièges. Depuis 2005, l'avionneur toulousain revendique 80 % de parts de marché (117 appareils). Il a doublé sa flotte depuis 2005 et la triplera en 2016. Le constructeur franco-italien détient des positions de marché très solides en Asie-Pacifique où il évalue sa part de marché sur les ventes entre 2005-2013 à 66 % (332 appareils). Plus particulièrement, dans les pays de l'ASEAN, il aurait 98 % du marché (173 appareils).