Un plan auto pas si "made in France" que cela...

Par Alain-Gabriel Verdevoye et Sophie Peters  |   |  1091  mots
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Le plan auto dévoilé ce mercredi par Arnaud Montebourg affiche un objectif : sauver le « made in France ». « On réinvente l'automobile française, accessible à tous », a expliqué le ministre du Redressement productif, très lyrique. Vive la voiture « propre et populaire » ! Le gouvernement a décidé de renforcer les super bonus écologiques pour les véhicules électriques ou hybrides. Ce plan doit ouvertement aider PSA Peugeot Citroën en grave crise et Renault. Mais il n'est pas sûr du tout que le "made in France" en profite vraiment, contrairement aux apparences.

Le plan auto dévoilé ce mercredi prévoit un super bonus pour véhicules électriques jusqu'à 7.000 euros (contre 5.000 euros actuellement) et jusqu'à 4.000 (contre 2.000 euros aujourd'hui) pour les hybrides (thermiques-électriques). Les mesures prévoient aussi une petite amélioration du bonus pour les modèles classiques rejetant peu de CO2. Sur le papier, c'est parfait. Les constructeurs français Renault et PSA Peugeot Citroën sont en effet des spécialistes de ces modèles... Seulement voilà, il n'est pas sûr du tout que la production automobile hexagonale en profite autant que prévu. Il est même à craindre que l'incidence sur le « made in France » ne s'exerce qu'à la marge.

Jusqu'à 7.000 euros de super bonus pour voitures électriques

Aider les voitures électriques, c'est donner une prime à Renault, le constructeur le plus avancé au monde avec son allié Nissan dans les véhicules « zéro émission ». C'est bon pour la future citadine Zoé, produite à Flins, en région parisienne, dont Renault annonce qu'il repousse son lancement, initialement prévu pour cet automne, au premier trimestre...pour des raisons techniques. Renault a prévu des capacités pour la produire de 150.000 unités annuelles. Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, a ainsi annoncé un prix net pour la Zoé « bonussée » de 13.400 euros (+ la location des batteries, tout de même). C'est donc a priori favorable au « made in France ». Par la voix de son PDG, Carlos Ghosn, Renault a d'ailleurs aussitôt « salué la volonté de l'Etat de soutenir la filière automobile française », ajoutant que le constructeur « se félicite tout particulièrement du signal fort envoyé en faveur des véhicules propres et notamment des véhicules électriques ». Le constructeur au losange affirme que « 80% des véhicules électriques vendus dans le monde par Renault seront produits en France en 2015 ».

Il n'empêche. Si l'utilitaire Kangoo électrique est fabriqué dans l'Hexagone comme la future Zoé, les autres modèles électriques de Renault (le quadricycle Twizy et la berline Fluence) sont respectivement produits en Espagne et en Turquie. Quant aux Peugeot Ion et Citroën C Zéro électriques du groupe PSA, ce sont des modèles conçus et produits par Mitsubishi... au Japon. Pas vraiment du « made in France » ! De toutes façons, c'est un segment de marché encore minuscule ! Il s'est vendu en France l'an dernier à peine 2.630 véhicules électriques, soit 0,1% du marché total. Certes, ça grimpe, puisqu'il s'en est immatriculé 1.200 rien que sur le premier trimestre 2012. Mais ce n'est encore que 0,2% du marché. Même si la pénétration a doublé. On n'en est qu'au démarrage. Et la vitesse de décollage est impossible à prévoir.

Jusqu'à 4.000 euros de super bonus pour les hybrides

Renault ne produit pas à ce jour d'hybrides. En revanche, PSA a fait ?uvre de pionnier avec les modèles diesel-électriques, assemblés dans l'Hexagone. Formidable ! Sauf que le premier fabricant mondial d'hybrides, et de très, très loin, c'est le japonais Toyota, qui offre une gamme de véhicules essence-électriques à partir de 18.500 pour la petite Yaris, à partir de 28.000 euros pour la berline Prius, à partir de 31.000 euros pour tout nouveau monospace familiale Prius +. L'autre japonais, Honda, offre aussi des véhicules dès 18.950 euros. En revanche, la première hybride du groupe PSA est le 3008 Hybrid 4... à 37.600 euros. La 508 hybride est proposée de 39.200 à 45.800 euros. La Citroën DS5 hybride de même technologie est au catalogue entre 40.200 et 44.200 euros. Des véhicules certes fabriqués en France mais beaucoup plus chers que ceux de Toyota ou Honda. En fait, ce ne sont pas les mêmes créneaux de gamme. Les Peugeot et Citroën sont bien plus puissantes et sophistiquées.

Avec sa stratégie plus démocratique, Toyota a vendu rien qu'en France 4.800 véhicules hybrides sur le premier semestre 2012, auxquels il faut ajouter 1.117 modèles de haut de gamme de sa marque Lexus. Soit près de 6.000 ! PSA ne donne pas de chiffres d'immatriculations en France, mais avoue 11.000 commandes de modèles hybrides sur... toute l'Europe depuis novembre dernier.

Certes, la petite Yaris hybride est assemblée à... Valenciennes, dans le nord de la France. Mais le but initial du gouvernement français n'est pas forcément de favoriser le japonais Toyota. Et ce, d'autant que toute la technologie hybride de la Yaris vient du... Japon. Par ailleurs, les Auris hybrides compactes sont assemblées en Grande-Bretagne et tous les autres véhicules thermiques-électriques de Toyota et Lexus sont importés du Japon. Le nouveau plan auto prévoit en fait une clause pour le super bonus de 4.000 euros, la prime ne devant pas dépasser 10% du prix de la voiture. Du coup, une Yaris aura une prime de 1.800 euros seulement. Mais un monospace Toyota Prius + aura droit à plus de 3.000... et bien sûr une DS5 4.000. Cela dit, l'accent mis sur les hybrides risque de profiter essentiellement à Toyota ! Ce super bonus n'aidera qu'à la marge la production de modèles diesel-électriques du groupe PSA.

Des bonus améliorés pour les petits véhicules thermiques

Le gouvernement a décidé d'augmenter de 100 à 150 euros le bonus pour les modèles à faibles émissions de CO2. Le bonus atteindra 200 euros contre 100 aujourd'hui pour les voitures émettant de 90 à 105 grammes de CO2 par kilomètre et passera de 400 à 550 euros pour les voitures émettant de 60 à 90 grammes. Un gain marginal. En outre, ces modèles sont généralement des tout petits véhicules urbains... produits hors de France. La Citroën C1 est produite en République tchèque, la Renault Twingo en Slovénie, et la future Clio IV dont la version diesel dCi 90 rejettera 83 grammes de CO2 seulement devrait être produite dans ses versions « bas de gamme » en Turquie. Pas évident que le «made in France » en tire vraiment parti. Même si les Smart de Daimler produites en Lorraine pourront en bénéficier...

 Enfin ce plan ne concerne que les ventes dans l'Hexagone... qui n'absorbent qu'à peine plus de 20% de la production mondiale de véhicules particuliers de Renault. Pas sûr que cela suffise à relancer la machine...
 
Alain-Gabriel Verdevoye

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Sophie Peters