Brexit : pourquoi les constructeurs automobiles veulent l'éviter à tout prix

Par Nabil Bourassi  |   |  991  mots
L'industrie automobile britannique a connu une renaissance ces dernières années, elle produit désormais plus de voitures que la France.
Les constructeurs automobiles pointent les conséquences du rétablissement de frontières douanières, de restrictions de circulation de leurs collaborateurs, ainsi qu'une désharmonisation des normes. En réalité, l'industrie automobile britannique, tournée à l'exportation à 70%, risque surtout d'être confrontée à une nouvelle problématique de change...

Pour les constructeurs automobiles, le Brexit c'est non ! Ils l'ont déjà exprimé en mars dernier lors d'un sondage réalisé par la Society of Motor manufacturers and Traders et qui réunit plus de 30 constructeurs et 2.500 équipementiers, tous installés au Royaume-Uni. Ils étaient 77% à se prononcer pour le maintien du pays dans l'Union européenne. Soit une écrasante majorité.

Une industrie puissante

Cette opinion n'est pas seulement anecdotique lorsque l'on sait le poids de l'industrie automobile britannique. S'il est vrai que celle-ci revient de loin, elle a enclenché une véritable renaissance depuis les années 2000 et emploie aujourd'hui près de 800.000 personnes. Avec 1,6 million d'unités produites en 2015, les voitures made in UK sont plus nombreuses, d'une courte tête, que la production française (1,55 million).

Il ne faut pas seulement compter sur les marques traditionnelles nationales qui ont toutes entamé une véritable renaissance comme Mini ou Rolls Royce, ou plus récemment encore avec Jaguar et Land Rover. Les usines Honda, Toyota et Nissan ont également contribué à renforcer cette industrie.

"Les constructeurs disposent d'une importante base installée au Royaume-Uni avec des usines performantes et compétitives, des salariés bien formés et un tissu de sous-traitants historiquement très fort", rappelle Guillaume Crunelle, analyste automobile au cabinet Deloitte.

Mais plus encore, si cette industrie est si inquiète face au Brexit, c'est que près de 70% de la production nationale est destinée à l'export, essentiellement dans l'Union européenne. Certaines marques n'ont pas hésité à adresser à leurs salariés un courrier afin de leur rappeler où se trouvait l'intérêt de leur employeur. BMW, qui possède Mini et Rolls Royce, mais également Toyota se sont ainsi fendus d'un tel courrier.

"La bonne santé de l'industrie automobile britannique de ces quatre dernières années repose sur le décollage du marché intérieur, mais également sur la bonne intégration à l'économie", analyse Guillaume Crunelle.

La peur d'un bouleversement de paradigme

Ils jugent que la sortie du Royaume-Uni risque de porter directement atteinte sur leur capacité d'exportation que ce soit sur le libre-échange, les normes d'homologation ou sur la libre circulation des collaborateurs. Autrement dit, un cauchemar qui, selon eux, remettrait totalement en cause le paradigme qui a fondé leur stratégie exportatrice.

"Lorsqu'un constructeur décide d'investir dans une usine, c'est pour du long terme, il a besoin d'une visibilité sur cet horizon, mais également d'une stabilité. La perspective d'un Brexit ouvrirait une période d'instabilité sur les termes de ce que sera l'économie britannique demain, notamment en termes d'exportations en Europe", explique Guillaume Crunelle.

Il existe plusieurs cas de figure en cas de Brexit. Premier scénario, peu probable, c'est que le Royaume-Uni applique des barrières douanières à l'importation, ce qui en posera mécaniquement à l'export. Même les plus fervents défenseurs du Brexit sont favorables à un accord de libre-échange bilatéral, deuxième scénario, à l'image de la Norvège qui ne fait pas parti de l'Union européenne, mais a intégré le marché unique.

Des analystes jugent que la conclusion de tels accords prend du temps et qu'en attendant ce sont les conditions douanières de l'OMC qui s'appliqueront. Dans les faits, dans l'éventualité d'un vote en faveur du Brexit, Londres disposera d'un délai de deux ans avant que la sortie de l'Union européenne soit effective.

La problématique monétaire

En réalité, ce qui inquiète le plus les constructeurs ne tient pas tellement sur les questions réglementaires, mais sur la tenue de la livre sterling. "On peut craindre que le Brexit soumette la Livre sterling à une plus forte volatilité sur le marché des changes, ce qui peut influer sur les marges des constructeurs", juge Guillaume Crunelle.

Pour Hadi Zablit, spécialiste automobile au Boston Consulting Group (BCG), la menace est sérieuse :

"Les variations des taux de change peuvent facilement rendre profitable ou non un site industriel automobile. Ce secteur peut par exemple difficilement supporter une hausse de 10% d'une devise sans impacter très négativement son taux de marge".

Et de rappeler :

"Les constructeurs n'aiment pas les pays avec des taux de change trop volatils comme la Corée du Sud".

C'est à double tranchant. En cas de baisse structurelle de la livre sterling, l'industrie automobile britannique serait encore plus compétitive à l'export. Elle ne craindrait même pas d'avoir à importer ses pièces plus chères grâce à une forte intégration locale. En revanche, la balance commerciale risquerait de souffrir. Elle est déjà très déficitaire avec un solde négatif de 6 milliards de livres sterling, d'après le BCG. Du côté des marques qui ne produisent pas sur place, une baisse de la livre sterling serait une catastrophe. Renault en avait fait l'amère expérience lors de la crise des subprimes, lorsque la Banque d'Angleterre avait fait plonger sa devise pour soutenir l'économie britannique.

Une industrie renaissante

Les constructeurs ont beaucoup investi au Royaume-Uni : près de 10 milliards depuis 2013. Ils ont répondu favorablement au plan de renaissance de l'industrie automobile engagé par le gouvernement en 2002. "Le Royaume-Uni a réussi à reconstruire son industrie automobile en reconstituant des compétences en R et D. Il y a aujourd'hui 13 centres de R et D dans le pays et beaucoup de marques de niche très innovantes comme McLaren ou Lotus", rappelle Hadi Zablit.

Certaines marques ont tout misé sur le Royaume-Uni. Ainsi, Honda produit 100% de ses ventes européennes au Royaume-Uni et Ford 59%. La perspective d'une sortie du pays de l'Union européenne ne devrait pas remettre en cause la pérennité des sites actuels. En revanche, elle pourrait rebattre les cartes des projets d'investissements en Europe. "Les constructeurs réfléchiront à deux fois avant de décider d'investir au Royaume-Uni", pense Hadi Zablit. De quoi faire réfléchir deux fois les électeurs britanniques ? Réponse vendredi matin !