Comment les constructeurs auto se préparent à la disparition de la voiture en ville

Par Nabil Bourassi  |   |  1089  mots
De nombreuses agglomérations et capitales européennes ont décidé de restreindre franchement l'accès de leur centre-ville... Et ce n'est que le début.
C'est une tendance de fond, l'automobile n'est plus la bienvenue en ville. Les mesures prises par maintes agglomérations pourraient avoir un impact sur le business des constructeurs. Ceux-ci auraient manqué de capacité d'anticipation, y compris en matière d'évolution des comportements de consommation.

« Nous n'avons aucun interlocuteur avec qui discuter et réfléchir de la place et de l'avenir de la voiture dans la ville de demain », regrette Carlos Tavares, interviewé par La Tribune.

Mais de guerre lasse, le patron du groupe PSA n'a plus que ses yeux pour pleurer, car la tendance est désormais bien ancrée : la voiture n'est plus la bienvenue en ville. De nombreuses agglomérations et capitales européennes ont décidé de restreindre franchement l'accès de leur centre-ville... Et ce n'est que le début. Des axes fermés ou fortement restreints par des voies de bus, de trams ou des pistes cyclables... Mais ce n'est pas tout. Il y a également les nouveaux acteurs des mobilités alternatives qui ont d'ores et déjà préempté les nouveaux comportements de consommation, notamment en zone urbaine. Bref, l'avenir de la voiture en ville n'est pas tout rose.

Pour les constructeurs automobiles, cette perspective n'est pas anodine pour leur business, le risque pour eux étant d'avoir manqué une évolution sociétale. Ils s'étaient contentés d'observer les changements réglementaires à l'aune des resserrements de contraintes d'émissions polluantes. Ils avaient dès lors investi dans les technologies de dépollution et sur des motorisations zéro émission. Avec un certain succès d'ailleurs, puisque la quasi-totalité des grands groupes automobiles a désormais une stratégie dans le développement des motorisations vertes. La voiture électrique bien sûr, mais également l'hydrogène. Sur les motorisations thermiques classiques, ils ont déployé de nouveaux procédés tels que le downsizing, qui permet de réduire la taille d'un moteur sans altérer sa puissance, et ainsi de limiter sa consommation et ses émissions de polluants.

Des filtres à particules aussi pour les moteurs à essence ?

Mais ce sont surtout les équipementiers qui ont innové avec diverses technologies destinées à réduire la pollution aux particules fines, comme les filtres à particules, le SCR (Selective Catalytic Reduction ou réduction catalytique sélective), l'EGR (Exhaust Gas Recirculation pour recirculation des gaz d'échappement)... Cela a impliqué d'importants investissements. Tant et si bien que certaines catégories de voitures se retrouvent menacées, parce que leur modèle économique n'est plus valable dans de telles conditions. Les voitures du segment A (Twingo, 108 et C1) n'existent déjà plus en version diesel en raison des coûts liés aux technologies de dépollution.

La Commission européenne veut désormais imposer des filtres à particules sur les motorisations essence. Cette mesure pourrait signifier la fin du segment A. D'ailleurs, certains constructeurs en ont pris acte, à l'instar de Ford avec sa Ka+ qui prend quelques centimètres pour se placer face à une 208 ou une Clio, ou de Nissan dont sa Micra qui évolue également dans une configuration supérieure. Une autre hypothèse pourrait réserver le segment A à des motorisations exclusivement électriques, comme la Renault Zoé.

Le taxi-robot d'Uber pourrait réduire de 50% le parc auto en ville

Au-delà des problématiques environnementales, les constructeurs doivent également défendre leur position face aux mobilités alternatives. L'un des plus grands dangers qui les guette serait une généralisation du taxi-robot, le rêve d'Uber. D'après une étude du Boston Consulting Group, l'arrivée de voitures 100 % autonomes doit permettre à Uber de disposer d'un parc de taxis-robots fondé sur un autre modèle économique. Ces voitures seront utilisables 24h/24, donc mieux amorties. Selon cette étude, l'avènement du taxi-robot pourrait amputer les villes de 50% du parc automobile, et de 54 % de l'espace de stationnement. Pour les constructeurs, cela signifierait une véritable hécatombe en termes de ventes, même s'ils continuent d'affirmer que le modèle ne concerne que les agglomérations et n'est pas applicable en milieu rural ou périurbain.

Du constructeur automobile au fournisseur de mobilité

Enfin, la réalité de la menace pour les constructeurs automobiles serait une convergence entre mesures restrictives, nouveaux comportements et nouvelles aspirations des consommateurs, du moins pour ceux qui vivent en agglomération. Concurrencée par les mobilités alternatives, la voiture est devenue trop chère et perd son côté pratique en tant que vecteur de mobilité. « Le plaisir de la conduite est le critère qui recule le plus dans nos études de comportement des consommateurs », explique Guillaume Crunelle, associé au cabinet Deloitte et expert du secteur automobile.

Cette fois, les constructeurs ne peuvent pas se contenter d'investir dans des technologies, ils sont contraints de revoir leur modèle. Mais cela s'avère beaucoup plus complexe. Ils doivent totalement changer de paradigme et vaincre en interne les dogmes d'une culture industrielle centenaire. Impossible à réaliser du jour au lendemain. Certains groupes ont donc fondé des incubateurs et des fonds, afin de capter des startups capables de créer les ruptures de marché qu'attendent les consommateurs, tout en les maintenant à l'écart des lourds processus décisionnels qui étouffent la créativité et les initiatives atypiques. Pour l'heure, les constructeurs sont à la traîne... General Motors a bien investi 500 millions de dollars dans Lyft, le concurrent américain d'Uber, PSA a lancé tout un programme autour des nouvelles mobilités, Volkswagen a également déployé des projets en ce sens... Mais ils ne sont ni leaders, ni à la pointe de l'innovation dans ce domaine. Ils pourraient finir par dépenser des fortunes pour racheter des startups bien établies (Uber est valorisé autour de 70 milliards de dollars).

S'adapter avant les autres, c'est prendre de l'avance

Selon Guillaume Crunelle, cette révolution pourrait représenter une opportunité. « Ce qui est défavorable à l'automobile n'est pas forcément défavorable à l'industrie automobile... », philosophe l'expert, avant de préciser : « Il y a une réelle opportunité pour les constructeurs de repenser leur modèle et leur écosystème, et le fait que cela se passe surtout en Europe peut être favorable aux constructeurs européens qui auront pris les premiers, par la force des choses, des mesures pour s'adapter à ce nouveau contexte. »

« Cela risque d'être compliqué à court terme », confesse-t-il néanmoins, avant d'ajouter que « la vraie problématique des constructeurs, c'est la visibilité dans le temps ».

Autrement dit, le modèle actuel où il existe autant de réglementations que d'agglomérations avec des changements de braquets intempestifs est le vrai problème des constructeurs. Le salut de la mobilité en ville passerait alors vers la fin de ce clivage entre élus et constructeurs automobiles. Ou plutôt des « fournisseurs de mobilité », comme ils aiment désormais être rebaptisés...