Fusion Fiat-PSA : Carlos Tavares face au risque du syndrome "Carlos Ghosn"

Par Nabil Bourassi  |   |  951  mots
(Crédits : © Gonzalo Fuentes / Reuters)
L'actuel patron de PSA va diriger la nouvelle entité fusionnée avec Fiat Chrysler. Fort de son bilan, il aura toute latitude pour piloter l'intégration de ce géant de 400.000 personnes et 170 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Mais sa position d'homme indispensable interroge sur la pérennité d'une fusion entre égaux, c'est-à-dire sans réelle majorité actionnariale...

La fusion géante qui a été annoncée mercredi 18 décembre promet d'immenses défis pour PSA mais également pour Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Restructuration industrielle, replanification des plans produits, mutualisation des achats, harmonisation des process... L'intégration industrielle prendra probablement plusieurs années.

Pour les marchés, la présence de Carlos Tavares est un gage de sécurité. Il a prouvé à deux reprises qu'il était l'homme de la situation avec le redressement en 2014 d'un PSA en faillite en moins de deux ans à travers le plan Back to the Race, puis par le spectaculaire retour aux profits d'Opel, seulement un an après son acquisition, là où General Motors avait perdu près de 20 milliards d'euros sur quinze ans.

Chèque en blanc pour Carlos Tavares

Celui qui revendique une discipline opérationnelle sans compromis, emporte l'adhésion d'à peu près tous les analystes. Et c'est donc fort de ce bilan, qu'il obtient un chèque en blanc pour piloter la fusion de FCA et PSA, et en devenir la pierre angulaire. Déjà, à l'occasion du rachat d'Opel, si beaucoup d'analystes s'étaient interrogé sur les risques d'une telle opération, ils s'accordaient déjà à dire que le fait que l'opération soit pilotée par Carlos Tavares était un gage pour eux.

Mais cette force pourrait rapidement devenir la faiblesse de la nouvelle structure... Si d'aventures, Carlos Tavares était empêché (pour diverses raisons), le nouveau groupe se mettrait immédiatement en danger. Chez PSA, on assure que toutes les dispositions de succession ont été prises en cas d'empêchement, mais celles-ci sont confidentielles. De source interne, ce serait Maxime Picat qui prendrait le flambeau dans pareille éventualité. L'ancien patron de la Chine et actuel patron de l'Europe est connu comme étant un excellent exécutant de la méthode Tavares, et donc son héritier légitime. On ne pourra toutefois exclure une période de carence avant de recevoir l'onction des marchés.

L'enjeu du onzième siège

D'autant que le plan de succession pourrait être plus compliqué à l'avenir. Le nouvel actionnariat qui va se mettre en place pour la nouvelle entité s'annonce plus intrusif dans les affaires du groupe... John Elkann sera à la tête du premier actionnaire, Exor, avec 14% des parts. Il sera également président de la nouvelle structure, tandis que Carlos Tavares se "contentera" du poste de directeur général. Et l'enjeu de ce poste aura une dimension politique majeure puisque c'est à celui-ci que sera dévolu le onzième et dernier siège du conseil d'administration. Les dix premiers sièges seront également répartis entre les actionnaires français de PSA, et ceux de FCA. Autrement dit, celui qui contrôlera le 11ème siège contrôlera le conseil d'administration...

Ainsi, Carlos Tavares, assis sur son aura de patron incontesté, se retrouve dans la même position que Carlos Ghosn au faîte de sa gloire: être le point d'équilibre entre deux partenaires qui se reposent totalement sur lui. Même si ici, il s'agit d'une fusion et non d'une alliance, il n'empêche que dans les conditions d'un deal à 50-50, on est dans une situation de risque. "Les fusions entre égaux, ça ne marche jamais", lancent plusieurs analystes de marché pourtant favorables au projet de rapprochement entre FCA et PSA mais sceptiques quant aux conditions du deal.

Les réserves des Peugeot...

La semaine dernière, quelques jours avant la conclusion du protocole d'accord de fusion,  la famille Peugeot conjointement avec Bpifrance (actionnaires à hauteur de 28% de PSA, et potentiellement à hauteur de 13,5% de la nouvelle entité fusionnée), avait demandé des précisions quant à ce fameux onzième siège.

"La famille Peugeot et BPI, notamment, craignent que PSA ne perde son déséquilibre favorable si quelque chose arrive à Carlos Tavares", avait indiqué à l'agence Reuters une source bien informée.

Pour l'heure, on ignore s'ils ont obtenu les garanties souhaitées. Mais chez PSA, on explique que le onzième siège sera dévolu au directeur général de l'entreprise qui sera "évidemment" nommé sur des motifs exclusivement opérationnels et de compétence. Fin du débat. Mais John Elkann n'est pas un rentier et le départ de Carlos Tavares pourrait ouvrir la voie à une reprise en main de la famille Elkann qui ne laissera pas les actionnaires français bras croisés. Ce financier avait largement cadré les opérations de FCA alors sous la houlette de Sergio Marchionne, celui qui a redressé Fiat avant de le fusionner avec Chrysler, avant de disparaître brutalement en juin 2018.

Après avoir financiarisé Fiat Chrysler Automobiles, les Elkann voudront-ils reproduire la même méthode sur la nouvelle entité, la même qui avait privé Fiat d'investissements massifs dans les gammes ou l'électrification ? La question de l'après Tavares pourrait donc potentiellement ouvrir la boîte de Pandore sur les divergences des uns et des autres.

Un syndrome pas encore diagnostiqué

Les symptômes du syndrome de Carlos Ghosn ne sont pas encore tout à fait réunis, puisque l'ancien patron avait largement entretenu son irremplaçabilité, contre tout bon sens et malgré les alertes des marchés. Il avait concentré les pouvoirs au point de cumuler les postes de PDG, déjouant les conflits d'intérêts lorsqu'un sujet opposait Renault à Nissan, et plus personne ne pouvait se mettre en travers de sa volonté. Sauf que l'empire a vacillé et manqué de s'écrouler à plusieurs reprises depuis l'arrestation de son architecte. Tout l'enjeu pour le futur PSA-FCA sera donc de trouver un équilibre managérial pérenne et éviter l'écueil d'un manager grisé par le succès, aussi spectaculaire soit-il.