Le pari premium de DS en bonne voie d'être remporté (et ce n'était pas gagné)

Par Nabil Bourassi  |   |  1082  mots
En sept années, la gamme DS est restée désespérément figée ! Et puis est arrivée la DS7 Crossback, un grand SUV de 4,60 mètres (enfin !) pour repositionner la marque sur un segment dynamique, avec un produit cette fois conçu dès le départ dans une ambition exclusivement premium. (Crédits : DS)
Quand elle a été lancée en 2014 par Carlos Tavares, personne ne donnait cher de la marque premium du groupe PSA. Pourtant, malgré des débuts hésitants, DS a su façonner son identité et creuser son sillon...

Que n'a-t-on pas lu ou écrit sur l'aventure DS, y compris dans nos colonnes, il faut bien le reconnaître... « Ça ne marchera jamais ! » La presse a souvent été sévère et péremptoire au sujet de la marque automobile premium du groupe PSA. Qui pouvait croire qu'une marque sortie de nulle part pouvait rivaliser avec les puissants groupes premium allemands ? Et puis il y a les Lexus et Infiniti, les alter ego japonais bien plus richement dotés en gamme et technologies et déjà bien implantés sur des gros marchés comme les États-Unis. Et avec quel argent ce groupe automobile en pleine convalescence (PSA est au fond du gouffre lorsque la marque DS est créée en 2014), qui vend seulement trois minuscules millions de voitures, allait-il pouvoir financer la création d'une marque qui se comparait volontiers à Audi - rien que cela -, soit 1,9 million de voitures vendues et 60 milliards d'euros de chiffres d'affaires ?

Bienveillantes moqueries

Et ce n'est pas avec la gamme disponible en concession que DS allait convaincre qui que ce soit, entre l'ovni DS5 et la DS4 injustement considérée comme un ersatz de Citroën C4, tandis que l'incroyable succès de la DS3 ne pouvait plus suffire... Le discours d'Yves Bonnefont, le patron de la marque, et d'Arnaud Ribault, chargé du marketing et des ventes, suscitait quelques bienveillantes moqueries chez les vieux briscards de la presse automobile.

Car, sans produit, il était difficile de se projeter. Il est vrai qu'entre 2011 (alors que DS n'était encore qu'une gamme de la marque Citroen) et 2018, DS n'a lancé absolument aucun nouveau modèle. Chaque année, Audi en lance entre deux et quatre... En sept années, la gamme DS est restée désespérément figée ! Et puis est arrivée la DS7 Crossback, un grand SUV de 4,60 mètres (enfin !) pour repositionner la marque sur un segment dynamique, avec un produit cette fois conçu dès le départ dans une ambition exclusivement premium. Et rebelote, la presse automobile retombe dans ses vieux travers : « trop allemand », « trop bling bling », « trop gros », « trop cher »... Même les images d'Emmanuel Macron défilant sur les Champs-Élysées à bord de la Crossback à l'occasion de son intronisation à la présidence de la République n'a pas suffi à placer DS dans l'orbite de ces marques dont la vocation est pourtant d'incarner un statut social.

En réalité, pendant que tout le monde se lamentait sur cette marque condamnée à disparaître aux aurores de la prochaine crise, elle a creusé son sillon. D'abord, il était faux de dire que DS n'avait pas de personnalité, d'attributs propres, et qu'elle copiait honteusement les codes des marques allemandes. Dès le départ, y compris lorsqu'elle n'était encore qu'une « ligne distinctive » au sein de la gamme Citroën, les produits DS ont misé sur le cuir comme un langage premium qui n'avait pas été réellement préempté par les marques allemandes. Ils empruntent cette thématique à la tradition de la sellerie et de la maroquinerie françaises, reconnues dans le monde entier comme des gages de luxe absolu, avec des références telles que Louis Vuitton, Longchamp ou Hermès. Toute la communication de la marque s'était tournée autour de cette matière, des artisans selliers étaient convoqués à chaque salon. DS racontait une histoire, certes romancée mais ô combien efficace, du luxe à la française, que la marque incarnerait dans l'automobile.

Une culture du service

DS a également beaucoup communiqué sur la notion de service. De la formation des vendeurs, qui font des stages chez Van Cleef & Arpels, place Vendôme à Paris, aux services de conciergerie, en passant par les tapisseries sur les murs des concessions ou la possibilité de personnaliser sa voiture dans des versions uniques, la marque a très tôt constitué une culture du service très poussée.

Plus tard, et toujours dans cette démarche d'un positionnement distinctif dans l'univers du premium, Yves Bonnefont et ses équipes ont pris la décision audacieuse d'une gamme entièrement électrifiée à l'horizon 2022. Autrement dit, demain ! Une véritable prise de risque car PSA a énormément de retard dans l'électrification. Son hybride diesel a été un fiasco commercial, et, jusqu'ici, le groupe n'a jamais fabriqué lui-même de voitures électriques. Autant dire qu'il ne bénéficie d'aucune expertise ni de légitimité dans ce domaine. Et pourtant... Hormis Tesla, aucune marque premium n'a eu le courage d'un tel parti pris. Yves Bonnefont fait le pari que, grâce à l'électrification, sa gamme se dotera d'un agrément de conduite exceptionnel (puissance moteur, couple [capacité à accélérer, ndlr]...), d'une image de modernité, et ce sans bourse délier pour s'équiper de gros moteurs de 6 cylindres.

C'est un fait : avec ses piètres performances commerciales (53 000 ventes en 2017), DS était sur le point de disparaître des radars. La DS7 Crossback ne devrait pas fondamentalement lui permettre d'accéder à des seuils critiques en termes de volumes, mais cette voiture a permis de vérifier que le storytelling premium, que cette image de marque a bien imprimé dans l'esprit des consommateurs. Pour l'heure, il semblerait que ces arguments ont fait mouche. Avec une moyenne d'achat autour de 42 000 euros, contre un prix d'appel à 30 000 euros, les acheteurs viennent en concession dans une démarche haut de gamme. Maintenant que les jalons du premium ont été posés, à la DS3 Crossback de faire suivre les volumes. C'était uniquement dans ces conditions que ce petit SUV devait arriver.

L'Europe ne suffit pas

Alors oui, il est toujours possible d'ergoter sur tel ou tel détail. Mais, dans un pays où l'industrie automobile a abandonné la culture du premium en 1964 avec la disparition de Facel Vega, DS apprend et rode l'exercice. Et les premiers résultats ne sont déjà pas si mauvais... Mais il reste beaucoup à faire. La qualité et la cohérence de la suite du plan produit pèseront beaucoup dans la consolidation de cette ambition premium. En outre, DS ne pourra pas rester franco-français (40 % des DS7 Crossback ont été vendues en France). En Chine, les ventes ont encore baissé de 30 %, avec moins de 2 500 immatriculations au premier semestre, un fiasco inouï dans ce pays où prospèrent Louis Vuitton et Hermès, les ambassadeurs du luxe à la française. L'empire du Milieu sera donc l'incontournable défi de DS dans les années à venir.