Le secteur automobile divisé sur la question d'un "Airbus des batteries"

Par Nabil Bourassi  |   |  862  mots
(Crédits : Reuters)
Depuis plus d'un an, la Commission européenne pousse les constructeurs automobiles, mais également les équipementiers à une réflexion autour d'un grand producteur de batteries électriques qui serait européen. Certains acteurs estiment en effet qu'il existe un véritable enjeu de souveraineté technologique à ne pas laisser la maitrise des batteries aux seuls asiatiques. D'autres, au contraire, jugent que le sujet est largement dramatisé...

Le Mondial de l'automobile de Paris est placé cette année sous le signe de la voiture électrique. Il y a deux ans, lors du précédent salon nous titrions déjà sur cette thématique. Entre temps, les projets d'électrification sont enfin sortis des vœux pieux et autres concepts abstraits et les constructeurs sont désormais en mesure de dévoiler des modèles très concrets. Mercedes a montré le premier opus de son label électrique EQ, sous le nom de EQC. Audi arbore son SUV électrique, l'e-tron qu'il avait préfiguré en 2015 au salon de Francfort. DS fait son entrée dans la course avec le DS3 Crossback promis dans une version 100% électrique fin 2019. Renault reprend l'initiative avec K-ZE dont l'ambition est d'inaugurer son offensive sur le marché chinois, premier marché automobile mondial de la voiture électrique.

40% de la valeur d'une voiture délocalisée en Asie ?

Et chez PSA, on déroule le plan d'électrification promis par Carlos Tavares il y a un an, malgré ses réserves publiques. A l'époque, le PDG du groupe automobile français avait émis de sérieux doutes sur la soutenabilité sociétale, environnementale et économique de l'électrification. Il n'a toujours pas changé d'avis, mais cette fois, il a insisté sur la dimension de souveraineté industrielle que pose la voiture électrique. Pour rappel, le marché de la batterie électrique est actuellement aux mains d'acteurs quasi-intégralement asiatiques. Ils sont japonais, sud-coréens ou chinois. « Il est urgentissime d'avoir un champion européen des batteries », a martelé Carlos Tavares alors que la question d'un « Airbus des batteries », idée lancée par la Commission européenne, est un projet encore très vague. Selon lui, sans une localisation de la production de batteries, c'est 40% de la valeur d'une voiture qui risque d'être dévolue à l'Asie. « Nous voulons préserver notre tissu de fournisseurs européens », a insisté le patron de PSA qui fait de l'approvisionnement local, un véritable levier de compétitivité de ses usines.

Du côté de Renault, Thierry Bolloré partage la même analyse d'une nécessité de constituer un acteur européen de la batterie : « nous avons été sollicités par les autorités européennes parce que nous avons (l'Alliance Renault-Nissan, ndlr) construit nos propres batteries, puis nous en sommes sortis », raconte le numéro 2 de la marque au losange qui ajoute « nous soutenons toute initiative qui consisterait à doter l'Europe d'un véritable acteur de poids dans les batteries ».

Attendre la deuxième génération de batteries

Pour autant, il n'y a pas le feu... Pour Thierry Bolloré, l'erreur serait de se lancer sur une technologie dont « l'amortissement se fera sur 5 ou 7 ans ». « Il faut viser autre chose que le lithium-ion », avance-t-il.

Carlos Tavares est sur la même ligne. « Pour rattraper le train, il faut envisager la deuxième génération de batteries qui arrivera probablement autour de 2030, c'est cela qui est en discussion en Europe », défend le patron de PSA.

Les deux patrons pensent aux différentes innovations de rupture qui pourrait reparamétrer le modèle de la voiture électrique. Thierry Bolloré souffle même le nom de la très prometteuse batterie solide capable d'augmenter considérablement l'autonomie des batteries tout en abaissant significativement le temps de charge. Selon eux, cette deuxième génération doit être une opportunité pour reprendre la main sur la maitrise de la production de batteries électriques.

Chez BMW, en revanche, on estime que le problème est largement dramatisé. « La production des cellules des batteries électriques n'est pas un sujet de dimension stratégique », explique à La Tribune Nicolas Peter, membre du directoire de BMW. « Personne n'a encore défini la technologie qui va dominer l'industrie d'ici 7 à 8 ans (...) il y a plus de sens stratégiquement parlant, de travailler avec des fournisseurs asiatiques, d'autant que le marché chinois  est le premier marché mondial de la voiture électrique », souligne-t-il.

Les équipementiers freinent des quatre fers

Même son de cloche chez les équipementiers automobiles. « Il n'y a pas d'enjeu de souveraineté sur la batterie électrique, les fabricants de batteries sont certes asiatiques, mais ils construisent des usines de batteries en Europe », observe un cadre de Valeo avant de poursuivre « c'est un métier de chimiste très capitalistique et qui nécessite de nombreuses années de recherche ». Les équipementiers automobiles européens ont rejeté en bloc les demandes à prendre eux-mêmes en charge la responsabilité d'un Airbus des batteries. Bosch avait ainsi estimé que le coût d'un tel projet à 18 milliards d'euros.

Les équipementiers préfèrent finalement se concentrer sur les moteurs électriques comme en témoigne l'ambition de la coentreprise Valeo-Siemens, mais où est également présent Continental. PSA mise aussi sur les moteurs électriques via une coentreprise avec Nidec et qui commencera la production en 2022. C'est tout le sens de la stratégie de BMW qui préfère également miser sur les moteurs électriques qui permet de « se différencier », comme l'explique Nicolas Peter jugeant qu'ici réside la véritable « création de valeur ». Le débat est loin d'être refermé...