Mondial de Paris : la fête de l'automobile gâchée par la fin de l'euphorie

Par Nabil Bourassi  |   |  1017  mots
Le marché automobile européen pourrait stagner dès 2019, mais des gisements de croissance persistent sur plusieurs marchés, dont les plus importants comme la France ou l'Allemagne. (Crédits : Arnd Wiegmann)
Après un cycle haussier particulièrement long en Europe, ce marché pourrait entrer sur un plateau, mais la croissance des volumes mondiaux ne semble pas menacée. Les analystes sont davantage inquiets des marges des constructeurs qui pourraient être impactés par un choc d'incertitudes.

C'est dans un contexte en demi-teinte que le Mondial de l'automobile de Paris ouvre ses portes ce mardi 2 octobre pour les journées professionnelles. Au-delà de l'absence de pas moins de 14 marques, dont pas des moindres (Volkswagen, Nissan, Ford...), le marché automobile européen s'apprête à amorcer son atterrissage au terme d'un cycle haussier salutaire. Pour rappel, l'automobile européenne revient de très loin, meurtrie par une crise qui lui a amputé jusqu'à la moitié de ses volumes, et jeté plusieurs marques dans les bras d'investisseurs asiatiques.

Vers un atterrissage en douceur?

Depuis 2013, le marché s'est redressé à la faveur de plusieurs leviers, dont celui de taux d'intérêt particulièrement bas, d'un parc devenu trop vieillissant, mais également à la faveur d'une offensive produit sans précédent de la part des marques qui ont misé sur les SUV, mais ont également nettement soigné la qualité de leurs nouveautés. Mais cette période semble belle et bien terminée.

« Le marché automobile européen vient de vivre un cycle haussier exceptionnellement long puisqu'il a duré cinq ans, cela ne s'est jamais vu dans l'histoire qui a n'a jamais vu ces cycles durer plus de trois ans », explique François Jaumain, associé et responsable du secteur automobile chez PwC.

De fait, les analystes s'attendent à un ralentissement du marché dès cette année qui pourrait s'amplifier en 2019. D'après une récente étude d'EulerHermes, le marché français pourrait encore croître de 4% cette année, mais sa croissance sera divisée par deux dès l'année prochaine. Idem en Allemagne où le marché est attendu en hausse de 3% en 2018, mais de 1% dès 2019. Pis, le Royaume-Uni doit enregistrer une baisse de 6% en 2018 et poursuivre sa chute l'année prochaine avec une prévision à -3%.

Mais le marché européen n'est pas au bord de la rupture, au contraire, il s'orienterait plutôt vers un atterrissage en douceur.

« Il existe des marchés qui sont encore loin d'avoir atteint leur niveau d'avant-crise, et pas des moindres, comme l'Allemagne, l'Italie et la France. De plus, le chômage est très bas en Europe et les taux d'intérêt sont également très bas et même si on attend une hausse d'ici 2019, ceux-ci devraient rester relativement bon marché », explique François Jaumain.

Le marché européen reste sain

L'analyste de PwC est plus inquiet pour le marché américain où « on voit des signes très clairs d'essoufflement. Le niveau des stocks est très élevé et les primes commerciales sont également de plus en plus nombreuses sur le marché ». « À l'inverse, en Europe, le marché est plutôt sain avec un taux d'utilisation des capacités autour de 80% qui permet d'avoir des usines rentables, mais pas saturées ». Autrement dit, le marché européen ne court pas vers une guerre des prix.

Pour Maxime Lemerle expert du secteur automobile chez EulerHermes, le marché automobile ne sera pas vraiment confronté à une problématique de volumes dans les prochaines années.

« La croissance 2018 des années à venir sera favorable au marché automobile, mais cette croissance sera essentiellement portée par les pays émergents. À elles seules, la Chine et l'Inde porteront 60% de la croissance attendue ».

« La croissance chinoise a fortement ralenti ces dernières années. Elle doit croître de 4% cette année et probablement de 3,5% en 2019, contre une croissance moyenne de 8,5% sur la période 2012 à 2017. Pour autant, ce marché restera le principal moteur de la croissance mondiale puisqu'il devrait gonfler de 2 millions de voitures entre 2017 et 2019 pour atteindre 31,3 millions d'immatriculations », ajoute l'analyste d'EulerHermes.

Les ratios de rentabilité ont atteint un plus haut

En revanche, les constructeurs pourraient rencontrer d'autres difficultés qui vont impacter leur performance financière. « Les perspectives sur les résultats sont beaucoup moins favorables. Nous avons atteint un haut de cycle», explique Maxime Lemerle. Et de rappeler que « la marge opérationnelle a atteint 5% en moyenne pour les constructeurs et 7,2% pour les équipementiers ».

En cause ? Un faisceau d'éléments qui contrarient ce haut niveau de performances. Ainsi, les investissements ont atteint le chiffre record de 140 milliards de dollars en 2016 soit 4,8% du chiffre d'affaires des constructeurs.

« La transition vers la voiture électrique pose des difficultés commerciales et industrielles. D'autant qu'avec 2% du total des immatriculations, la masse critique n'y est pas pour envisager un équilibre économique », juge Maxime Lemerle.

De son côté, Charles de la Tour d'Auvergne, analyste en charge des nouvelles mobilités chez PwC estime que la rentabilité de la voiture électrique n'est pas pour demain : « la voiture électrique restera chère à l'achat. La baisse du coût des batteries sera neutralisée par le surcoût qui servira à augmenter leur autonomie. ». Il estime néanmoins « qu'une bascule pour une équivalence entre le prix d'une voiture thermique et une voiture électrique » pourrait être atteinte en 2025. Autrement dit, la voiture électrique restera durablement une source de pertes pour les constructeurs.

Pour Maxime Lemerle, il existe d'autres sources d'inquiétudes : le regain de protectionnisme, le durcissement des réglementations... « Tout le secteur sera mis sous pression y compris les équipementiers ». Ce phénomène ne sera pas circonscrit au marché européen, c'est toute l'industrie automobile mondiale qui est concernée par ce phénomène.

[Stock de voitures 100% électrique et hybrides rechargeables dans le monde depuis 2005. Infographie : Statista(*). Cliquez sur l'illustration pour l'agrandir]

« Le secteur automobile un affronte un choc d'incertitudes très fort qui va conduire les constructeurs à repenser leurs investissements. Mais, cette réaction à des problématiques de courts termes, risque de compromettre leurs projets de long terme notamment en termes d'innovations futures », souligne Maxime Lemerle.

En attendant, le salon automobile de Paris ne se contentera pas, comme chaque année de présenter les nouveautés de l'industrie automobile, elle a prévu un espace dévolu aux mobilités de demain... Une autre menace que les constructeurs tentent de déjouer à travers de nombreuses initiatives, mais sans avoir encore trouvé de modèles économiques viables. Le Mondial de Paris, plus que jamais, sera celui d'une profonde transition du secteur.

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(*) Un graphique de notre partenaire Statista.