Nissan enregistre les plus mauvais résultats depuis la crise, Ghosn en bouc émissaire

Par Nabil Bourassi  |   |  948  mots
(Crédits : Yuya Shino)
Le groupe automobile japonais a vu sa marge opérationnelle divisée par deux en 2018 et prévient que la situation ne s'améliorera pas cette année. Selon Hiroto Saikawa, Nissan paie pour les choix stratégiques de Carlos Ghosn. Il juge d'ailleurs que le moment n'est pas propice à une fusion avec Renault alors que celui-ci en a fait sa priorité stratégique.

Décidément, Carlos Ghosn a bon dos chez Nissan... Pour la deuxième fois en l'espace de quelques semaines, la direction du groupe automobile japonais a déporté sur son ancien patron la responsabilité des difficultés commerciales et financières qu'elle rencontre. En mars, l'affaire Ghosn, expression qui désigne la procédure judiciaire en cours à Tokyo à l'encontre de Carlos Ghosn, avait déjà été prise pour prétexte pour justifier la baisse des ventes.

Cette fois, c'est à l'occasion des résultats annuels que Hiroto Saikawa, directeur général de Nissan, a eu recours à l'ancien exécutif pour expliquer la chute des profits de l'exercice 2018/2019 (clos fin mars) mais également de l'exercice à venir.

Résultats très en-dessous des prévisions

Sur l'année écoulée, le bénéfice net de Nissan a baissé de 57% à 2,5 milliards d'euros, soit le plus bas niveau depuis 2010. Au-delà de la baisse vertigineuse du résultat, ce chiffre est aussi très éloigné de l'objectif que la direction (déjà dirigée par M. Saikawa) s'était donné. Nissan visait un résultat de 500 milliards de yens et il n'a été que de 319 milliards. Pis ! C'est une véritable détérioration de la rentabilité que doit affronter Nissan parce que le chiffre d'affaires, lui, n'a baissé que de 3,2% à 92,6 milliards d'euros. Conséquence, la marge opérationnelle est quasiment divisée par deux à 2,7%.

Pour Hiroto Saikawa, ces résultats qu'il a lui-même qualifié de "médiocres" sont « l'héritage négatif de la précédente direction ». Il a fustigé une stratégie « d'investissements excessifs » et d'une « course aux volumes ». Enfin, l'affaire Ghosn a eu un impact, selon lui, sur la continuité opérationnelle du groupe : « Il y a eu un moment où nous n'avons pas pu nous concentrer sur notre activité ».

Le ralentissement de l'activité de Nissan est général, seule la Chine fait exception. Aux États-Unis, les ventes ont baissé de 8% en 2018, soit beaucoup plus que le marché qui est resté stable.

Situation très préoccupante en Europe

En Europe, la situation est encore plus précaire. Le plongeon des ventes est inexorable. Au premier trimestre, les immatriculations se sont effondrées de 27%, après avoir baissé de 14% en 2018. C'est quasiment un point de parts de marché en moins sur le Vieux continent sur les trois premiers mois de l'année. Pour Hiroto Saikawa, la stratégie de l'ancienne direction a négligé le renouvellement des gammes.

Il est vrai qu'en Europe, les modèles Nissan ont pris un sacré coup de vieux y compris sur sa gamme de SUV, et ce malgré son statut de référence du marché. Ainsi, le Juke, premier du genre sur le segment B qui a donné lieu aux fameux Captur et 2008, a largement dépassé son cycle de vie du haut de ses neuf ans d'existence. D'autant que le segment s'est très largement renouvelé avec de nombreuses nouveautés. De même, le Qashqai, l'incontournable SUV du segment C qui a fait les beaux jours de Nissan avec des volumes (et qui s'est quand même vendu à 240.000 unités en 2018 ce qui lui permet de maintenir son statut de leader) doit néanmoins affronter une concurrence de plus en plus compétitive et moderne. En cinq ans, Nissan n'a lancé que deux modèles en Europe : la Micra et la Leaf, soit deux modèles qui ne sont pas le cœur de gamme du japonais.

En outre, le groupe doit encaisser l'échec d'Infinity, sa marque premium, en Europe qui a donc décidé de plier bagage. Enfin, le Brexit fait courir un risque majeur pour Nissan pour son exercice 2019. Le Japonais est l'un des constructeurs automobiles les plus exposés à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'essentiel de sa production est effectivement situé de l'autre côté de la Manche ce qui signifie qu'elle sera soumise au régime douanier qui sera décidé par Londres et Bruxelles. Autrement dit, le brouillard est total. Le groupe devra souffrir de taxes à l'export, et à l'import (pour les pièces) mais également les formalités réglementaires qui pourraient gripper sa chaîne d'approvisionnement.

L'Alliance, fausse bonne solution selon Saikawa

Chez Nissan, on tempère... Pour expliquer la baisse des ventes, la direction Europe a engagé une politique d'assainissement des canaux de distribution ce qui a impacté les volumes de vente.

Face à toutes ces difficultés, Nissan aurait pu faire de l'Alliance avec Renault une opportunité pour dégager des gisements de productivité et d'économies supplémentaires. C'est tout le contraire qu'a répondu Hiroto Saikawa lors d'une conférence de presse présentant les résultats annuels. Selon lui, « ce n'est pas le moment de discuter » des participations croisées. Autrement dit, il n'est pas encore l'heure de parler de fusion, soit une divergence avec Renault qui pousse de toutes ses forces sur ce sujet.

Mais si les difficultés persistent, Hiroto Saikawa pourrait mettre son groupe en difficulté et ainsi le mettre à la merci des velléités de son premier actionnaire (Renault possède 44% du capital de Nissan). C'est ce qui fait dire aux analystes que Hiroto Saikawa a devant lui un lourd challenge : celui de redresser Nissan, quitte à engager un nouveau plan stratégique. Les marchés ne sont d'ailleurs pas dupes des responsabilités des uns et des autres puisqu'ils rappellent que M. Saikawa est à la tête de Nissan depuis plus de deux ans maintenant et qu'il est donc bien comptable des résultats. Pour un autre analyste cité par l'AFP : « Ils doivent oublier Carlos Ghosn, il ne fait plus partie de la compagnie, c'est une distraction ».