Objectif CO2 : la combine de Fiat avec Tesla est-elle légale ?

Par Nabil Bourassi  |   |  966  mots
(Crédits : Heinz-Peter Bader)
Le groupe automobile Fiat-Chrysler a passé un accord avec Tesla dans la perspective des objectifs de CO2 de 2021. Il s'agit d'échapper à des amendes qui s'annoncent astronomiques. La légalité du montage pose toutefois question, et tous les regards sont tournés vers la Commission européenne...

Se faire flasher à 150 sur l'autoroute, et demander à un tiers de perdre ses points à sa place... Légal ? Immoral ? Pour Fiat Chrysler Automobile, ce sera surtout une question de vie de mort! Non pas la perte de points sur le permis de Mike Manley, son PDG, mais le fait de récupérer les droits à polluer de Tesla en vue de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation des objectifs de CO2 en 2021.

D'après une information du Financial Times publiée lundi 8 avril, le groupe italo-américain aurait signé un accord avec le Californien Tesla, spécialiste des voitures 100% électrique, afin de lui acheter ses bonus de CO2. Les deux entreprises auraient ainsi élaboré un ingénieux montage fondé sur les failles juridiques du règlement sur les objectifs européens de CO2 et ainsi éviter les lourdes sanctions prévues.

Un flou juridique

Pour Hubert Biard, avocat spécialiste en droit des sociétés au cabinet Cornet Vincent Ségurel, la réponse se situe dans le texte: "il y a une notion très importante dans le règlement qui est la "réception communautaire". Avec cette notion, il suffit pour Fiat d'importer une Tesla sur le territoire européen, sans même l'immatriculer, pour que celle-ci soit comptabilisée.

Autrement dit, Fiat n'aura pas besoin de construire le véhicule, ni même de le commercialiser, simplement de l'importer et le stocker. Cette astuce sémantique permet ainsi de rendre la chose légale et Fiat ne s'en cache pas. "Nous allons tirer le meilleur des options offertes par la réglementation pour respecter les normes", a ainsi indiqué FCA dans une déclaration à l'AFP. Ce n'est pas tout. Sur la nature même des contractants, la Commission se montre également large d'esprit:

"Bruxelles a consenti à ce que des "pools", c'est-à-dire des conglomérats, se constituent, y compris sous une forme informelle, c'est-à-dire sans liens capitalistiques", observe Hubert Biard. Selon l'avocat, "la Commission n'a même pas de droit de regard sur les dispositions contractuelles qui lie les protagonistes puisqu'il s'agit d'une relation entre personnes de droit privé, et donc confidentielle. En revanche, elle peut soit légiférer avant l'entrée en vigueur du règlement, ou déclencher une enquête sous le motif d'un abus de droit".

Autrement dit, si la Commission veut neutraliser ce dispositif monté par Fiat, elle le pourrait parfaitement. Pour Hubert Biard, rien n'est moins sûr: "il n'est pas exclu que FCA et Tesla ait obtenu un aval officieux de la Commission. Il y a évidemment des enjeux économiques majeurs, et l'industrie automobile a sans doute exercé du lobbying pour que Bruxelles ne verrouille pas davantage le règlement sur les CO2".

Des amendes stratosphériques

Pour rappel, la nouvelle réglementation CO2 qui entrera en vigueur à partir de 2021 imposera un objectif de 95 grammes d'émission de CO2 par voiture. Les voitures 100% électrique offriront un gain double en termes d'économie de CO2, dans le calcul de cette moyenne. Les constructeurs seront sanctionnés à hauteur de 95 euros d'amende par voiture et par gramme excédentaire...

Pour les constructeurs, les objectifs CO2 ont été élevés au rang de priorité absolue. Certains ont même établi des task forces d'élite, comme chez PSA, pour être dans les clous dans les délais. Et pour cause, les amendes s'annoncent astronomiques. Récemment, l'institut JATO a projeté les résultats commerciaux 2018 sur ce règlement, qui, certes, ne sera applicable qu'en 2021, soit seulement deux ans plus tard (un horizon de temps minuscule à l'échelle de l'industrie automobile où le développement d'une gamme prend quatre à cinq ans). Cette projection factice permet de jauger le chemin à parcourir... Et les résultats sont à peine croyable... Ainsi, le groupe Volkswagen qui a un écart de 26,6 grammes à résorber d'ici 2021, se serait vu infliger une amende de plus de 9 milliards d'euros. PSA aurait payé 5,4 milliards d'euros de pénalités en raison de son écart de 23 grammes. Le groupe Fiat, lui, aurait payé 3,24 milliards d'euros d'amende.

Mais contrairement à Fiat, Volkswagen et PSA sont sur le point de déployer une gamme de voitures électriques et électrifiées (les hybrides). Le groupe italo-américain a certes investi 9 milliards d'euros dans l'électrification, mais les premiers modèles n'arriveront pas avant courant 2020. En outre, il ne suffira pas de disposer d'une gamme électrifiée, il faudra également que celle-ci représente une part suffisante des ventes. On peut ainsi citer le groupe Renault en exemple qui est pourtant l'un des constructeurs les plus en avance en matière de voiture électrique avec une gamme spécifique qui va de la citadine (Zoé, Twizy) aux utilitaires (Master, Kangoo). Même avec cette gamme, le constructeur français aurait payé une amende de 3,6 milliards d'euros en 2018, d'après la méthode de calcul de JATO.

Mazda va s'appuyer sur Toyota

Dès lors, les constructeurs tentent de déjouer les pronostics de JATO. Le partenariat Fiat-Tesla pourrait faire des émules. Mazda a d'ailleurs d'ores et déjà annoncé qu'il allait s'appuyer sur Toyota pour réduire son exposition aux normes CO2 à travers un schéma similaire. Si la Commission choisit de ménager les constructeurs avec le souci de préserver des enjeux d'emplois, les gouvernements pourraient s'émouvoir davantage de la méthode.

Au lendemain de l'annonce d'un partenariat FCA-Tesla, la secrétaire d'État à la Transition énergétique a manifesté sa perplexité. Interrogée lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, Brune Poirson, a répondu que cette alliance "questionne la sincérité de la démarche. Il s'agit clairement d'un détournement de l'esprit de la règle qui est bien que tous les constructeurs s'engagent dans les transports propres en profondeur".