PSA-Opel : questions sur un rachat à haut risque

Par Nabil Bourassi  |   |  1135  mots
Le rachat d'Opel par PSA pose de nombreuses questions, et les complémentarité ne sont pas évidentes d'un point de vue stratégique.
Le groupe français a confirmé avoir engagé des discussions avec General Motors pour racheter sa filiale européenne Opel. Seulement, cette marque n'est pas au mieux de sa forme, et les complémentarités stratégiques ne vont pas de soi, tandis que PSA est encore en phase de relance de ses propres marques, dont deux encore convalescentes...

Après le divorce, le remariage ? Trois ans après l'échec retentissant du rapprochement entre PSA et Opel, les deux constructeurs automobiles remettent ça. Divulgué par l'agence de presse Reuters, le groupe automobile français a fini par confirmer des discussions avec General Motors en vue d'une fusion avec sa filiale européenne Opel.

Aucun autre détail n'a pu filtrer. Notamment si cette fusion signifiait un retour de General Motors dans le capital de PSA, ou une vente de gré à gré d'Opel. Un vrai sac de nœuds à l'heure où PSA est contrôlé par un trio d'actionnaires qui possèdent chacun 14% du capital : l'État français, le groupe automobile chinois Dongfeng et la famille Peugeot.

Des projets industriels toujours en oeuvre

Le divorce de General Motors et PSA en 2014 n'avait pas mis fin aux projets industriels lancés en commun entre les deux groupes. Ainsi, les trois projets de voitures sont bien mis en œuvre. Opel s'apprête d'ailleurs à lancer le Crossland X qui sera fabriqué à Saragosse, mais qui partagera la même plateforme que le Citroën C3 Aircross (lancement à Shanghai en avril). Un autre crossover de segment C, qui remplacera l'Opel Zafira, sera également conçu sur une base commune. Mais il sera fabriqué dans l'usine PSA de Sochaux. Enfin, la marque allemande confiera à PSA la production de son utilitaire de segment B, dans l'usine de Vigo en Espagne. Dernier volet de ce partenariat, la mise en commun du sourcing, c'est-à-dire la direction des achats, a accompagné le développement de tous ces modèles, ce qui permet de baisser le coût unitaire de fabrication.

Pour Carlos Tavares, le reliquat de cette alliance déchue est un véritable vivier d'économies d'échelles, et il n'a jamais été question de revenir dessus. Bien au contraire. Il semblerait que désormais, il souhaite aller encore plus loin. Celui qui a redressé PSA avec son plan Back to the Race et son fameux "abaissement du point mort de production d'un million de véhicules" (seuil de production à partir duquel PSA gagne de l'argent), a toujours indiqué qu'il souhaitait développer des partages de plateforme dans le cadre du plan Push to Pass. Ainsi, sur la plateforme EMP2, Carlos Tavares veut développer des modèles sur au moins cinq marques : Peugeot, Citroën, DS, mais également la marque du chinois Dongfeng et bientôt peut-être Opel.

Cette stratégie a permis à nombre de constructeurs automobiles de gagner en compétitivité. Chez Volkswagen, la plateforme MQB est partagée entre Volkswagen, Audi, Seat et Skoda avec des volumes autrement plus importants. L'Alliance Renault-Nissan a développé plusieurs marques (Nissan, Renault, Infiniti, Dacia) sur sa plateforme CMF, voire même plusieurs modèles par marque comme les Talisman, Espace, Kadjar, Mégane, Scénic, Koleos pour la seule marque au losange.

Vite des volumes !

Pour PSA, ses trois marques et ses trois millions de véhicules ne suffisaient plus à rattraper son retard. Il faut donc chercher des volumes, quoi qu'en dise (et martèle) Carlos Tavares. Opel, avec ses 990.000 d'unités vendues en Europe peut être une réponse. Mais Opel n'est pas non plus la marque automobile la plus en forme du Vieux continent. General Motors a encore publié des résultats financiers sur son marché européen en fort déficit... En 16 ans d'exercice, l'américain n'a jamais gagné d'argent en Europe, cumulant 15 milliards d'euros de pertes sur cette période. Le groupe américain a beau expliquer que l'exercice 2016 a été plombé par les effets de change consécutifs au Brexit. Certes, la marque a largement réduit ses pertes qui sont passées de 800 millions d'euros en 2015 à 257 millions en 2016 en raison d'une charge de 300 millions d'euros d'effets de change défavorables.

Il n'empêche, la marque Opel revient de loin et n'est pas sorti d'affaires. Pour rappel, l'américain avait tenté de s'en débarrasser en pleine crise financière, non sans polémiques avec le gouvernement allemand, avant de se raviser face à la reprise de la croissance en Europe. Mais la marque allemande rachetée en 1927 n'est jamais parvenue à redresser la barre, et ce malgré quelques succès comme l'Insignia ou la nouvelle Astra, élue voiture de l'année en 2016. Mais en dix ans, Opel a perdu près de 2,5 points de parts de marché, passant de 9% en 2005 avec 1,4 million d'immatriculations, à 6,6% du marché européen. Enfin, Opel dispose d'un appareil productif pléthorique. Le taux d'utilisation de ses capacités de production est de 63% seulement, loin des 71% en vigueur dans le secteur.

Trois marques françaises en convalescence

Pour PSA, l'arrivée d'une marque supplémentaire pourrait s'avérer complexe à gérer sachant que le groupe est en phase de relance de ses propres marques. Celle de Peugeot est déjà bien entamée avec le lancement de plusieurs SUV dont les 3008 et 5008. La relance de Citroën est imminente avec le lancement de deux SUV cette année, mais il lui faudra quelques années avant de retrouver les volumes d'avant crise (930.000 unités en 2006 contre 541.000 en 2016 en Europe, soit 4 points de parts de marché en moins). Enfin, DS dont les ventes ont encore baissé en 2016 de 12% sur le vieux continent affiche un chiffre minuscule de 65.000 voitures vendues... Autrement dit, PSA a-t-il les moyens de se payer un plan de relance supplémentaire ?

"D'autant qu'Opel et les marques de PSA sont sur le même créneau", s'étonne un spécialiste de l'industrie automobile. C'est une façon de dire que Peugeot et Opel sont deux marques qui se veulent généralistes premium, à l'instar de Volkswagen, ce qui laisse peu de complémentarité.

"C'est une opération très européenne, et on a du mal à voir ce qu'Opel peut apporter à PSA que ce soit en termes de brevets ou de technologies", ajoute-t-il. "Il est cependant vrai qu'Opel est bien positionné en Allemagne, là où PSA a toujours pêché, mais également au Royaume-Uni avec Vauxhall", concède notre analyste. "Cette opération ne répondra néanmoins pas à la problématique de pérennité stratégique du groupe PSA sur le long terme", conclue-t-il.

Vers une casse sociale ?

Ce serait donc une opération purement industrielle répondant à une logique de volume. D'ailleurs, le communiqué de PSA publié ce jour confirmant l'information ne dit pas autre chose lorsqu'il évoque les "initiatives stratégiques visant à améliorer sa rentabilité et son efficacité opérationnelle".

Mais voilà qu'apparait un ultime hic. Si cette opération aboutit à des synergies de production, cela se traduira nécessairement par des ajustements de l'outil de production. En pleine année électorale des deux côtés du Rhin et sur fond de populisme, la perspective d'une baisse des effectifs, voire d'une fermeture d'usine, parait hautement improbable...