Faut-il couper dans les aides au logement ?

Par Mathias Thépot  |   |  1254  mots
Comme le rappelle l'économiste de l'OFCE, Pierre Madec, l'efficacité des aides, « bien qu'en diminution, n'est plus à prouver puisque, selon l'Igas, elles permettent à elles seules de diminuer le taux d'effort des allocataires de 36% à 20%, et de faire baisser leur taux de pauvreté de 3 points ». (Crédits : Reuters)
Dans un cadre budgétaire contraint, les candidats à l'élection présidentielle cherchent des économies budgétaires. Ils ciblent les aides au logement. Mais est-il concevable de les couper ?

Près de 41 milliards d'euros. Voilà le montant colossal débloqué chaque année par l'État français pour le logement. En 2014, cela représentait 1,9 % du PIB français, selon les Comptes du logement. Ce niveau de dépenses est régulièrement remis en cause par les tenants de la rigueur budgétaire. D'autant que ces 41 milliards d'euros n'ont pas résolu la crise du logement en France. Pire, elle perdure, voire s'amplifie. Comme le montre le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre, le mal-logement s'enracine. Et alors que le quinquennat Hollande arrive à son terme, il y aurait, au bas mot, près de 15 millions de personnes qui sont victimes de la crise du logement ! On estime aussi à 1 million le manque de logements en France et les prix de l'immobilier sont trop élevés par rapport aux revenus des ménages. Dès lors, le système très coûteux d'aides au logement est logiquement questionné, tout particulièrement en cette période où les traités européens demandent à la France des efforts budgétaires.

Un public d'allocataires trop large

Doit-on couper dans ces dépenses ? Et si oui, lesquelles pourraient être visées ? En réalité, la situation est très complexe... Les aides les plus souvent attaquées sont les fameuses aides personnelles au logement, qui représentaient un montant total de 17,7 milliards d'euros en 2014. Sous conditions de ressources, elles se divisent en trois parties : l'aide personnalisée au logement (APL), réservée aux locataires de logements conventionnés, principalement les logements sociaux, l'allocation de logement familiale (ALF) et l'allocation de logement sociale (ALS) destinée aux ménages du secteur privé qui n'ont ni accès à l'APL, ni à l'ALF. On trouve notamment dans les bénéficiaires de l'ALS les étudiants qui se logent dans le secteur privé (ils sont environ 700.000). Au total, 6,3 millions de ménages sont allocataires des 17,7 milliards d'euros, selon la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Ces aides s'adressent donc à un public large, trop large selon certains, qui souhaitent les recentrer vers les ménages les plus démunis. C'est notamment le cas du candidat de la droite François Fillon qui s'inscrit dans un cadre plus global de réduction des dépenses publiques de 100 milliards d'euros. Il propose concrètement d'intégrer les aides au logement (APL, ALS, ALF) dans une prestation unique.

Dans une moindre mesure, Emmanuel Macron veut également recentrer les aides vers les plus démunis dans un cadre de baisse de 60milliards d'euros des dépenses publiques. Ce dernier souhaite en fait poursuivre sur la ligne du gouvernement actuel qui a engagé un mouvement de baisse en excluant les allocataires ayant un patrimoine trop élevé (les aides personnelles au logement baissent désormais lorsque le patrimoine de l'allocataire dépasse 30.000 euros). Cette mesure permet des économies en vitesse de croisière de 300 millions à 400 millions d'euros par an pour l'État. C'est, certes, peu au regard du montant global des aides. Mais cela permet au moins d'en limiter la hausse. Reste qu'il est compliqué de couper davantage sans générer, au moins à court terme, des dégâts sociaux importants. En effet, comme le rappelle l'économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Pierre Madec, l'efficacité des aides, « bien qu'en diminution, n'est plus à prouver puisque, selon l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), elles permettent à elles seules de diminuer le taux d'effort des allocataires de 36 % à 20 % et de faire baisser leur taux de pauvreté de 3 points ». Ainsi « les aides au logement constituent de fait l'un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté », ajoute-t-il. Par ailleurs, il faut savoir qu'en réalité, au sein des 41 milliards d'aides au logement, ce ne sont pas les aides personnelles au logement qui ont augmenté ces dernières années.

Une réduction des aides complexe à mettre en oeuvre

Comme le rappelle Pierre Madec, « en 2014, la France a consacré 1 % de son PIB aux allocations logement, soit une part similaire à celle consacrée depuis 1996 ». C'est en fait davantage du côté des aides aux producteurs de logement (bailleurs sociaux et privés principalement) que les dépenses ont augmenté, et qu'il faudrait peut-être chercher des économies. La période 2004-2011, notamment, a été marquée « d'une part par la forte hausse de l'investissement des bailleurs sociaux et privés jusqu'à un niveau historiquement élevé (construction neuve, rénovation urbaine, investissement locatif), et d'autre part par la montée en charge des dispositifs de prêt à taux zéro », indiquent les Comptes du logement.

Ainsi, à moins de casser complètement le système de production de logements sociaux, et de revenir sur les objectifs ambitieux en matière de transition énergétique, il sera compliqué de baisser significativement une grande part des aides. Restent enfin les avantages fiscaux qui perdurent pour les producteurs de logements privés. Ils représentaient près de 3 milliards d'euros pour les caisses de l'État en 2014. Au sein de ces 3 milliards, il y a notamment 1,8 milliard d'euros lié aux différents dispositifs d'aide fiscale à l'investissement locatif qui prospèrent depuis les années 1980. Instauré fin 2014, le dernier en date, le Pinel, a d'ailleurs pris son envol, faisant revenir des investisseurs particuliers sur le marché du logement neuf. Mais ce n'est pas pour autant que les candidats à la présidentielle le trouvent vertueux. Jean-Luc Mélenchon a notamment indiqué lors d'une conférence organisée par la fondation Abbé Pierre qu'il redéploierait « les

2 milliards inutiles d'aides fiscales aux logements privés » vers la construction de logements sociaux énergétiquement performants. Mais il n'est pas le seul à interroger le bien-fondé de ces dispositifs : Emmanuel Macron et Benoît Hamon proposent tous les deux une évaluation approfondie. De son côté, François Fillon qualifie ce type de mesures de « budgétivores et difficilement évaluables en l'état ».

Une loi Pinel qui pose question

Autrement dit, même si le Pinel a participé à relancer le marché de l'immobilier en 2015 et en 2016, les candidats questionnent clairement son efficacité. Mais au-delà du coût budgétaire, dont on peut considérer qu'il est compensé plus tard par les rentrées fiscales lorsque le Pinel génère de l'activité, c'est le sens de ce dispositif qui pose réellement question : en donnant la possibilité aux acheteurs d'un logement neuf de louer à un ascendant ou à un descendant, le Pinel encourage l'immobilité sociale. Il risque de maintenir, voire de renforcer, les inégalités, ce qui ne résoudra pas la crise du logement. Par ailleurs, comme ces prédécesseurs, le Pinel peut parfois favoriser la construction de logements là où les besoins sont faibles. Ce dispositif est notamment peu rentable pour les investisseurs dans les zones très tendues, là où les prix sont les plus élevés.

Plus globalement, il faut dire que la création d'un cadre fiscal très favorable à l'immobilier a souvent comme effets pervers de tirer artificiellement les prix vers le haut dans les zones tendues, alors que les revenus des ménages, eux, augmentent peu. Le mirage des taux d'intérêt bas qui améliore la solvabilité d'un champ large de ménages ne doit pas faire oublier que des effets d'aubaine qui découlent de ce type de dispositif sont nombreux - c'est le cas aussi pour le prêt à taux zéro élargi depuis le 1er janvier 2016. Mais les politiques prendront-ils le risque de gripper le marché pour créer des dispositifs plus justes ? C'est peu probable...