Soldes d'hiver, c'est parti pour des consommateurs parfois..."déboussoldés"

Par Juliette Garnier, Odile Esposito et Olivier Provost  |   |  1434  mots
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Les ventes sur Internet ou dans les grands magasins sont en pleine forme, tandis que les grandes surfaces et la vente à distance ont souffert en 2010. Mais les consommateurs sont parfois perdus.

Les soldes d'hiver 2011 seront sans doute un bon millésime. Dès ce mercredi matin, Le Printemps proposera ses principales marques de luxe à 50 %, La Redoute ira jusqu'à 70 %, de même que le leader européen des chaussures sur Internet, Spartoo.com. Tous les réseaux de distribution veulent frapper fort, alors que les consommateurs sont attendus dès les premiers jours. Selon une étude Ipsos effectuée pour le Conseil national des centres commerciaux, 85 % des personnes interrogées souhaitent profiter des soldes, soit 5 % de plus que les années précédentes, et 58 % d'entre elles pensent venir entre mercredi et dimanche.

Décembre perturbé par la neige

La foire aux rabais intervient cette année après un mois de décembre très contradictoire. La neige a bloqué les achats en début de mois et dans la semaine cruciale précédent Noël mais elle a aussi poussé à l'achat de doudounes et de bottes fourrées. « La France a été coupée en deux à hauteur de Lyon, avec des ventes de + 2 % à + 3 % dans la zone sud et, au contraire, de 8 % à 10 % dans certaines villes de la zone nord », explique le président de la Fédération nationale de l'habillement, Charles Melcer. « Les chiffres sont tellement contrastés que je n'ai pas encore de tendance précise sur le mois », reconnaît la directrice des études économiques à l'Institut français de la mode, Evelyne Chaballier.

Écarts entre les réseaux

Bien avant décembre, la crise a creusé les écarts entre les réseaux. Au total, les ventes d'habillement finissent l'année 2010 en stabilité à 0,4 %, après des reculs de 3 % et 3,5 % en 2008 et 2009. Mais la vente sur Internet, qui représente près de 9 % des ventes contre 6 % en 2009, est la grande gagnante. Les « pur player » comme Ventesprivées, BrandAlley ou Spartoo sont bien décidés à faire le plus de bruit lors de ces soldes, même s'ils ne pèsent que 2 % du total.

Vente à distance et Internet

Les grands magasins ont également fait un saut de 6,5 % entre janvier et novembre grâce à l'arrivée massive des touristes chinois et russes et à un recentrage sur le luxe. « Nous avons gagné 20 % sur le mois de décembre et les soldes devraient être à l'avenant », commente le directeur général du Printemps Haussmann, Pierre Pelarrey. Les chaînes spécialisées type Zara ou H&M n'ont progressé que grâce à l'ouverture de magasins dans les nouveaux centres commerciaux, tandis que les boutiques indépendantes ont reculé du fait de la fermeture des leurs. Les perdants sont les hypers et les supermarchés, en repli de 2,4 %, et surtout la vente à distance (6 %), démodée par la nouvelle concurrence d'Internet. En réponse, la Redoute ou les 3Suisses multiplient les prix barrés (54 % des ventes, contre 49 % en 2009). Ces promotions, facilitées par la Loi de modernisation économique, sont les autres gagnantes cette année, tandis que les soldes flottants (deux semaines à la discrétion des enseignes) sont décriés à la quasi-unanimité. « Ils perturbent l'image prix et les clients qui ont l'impression de ne jamais acheter au bon moment », assène Charles Melcer.

 

Les Français prêts à dépenser en moyenne 219 euros

Selon un sondage BVA Opinion pour Le Parisien Aujourd'hui en France, sept Français sur dix ont l'intention de profiter des soldes qui commencent ce mercredi 12 janvier. Pas question de faire des folies pour autant, surtout après les dépenses des fêtes de fin d'année. Le budget qu'ils comptent y consacrer reste raisonnable : 219 euros en moyenne. Et la crise a rendu les consommateurs méfiants. Ils craignent de se laisser envahir par "la fièvre acheteuse". Près de trois Français sur dix avouent gérer plutôt difficilement leur budget pendant les soldes et quatre sur dix concèdent qu'ils peuvent regretter leurs achats.
 

L'analyse d'Odile Esposito : des consommateurs "déboussoldés"

L'ouverture des soldes, ce deuxième mercredi de janvier, ne devrait pas déroger à la tradition : des magasins qui ouvrent leurs portes dès 8 heures, des clients qui se précipitent sur les articles à prix barrés pour regarnir leurs armoires et placards... Un rituel immuable et important économiquement. Selon un rapport du Crédoc et de l'Institut français de la mode (IFM) remis en décembre dernier au gouvernement, 65 % des Français attendent désormais les soldes pour leurs achats vestimentaires. En 2001, ils n'étaient encore que 59 %. Et la part des soldes dans les achats (en valeur) d'habillement est passée de 10,9 % durant la saison 1999-2000 à 15,5 % dix ans plus tard.

Perte de repères

Pourtant, on peut s'interroger sur la persistance de ce temps fort de la consommation, alors que réductions et promotions fleurissent de plus en plus tout au long de l'année. Et même à l'approche des fameux soldes. Depuis quelques jours, les « ventes privées » battent leur plein : les enseignes consentent des réductions de 20 % à 50 % à leurs clients fidèles, avertis par courrier, mail ou SMS. Selon le même rapport Crédoc-IFM, les achats de vêtements lors des diverses promotions représentent désormais 16,7 % du total, dépassant en valeur ceux réalisés durant les soldes.

Pour le consommateur, la multiplication de ces rabais constitue bien évidemment une aubaine. Mais elle lui fait aussi perdre tous ses repères en matière de prix. Et le constat ne vaut pas que pour l'habillement, bien sûr, puisque, dans tous les domaines, les promotions sont devenues monnaie courante. Dans la grande distribution, estiment les observateurs, près d'un article sur cinq serait ainsi vendu en « promo » : deuxième ou troisième article identique gratuit, bonus sur la quantité, réduction pour les porteurs de cartes de fidélité...

Remise de 2500 euros sur une petite Renault Twingo

Les biens les plus onéreux n'échappent pas au phénomène. La prime à la casse a disparu depuis le 1er janvier, mais les soldes sur les voitures continuent, les constructeurs cherchant à éviter un effondrement du marché automobile. Jusqu'à fin février, Renault, par exemple, vous propose une reprise d'au moins 2.500 euros si vous lui achetez une petite Twingo. Tandis que, chez Volkswagen, « l'avantage client » comme l'appelle la marque allemande, peut atteindre 4.400 euros sur une Golf. Bref, dans une concession automobile comme dans un magasin de meubles, vous vous sentez floués désormais si vous payez le prix catalogue !

"Les tarifs en un coup d'oeil"

Les entreprises ont bien pris conscience de cette perte de repères. Dans certains secteurs, d'ailleurs, les tarifs de base ont totalement disparu. Elle semble bien loin l'époque où la SNCF appliquait un prix unique au kilomètre, quels que soient le trajet et la date du voyage. Face aux réclamations multiples que suscitait sa grille tarifaire, la compagnie ferroviaire affiche depuis peu, pour ses TGV, un comparatif fièrement intitulé « les tarifs en un coup d'oeil ». Sorte de matrice en trois dimensions à douze entrées qui laisse plutôt le voyageur sur sa faim !

Le grand impératif, désormais, est d'éviter la fuite de ces clients déboussolés, pour ne pas dire « déboussoldés ». Pour cela, les parades sont diverses. La plus classique consiste à enrichir le produit d'un service : allongement de la garantie, livraison gratuite, échange de dernière minute... Mais tous les produits ne se prêtent pas à l'exercice. Les automobilistes, par exemple, sont rarement prêts à payer quelques centimes de plus leur litre de carburant pour bénéficier de l'aide du pompiste. Et les concurrents ont alors tôt fait de s'aligner.

Technique sophistiquée

D'où la technique, plus sophistiquée, consistant à décomposer le prix en multiples facteurs rendant les comparaisons difficiles. La méthode a été très largement employée par les opérateurs télécoms avec leurs incontournables forfaits. Dans un abonnement mensuel à 30 ou 40 euros (pardon, à 29,99 ou 39,99 euros), quelle est la part du téléphone lui-même et celle des communications ? Difficile à démêler la plupart du temps, au grand dam des associations de consommateurs. L'astuce est efficace et elle a donc fait de nombreux adeptes, par exemple chez les voyagistes ou les compagnies de gaz et d'électricité.

Bien sûr, le moyen le plus efficace de séduire ses clients, c'est l'innovation et la force de la marque, essentielle pour redonner des repères aux consommateurs. Nespresso a longtemps régné en maître sur le marché des dosettes de café et ce n'est qu'avec l'entrée en lice de concurrents au printemps dernier qu'il a commencé à en offrir gratuitement quelques rares exemplaires à ses fidèles clients.