SeaFrance : les administrateurs de la SNCF invités à renoncer à des créances majeures

Par Claire Garnier, à Calais  |   |  819  mots
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Rebondissement dans le dossier de la vente des actifs de SeaFrance: un conseil d'administration de la SNCF est convoqué en urgence ce lundi 11 juin pour acter un abandon de créances très important de la SNCF. Cette opération permettrait à Eurotunnel d'acheter les navires de SeaFrance et à la SCOP d'ancien salariés de SeaFrance d'exploiter ces navires.

Les 18 administrateurs de la SNCF, maison-mère de la compagnie SeaFrance liquidée en janvier 2012 avec 800 salariés en France, ont été convoqués en urgence à un conseil d'administration ce lundi 11 juin à 8 heures. Ordre du jour : « point sur la situation de SeaFrance »
Selon des sources concordantes proches du dossier, le conseil d'administration  de la SNCF va être sollicité pour acter un abandon de créances très significatif de la SNCF, de l'ordre de 180 millions d'euros, qui comprend l'aide au sauvetage de 70 millions d'euros. Cette aide avait été acceptée par Bruxelles sous réserve d'un remboursement ultérieur de la part de SeaFrance à la SNCF.

Rebondissement de dernière heure

Il s'agit d'un rebondissement de dernière heure dans le dossier de la vente des navires de SeaFrance. Le scénario d'une vente aux enchères publiques des navires tenait en effet la corde jusqu'à la semaine dernière, l'appel d'offres du mois de mai relatif à la vente des actifs de SeaFrance s'étant soldé par des prix d'achat des navires très insuffisants pour couvrir les créances, dont celles de la SNCF. Le prix maximum avait été proposé par Eurotunnel, exploitant du lien fixe transmanche, coté en Bourse, qui, en proposant 65 millions d'euros pour le Rodin, le Berlioz et le Nord Pas de Calais, avait devancé d'un chouia l'offre concurrente de l'alliance franco-danoise Louis-Dreyfus Armateurs/DFDS. Alliance qui s'est lancée il y a trois mois, après la liquidation de SeaFrance, dans l'exploitation d'une ligne sur Calais-Douvres et emploie aujourd'hui plus de 300 salariés, majoritairement d'anciens de SeaFrance.

Eurotunnel devrait confier l'exploitation des navires à la SCOP

Une fois acquise la délibération favorable du conseil administration de la SNCF, le juge-commissaire devrait déclarer Eurotunnel bénéficiaire de l'appel d'offres du mois de mai et organiser la transaction pour l'achat des navires pour un montant de 65 millions d'euros. Une fois les navires acquis - des navires très manoeuvrants parfaitement adaptés au Détroit du Pas de Calais -, Eurotunnel devrait confier l'exploitation des navires à la SCOP, société coopérative constituée d'anciens de SeaFrance. Pour mémoire, les sociétaires de la SCOP, majoritairement adhérents au syndicat maritime nord - radié de la CFDT en mars 2012 - bénéficient d'une aide supra-légale de 25.000 euros promise par Nicolas Sarkzoy début 2012, aide destinée aux ex-salariés de SeaFrance investissant dans la SCOP ou dans une entreprise du Calaisis.

Le conseil d'administration devrait être animé

Le conseil d'administration de ce lundi matin devrait être animé, une partie des administrateurs se sentant très mal à l'aise vis-à-vis du projet de délibération qui va leur être soumis. Selon plusieurs avis recueillis par latribune.fr, il « s'agit clairement d'une man?uvre politique d'entre deux tours, dont l'objectif est de faire plaisir aux tenants du projet de SCOP ». La nouvelle devrait aller droit au c?ur de Jacky Hénin, candidat communiste à Calais, dont le suppléant, Sébastien Coté, est un ancien syndicaliste CFDT-SeaFrance. Dans un tract distribué à Calais dans la nuit de vendredi à samedi 9 juin, que La Tribune s'est procuré, Jacky Hénin qualifie « d'ignoble » le « comportement de la direction de la SNCF » et « remercie publiquement le groupe Eurotunnel et particulièrement son PDG Jacques Gounon de l'implication positive qu'ils auront eu dans ce dossier ».


Les administrateurs de la SNCF voteront-ils en faveur d'une opération qui ne va pas dans le sens des intérêts de la SNCF ni de ses salariés ? Le vote favorable semble acquis du fait du poids des représentants de l'Etat dans le CA qui compte 7 représentants de l'Etat, 5 personnalités qualifiées et 6 représentants de salariés.

Ses concurrents ne se laisseront pas faire

Si Eurotunnel se retrouve propriétaire des navires de SeaFrance, ses concurrents ne se laisseront pas faire. Le britannique P&O qui exploite six ferries - dont deux géants tout neufs - sur Calais/Douvres s'est dit prêt à attaquer Eurotunnel à Bruxelles pour « abus de position dominante » si Eurotunnel mettait son projet à exécution. On peut supposer que Louis-Dreyfus/DFDS fera de même.


Ce rebondissement dans le dossier des actifs de SeaFrance surprendra plus d'un observateur. Il y a deux semaines, le nouveau ministre socialiste des transports Frederic Cuvillier avait déclaré à notre confrère Le Marin qu'il ne fallait « ni déstabiliser le marché, ni prendre le risque de se retrouver avec un nouveau SeaFrance dans deux ans. Rien ne serait pire pour la cause de l'économie sociale et solidaire (allusion au modèle de SCOP, Ndlr) qu'une reprise qui ne se trouve pas, au final, être durable ni pérenne". Comme il n'y a pas la place, en termes de marché, pour trois opérateurs maritimes entre Calais et Douvres, un opérateur devrait être sacrifié à terme. La bataille navale et judiciaire ne fait que commencer.