En Allemagne, l'énergie verte est une affaire de citoyens

Par Pauline Houédé  |   |  916  mots
Les coopératives d'énergie plébiscitent le photovoltaïque, beaucoup plus facile à installer sur un toit qu'une éolienne dans le jardin. / DR
Le nombre de coopératives d'énergie ne cesse de progresser outre-Rhin. Les citoyens allemands s'y rassemblent pour investir localement dans la production d'énergie renouvelable. À partir du 1er janvier 2014, ils seront tenus de vendre directement ou de consommer 10 % de leur production.

Exit le monopole des opérateurs d'énergie. En Allemagne, une loi permet aux citoyens de produire eux-mêmes des énergies vertes. Un instrument auquel les particuliers ont volontiers recours en collectivité : le nombre des coopératives dans le secteur des énergies renouvelables explose outre-Rhin. Le pays en compte à ce jour environ 730, avec 150 créations rien qu'en 2012, contre seulement 8 en 2006. Panneaux solaires, éoliennes, centrales de biogaz...

Ces coopératives composées à 90 % de particuliers ont ainsi investi au total 1,2 milliard d'euros dans les énergies propres, souvent soutenues par le solide réseau de banques coopératives du pays. Pour une production totale de 580 000 MWh, soit la consommation moyenne annuelle d'environ 100 000 foyers.

À Leipzig, Matthias Pietsch recrute. Ce physicien de 31 ans a déjà rassemblé autour de lui 28 membres et espère fonder, d'ici à la fin de l'année, sa coopérative dans cette ville de l'est de l'Allemagne. La raison de cet engouement ?

« L'envie de prendre part de façon active au tournant énergétique », résume-t-il, alors que Berlin, qui a définitivement décidé sa sortie de l'atome après la catastrophe de Fukushima de mars 2011, ambitionne de produire son électricité à 80 % à partir d'énergies renouvelables d'ici à 2050.

Autre forte motivation : maintenir la valeur ajoutée issue de la production d'énergie dans la région. La coopérative répond parfaitement à l'ambition d'une production d'énergie décentralisée fixée dans le cadre de l'Energiewende (« transition énergétique »).

« Ce succès s'explique par la forte envie des citoyens d'investir collectivement dans leur région, même parfois avec des contributions modestes de quelques centaines d'euros », confirme Andreas Wieg, de la fédération allemande des coopératives (DGRV).

Les participations, qui s'élèvent en moyenne à 3 000 euros, sont parfois possibles dès 10 euros.

Des tarifs d'achat fixés par l'Etat et garantis

Au coeur du développement des coopératives : une loi qui permet aux citoyens de se lancer dans la production d'énergies renouvelables et oblige les exploitants du réseau à la leur racheter à un prix défini par la loi et garanti sur vingt ans. Le tout est financé par une taxe (EEG Umlage) supportée par l'ensemble des consommateurs.

La formule séduit les sociétaires : « Le calcul est facile à faire et le risque est maîtrisé », explique Anita Elpers, codirigeante d'une petite coopérative de la ville de Potsdam, à côté de Berlin. La structure s'est lancée dès 2008, avec neuf personnes, en installant des panneaux solaires sur le toit d'une école de Potsdam. Elle compte aujourd'hui 90 membres et ses modules ont investi les toitures du centre de police et d'un garage pour une production totale de 250 000 kWh par an.

« C'est un succès », se félicite la jeune femme, qui travaille parallèlement dans le secteur informatique. « Tout fonctionne comme prévu, nos revenus nous permettent de rembourser nos crédits. »

Si la petite coopérative hésite cependant à grandir, c'est surtout pour des questions logistiques.

« J'y consacre mon temps libre et perçois de petits honoraires, mais pas de salaire. Nous nous réunissons encore dans mon salon. Nous hésitons à sauter le pas et à continuer à nous développer. »

Comme à Potsdam, plus de 90 % des coopératives d'énergie se cantonnent pour l'instant au photovoltaïque, l'option la plus facile à mettre en œuvre techniquement, alors que l'éolien demande de plus gros investissements et nécessite un long travail préparatoire et des études environnementales coûteuses.

Andreas Wieg met en avant les « possibilités illimitées » des coopératives, notamment dans l'exploitation « très largement insuffisante » du biogaz dans les systèmes de chauffage ou encore dans le domaine de l'efficacité énergétique des bâtiments.

Face au coût de cette énergie verte subventionnée, qui alourdit la facture énergétique du pays (20 milliards d'euros par an), le gouvernement hésite cependant sur la marche à suivre. Les tarifs d'achat de l'énergie solaire fixés par l'État, qui baissent déjà régulièrement, devraient continuer de reculer. De quoi effrayer les coopératives ?

« Malgré les conditions défavorables, leur nombre continue de grimper, répond Andreas Wieg. Pour les sociétaires, il s'agit davantage de participer à la transition énergétique que de recevoir un dividende. »

Les dividendes perçus par les sociétaires sont d'ailleurs relativement modestes, autour de 4% en moyenne.

Le défi de l'intégration au marché

Berlin cherche également à intégrer les énergies vertes au marché et a déjà modifié les règles du jeu : à partir du 1er janvier 2014, les producteurs d'énergie photovoltaïque seront obligés de consommer ou de vendre directement 10 % de la production issue de leurs installations de taille moyenne les plus récentes.

Or, s'il est facile d'installer des panneaux solaires sur un toit, il en va autrement de la revente de son énergie dans un marché complexe dominé par les grands groupes. La coopérative d'Odenwald, près de Francfort-sur-le-Main, qui compte plus de 2 000 membres, a engagé une entreprise spécialisée pour vendre son énergie. Pour les petites structures, c'est une autre paire de manches.

« Ça nous complique la tâche, c'est beaucoup de travail », souligne Anita Elpers, à Potsdam. Ce début d'intégration au marché constitue bien « un défi » pour les coopératives qui ont besoin d'acquérir un savoir-faire juridique et commercial, souligne Andreas Wieg. Mais il s'agit bien d'« un pas dans la bonne direction, se réjouit-il. Dans l'idéal, les coopératives devraient directement fournir leurs membres en énergie ».