Pascal Salin : "un monde endetté est un monde collectiviste"

Par Propos recueillis par Eric Benhamou et Robert Jules  |   |  876  mots
L'économiste Pascal Salin réfute l'idée d'une faillite de la pensée libérale car, selon lui, "le libéralisme n'a, en fait, jamais été appliqué".

La crise a clairement mis en accusation les défenseurs du libéralisme. Peut-on parler d'une faillite de la pensée libérale comme celle du communisme lors de la chute du mur de Berlin ?
La crise et la chute du mur ont ceci en commun d'être le résultat d'une cristallisation soudaine d'une situation incohérente. Mais à la grande différence du communisme, le libéralisme n'a jamais été appliqué. La pensée libérale, qui a effectivement connu un certain succès à partir des années 1980, a finalement toujours été contrariée par les contraintes de la politique et la volonté toujours affirmée des Etats à contrôler l'économie. Peut-on en effet parler de libéralisme dans un pays où les dépenses publiques représentent la moitié de la richesse nationale ? L'origine de cette crise n'est pas à rechercher dans les lois du marché mais plutôt dans l'interventionnisme étatique croissant qui empêche le marché de fonctionner correctement.

De ce point de vue, la situation de la France est exemplaire. Alors qu'aux XVIIIéme et XIXème siècles, les grands penseurs libéraux étaient français, on assiste ensuite à un changement, avec l'alliance entre le positivisme et le politique qui s'est imposée notamment par la formation d'élites sorties des grandes écoles. Dès lors, on applique à la compréhension de la société et des individus une méthode inspirée des sciences physiques et naturelles et l'on forme des "ingénieurs sociaux" pour décider à la place des individus. Cela débouche sur un scientisme qui permet au pouvoir étatique d'accroître ses pouvoirs sur les individus, ce qu'il a fait continuellement dans le passé.

Le libéralisme, qui fait primer l'individu sur le collectif, ne serait-il pas une utopie ?
C'est une utopie réaliste, pas un angélisme. Evidemment, le système libéral parfait ne peut exister car il doit sans cesse faire face au conflit majeur, dans toute société, entre l'exercice de la liberté et l'exercice de la contrainte. Mais la pensée libérale, en particulier celle issue de l'école "autrichienne" (Mises, Hayek, Rothbard, etc.), est fondée sur une méthodologie et un raisonnement cohérents qui correspondent à la réalité du comportement humain. Elle est donc réaliste. Il n'y a de responsabilité qu'individuelle, car seuls les individus agissent. Même si une demande d'intervention de l'Etat existera toujours, le principe de responsabilité doit primer sur le principe de protection, ce qui passe d'ailleurs par l'éducation. Ce qui pose aussi un problème dans une société où l'éducation est un monopole de l'Etat.

Selon vous, la crise s'explique avant tout par la politique monétaire expansionniste de la Réserve Fédérale.
Cette crise a été soudaine mais... tellement prévisible. Les économistes de l'Ecole autrichienne du cycle ont parfaitement décrit les mécanismes et les conséquences d'une telle politique de manipulation des taux d'intérêt. Le contrôle des prix est toujours destructeur. C'est en particulier vrai du contrôle du taux d'intérêt qui a le rôle essentiel d'être le prix du temps ! Il n'y a d'ailleurs jamais eu autant d'inflation et d'instabilité monétaire que depuis l'époque où les Etats ont pris le contrôle de la création monétaire. Or, la création de monnaie ne fait que créer une illusion de richesse, très commode à court terme, mais qui provoque plus tard des bulles spéculatives. Toutes les dispositions institutionnelles visant à la stabilité des monnaies ne sont que des chiffons de papier pour les autorités monétaires. La seule solution pour retrouver une certaine stabilité et éviter ces manipulations serait d'ôter aux Etats tout pouvoir monétaire et de le rendre à des acteurs privés et responsables, liés par des engagements contractuels. Malheureusement, ce n'est pas cette direction que l'on emprunte.

Pour vous, les banques centrales forment une sorte de cartel ?
J'ai toujours été frappé par la volonté des Etats de lutter contre les cartels privés alors qu'ils se constituent eux-mêmes en cartels pour conforter et étendre leur pouvoir. Ainsi, les banques centrales et les pouvoirs publics essaient de se constituer en cartels qui imposent leurs décisions à tous les acteurs privés. La cartellisation des pouvoirs étatiques se dissimule derrière le masque de la coopération internationale, comme l'ont montré les G8 ou G20.

Quels peuvent être les remèdes à la crise ?
La priorité serait de reconstituer, par une réforme fiscale radicale, une épargne volontaire et abondante qui permette de financer les fonds propres des entreprises. Toutes nos économies souffrent d'un déficit chronique de fonds propres. Il faut redonner le goût du risque, dans un environnement fiscal et réglementaire sécurisant, aux épargnants et aux entrepreneurs et promouvoir enfin un capitalisme responsable sur ses propres deniers. Nous glissons malheureusement de plus en plus vers des économies de dette (souvent d'origine monétaire), qui semblent attrayantes à court terme, mais qui sont profondément déresponsabilisantes. Finalement, un monde endetté est un monde fondamentalement collectiviste, puisque la discipline de la responsabilité - impliquée par l'existence de fonds propres - disparaît.