Le nucléaire européen va-t-il être relancé par la finance verte ?

Par Didier Julienne  |   |  818  mots
Vue du tunnel sur le site souterrain de Bure (France) où est mené le projet Cigeo sur le stockage de déchets radioactifs sous la responsabilité de Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). (Crédits : Reuters)
CHRONIQUE. L'Europe a décidé d'inclure le nucléaire parmi les énergies non carbonées pouvant prétendre à des investissements verts. Cette décision est d'autant plus importante que, grâce au progrès technologique, cette énergie pourrait être produite à partir des déchets nucléaires qui sont en abondance. Ce qui pose la question de la relance de la filière française. Par Didier Julienne, spécialiste des marchés des matières premières (*).

L'accord européen sur la taxonomie des activités économiques vertes inclus le nucléaire dans les énergies non carbonées susceptibles d'être financées par des investissements verts, dans le but que l'Europe atteigne la neutralité climatique d'ici à 2050. C'est intéressant dans la perspective de la transformation des déchets nucléaires en un nouveau carburant et pour plusieurs milliers d'années.

Revenons en arrière une minute. À la suite du tsunami qui frappa Fukushima, les 37 réacteurs japonais furent mis sous cocon. Depuis, 9 ont redémarré et 17 demandent à rediverger, deux ont été construits. L'Allemagne et la Belgique se sont engagées vers des fermetures définitives de centrales nucléaires La France, la Russie ou les États-Unis en ferment quelques-unes, mais en construisent de nouvelles, la Chine ajoute 12 réacteurs à ses 47 déjà opérationnels. Au total, la planète en compte 443 qui produisent 10 % de l'électricité mondiale.

Le Kazakhstan produit plus de 40 % de l'uranium mondial

La production minière d'uranium a progressé jusqu'en 2016, elle a baissé depuis d'environ 15 % pour s'adapter à l'affaissement de la demande. L'exploitation minière à faible impact environnemental par la technologie de lixiviation in situ permet de produire plus de 55 % des volumes mondiaux.

Le premier producteur mondial est le kazakh Kazatomprom, le français Orano vient en deuxième et le canadien Caméco en troisième. Par pays, le Kazakhstan produit plus de 40 % de l'uranium mondial, suivi du Canada, de l'Australie, de la Namibie, de la Russie et du Niger. Chacun approvisionne les trois grands consommateurs que sont les États-Unis, la France et la Chine. Bien que sa distribution profuse et son marché banal, voire ennuyeux, soient la garantie pour les consommateurs d'uranium d'une énergie peu onéreuse, ces derniers ont constitué des stocks de matière parce qu'elle est stratégique pour leurs politiques énergétiques.

Les prix de l'uranium au plus bas

Chacun le constate, comparé au pétrole, au gaz ou au charbon, le marché de l'uranium est très simple, nous sommes très loin d'un pic géologique de production et il y a peu de risque de pénurie, les acteurs sont peu nombreux, tous plus moins reliés à leurs propres Etats et à des organisations supra nationales en charge de tracer la matière et de contrôler les surplus. Les échanges sont donc d'autant plus matures que les investisseurs ont peu de produits structurés pour lier leur risque. En conséquence d'un marché imbelle, les prix sont au plus bas, 25 dollars la livre sur le marché spot et 32 dollars à long terme.

Portons nous à présent vers l'avenir du nucléaire. L'un des aspects sexy est le traitement des déchets de combustion. En fonction du prix de l'enrichissement et de celui de l'uranium, un réacteur classique brûle entre 1% à 5 % de sa charge. En fin de cycle, le solde est stocké sous forme de déchets à recycler. Cette réserve est immense. En effet, si toutes les ressources mondiales d'uranium naturel contenues dans la croûte terrestre, celles qui sont consommées dans les réacteurs classiques, correspondent à une réserve électrique de 1, les ressources contenues dans nos déchets atomiques, ceux qui seront consommés dans les futurs réacteurs à neutrons rapides (RNR), représentent une réserve électrique de 100.

Les déchets, une réserve de plusieurs milliers d'années de consommation

Cette réserve qui est donc équivalente à plusieurs milliers d'années de notre consommation électrique n'est pas au fond d'une mine, mais disponible sur étagère pour être transformée en électricité. C'est pourquoi les pays qui choisiront de consommer ces déchets s'épargneront l'extraction et la consommation d'uranium naturel pendant une période de plusieurs millénaires.

La Russie, la Chine, les États-Unis, le Japon et l'Inde développent sous diverses variantes cette filière RNR. Lorsque l'on parle énergie et industrie dans ces pays, on ne le fait pas en amateur. En France, il y a plusieurs années, alors que nous échangions paisiblement avec le directeur d'une ONG antinucléaire sur l'espoir du recyclage des déchets via les RNR, celui-ci m'exprima son effroi à l'égard de ma formule : « économie circulaire du nucléaire ». Il fallait comprendre la logique de sa situation : une économie circulaire du nucléaire éliminant les déchets en produisant de l'électricité, tout en réduisant la dépendance à l'uranium minier anéantissait la raison d'être de son organisation.

De fait, récemment, le programme de recherche français des RNR, Astrid, était abandonné. Les investissements verts de l'Europe nous permettront-ils de financer un vaste programme de recherche européen pour le remplacer, ou bien plus tard nous faudra-t-il acheter cette technologie auprès de la Chine, des États-Unis, de la Russie, du Japon ou bien de l'Inde ?

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux.