Maroc et Algérie condamnés à construire ensemble l'intégration de l'Afrique Occidentale

Par Abdelmalek Alaoui  |   |  900  mots
Abdelmalek Alaoui, CEO de Guepard Conseil
S'il convient de se féliciter de la création toute récente de la Zone tripartite de libre-échange (TFTA), celle-ci n'en souligne pas moins, en creux, les profondes lignes de fracture qui traversent l'Afrique. Elle met aussi en évidence que l'Algérie et le Maroc sont « condamnés à s'entendre et à construire l'intégration régionale de l'Afrique Occidentale ». Une analyse prospective de Abdelmalek Alaoui, consultant et auteur, spécialiste de l'Afrique, CEO de Guepard Conseil et Advisor auprès du comité exécutif de Mazars Group.

Les verticales africaines, entre volonté d'intégration économique et fragmentation politique

Continent le plus fragmenté au monde, l'Afrique a franchi un pas décisif en matière d'intégration économique régionale le 10 juin dernier, avec la signature à Charm El Sheikh d'un accord de libre-échange ouvrant la voie à un vaste marché commun unissant vingt-six pays, « du Caire au Cap ».

Cette toute nouvelle Zone tripartite de libre-échange (TFTA), qui a nécessité cinq années de négociations, est le fruit de la fusion de trois organisations régionales : la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), et le Marché commun des états d'Afrique australe et de l'Est (COMESA).

La Tripartite inclura près de la moitié des pays et de la population du continent, constituant la plus grande zone de libre-échange africaine jamais mise en place.

Si les grands promoteurs de l'accord - Afrique du Sud, Égypte, Éthiopie, Maurice - se sont unanimement réjouis de la conclusion positive de ce cycle de négociations commerciales, la signature de cet accord n'est toutefois pas sans soulever quelques questions quant à la dynamique globale de l'intégration régionale en Afrique.

En creux, la Tripartite souligne encore plus les profondes lignes de fracture qui traversent le continent. Avec la création d'une grande dorsale économique orientale à dominante anglophone, certains observateurs craignent en effet la résurgence d'une « logique de blocs » près de trente ans après la fin de la guerre froide.

Le risque d'une économie africaine à deux vitesses ?

Opposée à la façade atlantique et francophone de l'Afrique - qui souffre encore de fragmentation chronique - la nouvelle zone économique intégrée fait courir le risque de l'émergence d'une économie africaine à deux vitesses, avec toutes les tensions potentielles que cela implique. À l'Est, le mot d'ordre serait donc fluidité et libre circulation des hommes et des marchandises. À l'Ouest, si les barrières ne tombent qu'au compte-gouttes, elles pourraient générer un effet d'éviction des talents et des capitaux en faveur de la Tripartite.

De ce fait, le risque de survenance d'un « choc des verticales » orientales et occidentales n'est pas à éliminer, et son effet pourrait être dévastateur sur les timides tentatives d'intégration globale de l'Afrique.

Cette double pression retarderait d'autant toute initiative d'envergure visant à l'élimination progressive des barrières non tarifaires et du protectionnisme au sein de l'Afrique de l'Ouest. Le fait que la croissance économique soit soutenue en zone UEMOA - 6,5 % en 2015 - n'est pas de nature à arranger les choses, et contribue à freiner les velléités intégrationnistes des pays de la zone.

Or, au-delà des poncifs et des clichés qui voudraient que l'Afrique anglophone soit plus « efficace » commercialement que la zone francophone, le processus d'intégration rapide enclenché par l'Afrique de l'Est est d'abord issu de la conviction que la situation actuelle de fragmentation du continent constitue le plus grand frein à son développement sur le long terme.

Les vertus du pragmatisme ou l'exemple franco-allemand

La démarche visant à la création d'un marché commun fort de plus de 600 millions de consommateurs serait donc avant tout l'expression d'une forme de pragmatisme économique.

Certains pays, tels l'Afrique du Sud, affichent en effet clairement leur volonté de miser sur le marché africain régional afin de redonner du tonus à leur croissance et de se ménager des marges de manœuvre. Mais pas uniquement. En s'érigeant en championne de la région, l'Afrique du Sud retrouve également une position de leadership régional et peut créer des synergies positives avec ses voisins immédiats.

D'autres pays, comme Maurice, comptent sur cette vaste zone de libre-échange pour poursuivre leur offensive régionale en matière de financiarisation des Investissements directs étrangers (IDE) à travers un statut attractif pour les groupes internationaux désireux de se développer dans la zone.

Probablement inspirés par le couple franco-allemand - qui a réussi à dépasser sa mésentente structurelle pour construire l'Europe - les pays de la zone ont voulu montrer qu'au nom d'une prospérité future commune, les ennemis d'hier peuvent devenir les alliés d'aujourd'hui.

Accélérer leur intégration commerciale en Afrique du Nord et de l'Ouest

Reste à savoir comment le reste du continent réagira à cette nouvelle donne, car rien n'interdit une « émulsion positive », qui pourrait conduire les grandes économies de l'Afrique du Nord et de l'Ouest à trouver un terrain d'entente afin d'accélérer leur intégration commerciale.

Les stratégies du Maroc et de l'Algérie seront donc particulièrement intéressantes à examiner dans le futur, tant ces deux pays ont poursuivi des dynamiques fondamentalement différentes, dues en grande partie à leur rivalité historique et à leur projection de puissance sur le continent.

Condamnés à s'entendre et à construire l'intégration régionale de l'Afrique Occidentale, les pays moteurs de son économie sont donc à la croisée des chemins. Sauront-ils dépasser leurs divergences afin de contribuer à l'émergence d'une Afrique plus compétitive et mieux intégrée à l'économie mondiale ? Emprunteront-ils la voie tracée par les signataires de la Tripartite ?

Telles sont les deux questions fondamentales sur lesquelles ils seront appelés à se déterminer rapidement.

 ...

* Consultant et auteur, spécialiste de l'Afrique, Abdelmalek Alaoui est CEO de Guepard Conseil et Advisor auprès du comité exécutif de Mazars Group.

--

Retrouvez le sommaire EUROMED-AFRIQUE