La croix ("grecque") de Lagarde

Par Florence Autret  |   |  613  mots
Le 9 avril, Athènes a payé... Pour cette fois. Grattés au fond des tiroirs des caisses de retraite et des communes hellènes, diton, 460 395 576 euros. Le statut de créancier prioritaire du Fonds monétaire international est sauf. Mais le sujet est loin d'être clos.

Dans cette affaire se joue pour la vieille maison créée à Washington et sa directrice générale Christine Lagarde aussi quelque chose de plus que la simple survie économique de la Grèce : la prééminence euro-américaine au sein du Fonds monétaire international.

Retour en 2010

La négociation du premier plan grec fait grincer les dents. Non seulement à Bruxelles où Angela Merkel cherche désespérément une raison - l'ultime - l'autorisant à prêter à un pays membre de la zone euro. Mais de l'autre côté de l'Atlantique aussi, les choses n'allaient pas d'elles-mêmes.

À l'époque, Dominique Strauss-Kahn avait dû user de toute sa force de conviction pour forcer la main aux pays émergents qui répugnaient à prêter à cette minuscule économie appartenant au club des privilégiés européens. Les analyses de solvabilité remontées des services du FMI ne laissaient guère de doute : la Grèce avait une chance infime de retrouver le chemin de la solvabilité.

Or la doctrine du FMI est sans ambiguïté : il ne peut prêter qu'à condition d'avoir des chances maximales d'être remboursé, sans quoi une restructuration s'impose. Lors d'une réunion particulièrement tendue du conseil d'administration, en mai, l'administrateur brésilien ose s'opposer, exprimant le scepticisme de nombreux autres. Il est rabroué par Brasilia. Mais tout le monde sait qu'il a raison sur le fond.

L'exemption systémique

À l'époque, le prédécesseur de Christine Lagarde doit mettre les formes, tout comme Mme Merkel devant le Bundestag. Il crée de toutes pièces une « exemption systémique » qui ne pouvait être invoquée qu'à condition que le risque de contagion le justifie. L'exemption fut acceptée à l'époque, dans une certaine improvisation, comme on le reconnaît sans se faire prier à Washington. Mais elle est aujourd'hui contestée par les mêmes qui rechignèrent à aider la Grèce en 2010. Depuis avril 2014, une nouvelle doctrine de traitement du défaut souverain attend sur la table du conseil d'administration du Fonds.

Le but : réduire au maximum la possibilité d'invoquer l'exemption systémique, au bénéfice d'un remaniement des dettes. Les économistes du Fonds ont imaginé une option intermédiaire entre le prêt pur et simple et la restructuration en grand : un « reprofiling », autrement dit un réaménagement des échéances et des taux.

Le sujet sera débattu en marge de l'assemblée générale de printemps du FMI, qui se tient ce week-end à Washington. Sans surprise, les puissances économiques majeures, dont le secteur bancaire a le plus à perdre, ont été jusqu'à présent les plus réticentes à rogner sur cette facilité consistant à taper les réserves du Fonds au risque de ne pas voir l'argent y revenir. Mais les émergents, brésilien et asiatiques en tête, protestent. Il y a presque deux décennies, eux ont dû ployer sous des programmes draconiens au nom de la doctrine de la solvabilité.

Un défaut grec n'est plus exclus

D'ici au 24 avril, le gouvernement Tsipras doit conclure le bras de fer qui l'oppose depuis trois mois aux « institutions », ses créanciers publics. Si les négociations n'aboutissent pas, Bruxelles n'exclut pas d'introduire un contrôle des capitaux et une monnaie de substitution pour les échanges intérieurs. Un défaut grec dans les grandes largeurs ne serait alors plus exclu, créances du FMI comprises.

Ce qui se joue avec l'affaire grecque, c'est bien la pérennité de l'hégémonie européenne et américaine sur cette vieille maison créée il y a soixante-dix ans et de sa longue lignée d'administrateurs généraux européens.