Le monde est entré dans la bulle

Par Florence Autret  |   |  570  mots
Au-delà des opérations musclées menées à Verviers, Molenbeek et ailleurs, le pays bruisse de soupçons.
Une bulle.Une cage dorée. C'est comme cela que les insiders bruxellois, fonctionnaires, politiques, journalistes, lobbyistes appellent Bruxelles dans leurs moments de faiblesse... ou de lucidité. Ce sont aussi les noms que lui donnent les eurosceptiques pour fustiger une règle environnementale tatillonne ou des « diktats » budgétaires inappropriés. Avec quel effet ? À peu près aucun. Le petit peuple de l'« eurosphère » prospère.Si les lamentations ne cessent, les démissions sont rares. Quant aux critiques souverainistes, elles glissent comme une goutte d'eau sur le papier des directives, déplaçant tout juste une virgule ici ou là.

Drapée dans sa volonté de construire l'Europe, vibrante de sa vocation de paix et de prospérité, « Bruxelles » persiste dans son être d'usine à broyer des mots et du droit pour jeter un vernis de rationalité et de justice sur l'Union européenne.

Aucune critique, aucun accident de l'histoire, aucune élection nationale n'ont réussi à l'en détourner. Jusqu'à maintenant.

Maintenant, l'enveloppe s'est déchirée et de grandes brassées de peur y pénètrent, poussées par le vent des événements. Sur l'avenue Cortenbergh, où pullulent les drapeaux des ambassades et les plaques des cabinets de relations publiques et de représentations d'entreprises à quelques dizaines de mètres du Berlaymont, le siège de la Commission, les soldats de l'intégration européenne, dans leur uniforme à cravate et tailleur, jettent un oeil différent sur l'imposante mosquée logée dans un coin du parc du Cinquantenaire, où affluent le vendredi des centaines de musulmans bruxellois qui ont passé la longue robe des croyants sur leurs vêtements de ville. Ce qui n'était que différent et un peu mystérieux est en train de devenir étranger, voire inquiétant.

Pendant les quelques jours de l'espèce d'état d'urgence décrété par le gouvernement belge, après les attentats de Paris, les camions de l'armée stationnaient à côté des camionnettes Sabruma d'où s'échappe l'odeur caractéristique des gaufres, et de jeunes soldats frigorifiés observaient immobiles le ballet des vélos et des passants.

Reconstruire la juste distance

La plupart sont partis mais des militaires armés dont la tenue de camouflage tranche sur le gris des façades sont toujours postés devant tous les bâtiments officiels où les contrôles de sécurité avaient déjà été poussés à leur maximum depuis des années. Et les enfants garderont toujours le souvenir de ces jours de vacances forcées où l'école était fermée, le spectacle de « Micky le clown » annulé, en raison de ce que certains ont appelé hâtivement « une guerre ». La ville vit dans l'attente d'une répétition du 13 novembre sur le sol belge.

Et le quartier européen prend conscience qu'il se situe dans un pays faible, devenu depuis longtemps un foyer du terrorisme islamiste en Europe. Au-delà des opérations musclées menées à Verviers, Molenbeek et ailleurs, le pays bruisse de soupçons. Cette semaine, Liège redoutait d'être privée de la présence de l'ambassadrice américaine à l'inauguration d'une exposition intitulée « Glory and Gratitude », célébrant l'opération humanitaire lancée en 1914 par les Américains pour ravitailler en produits de première nécessité ses écoles primaires : un membre de la sécurité du musée figure sur une liste d'une douzaine d'agents municipaux (sur 6 000) soupçonnés de liens avec les réseaux terroristes.

Quand un premier attentat aura eu lieu lors d'un sommet européen, d'une session du Parlement ou aux abords de la Commission, la bulle sera définitivement percée.

Il faudra alors encore plus de courage et d'intelligence politiques pour reconstruire la juste distance entre, d'un côté, la réalité sociale, avec son lot de risques et de troubles, et d'autre part, une action politique qui vise le juste équilibre entre la préservation des libertés et le besoin de sécurité. Pour reconstruire la bulle, autrement.