Suicide politique au siège de la Commission européenne...

Par Florence Autret  |   |  708  mots
Le président de la Commission européenne, donné démissionnaire depuis des semaines, apparaît de plus en plus abattu et amer. Avec lui, c’est l’institution qu’il dirige qui est menacée de naufrage.

« Mon impression est que, si pendant des décennies, vous dites à votre opinion qu'il y a quelque chose qui ne marche pas avec l'Union européenne, vous ne devez pas être surpris que les gens (finalement) vous croient ».

Il est à peine minuit le 28 juin, jour du premier sommet « post-Brexit ». Le président de la Commission européenne a les traits tirés qu'on lui connaît depuis quelques mois. Il doit à la fois répondre des rumeurs persistantes sur sa démission, tantôt pour état de santé, tantôt pour cause de perte de confiance de Berlin, et des suites du vote sans appel des Britanniques. Il livre le même message que le matin même au Parlement où il est allé chercher un peu de soutien : la détestation de Bruxelles est la faute des gouvernements nationaux, de leur hypocrisie, de leur art du « Brussels bashing ». Des gouvernements, de la presse et des partis, explique quelques jours plus tard le commissaire Pierre Moscovici. Et de reconnaître au passage que le sien n'est pas exemplaire.

Amertume et aveu d'impuissance

On en est là. La lente marginalisation de la Commission européenne, commencée avec la crise grecque à laquelle il a été répondu par la création d'un fonds de 550 milliards d'euros sous le strict contrôle des gouvernements de la zone euro se poursuit. Le référendum britannique est une nouvelle épreuve à laquelle le « Berlaymont », siège de l'institution, répond par un mélange de déni et de mauvaise humeur qui laisse sans voix. Aussi bien la négociation avec le Royaume-Uni que la discussion sur l' « avenir de l'Europe », jugée plus urgente que jamais après ce vote sans appel, lui échappent.

Les négociations, tout d'abord. Il n'a pas fallu plus d'une semaine aux dirigeants nationaux pour déposséder Martin Selmayr, le tout puissant chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, de leur pilotage. La « task force Brexit » a été confiée à Didier Seeuws, un diplomate belge, ancien chef de cabinet du premier président du Conseil européen Herman van Rompuy, actuellement directeur au secrétariat général du Conseil. La Commission avait réussi à s'imposer comme le « go between » entre le Continent et Londres pendant l'avant-référendum. C'est un de ses hommes, le Britannique Jonathan Faull qui avait préparé le fameux « accord » de février pour un statut spécial du Royaume-Uni dans l'Union. C'était avant le 23 juin. À présent, le pouvoir va rester de l'autre côté de la rue de la loi, au Juste Lipse, la « maison » des ministres et des chefs d'État nationaux.

« Le référendum britannique n'est pas le moment de tout changer »

Quant à l' « avenir de l'Europe », on commencera à en parler le 15 septembre à ... Bratislava, lors d'un sommet extraordinaire des chefs d'État sous présidence slovaque. Quelle sera la voix de la Commission ? Quel sera son message ?

« Le référendum britannique n'est pas le moment de tout changer. On garde le même agenda. Ce sur quoi l'on doit avancer, c'est fournir des résultats » sur l'agenda numérique, l'union des marchés de capitaux, etc., explique une source haut placée à la Commission. Pas de quoi redorer le blason de Bruxelles, hélas.

« La Commission européenne est prise entre deux logiques : celle d'un gouvernement européen en devenir et celle d'un organe technique, antichambre de la Cour de justice. Cette tension a longtemps été fructueuse, pour elle et pour l'Union européenne, mais avec ce qui se passe, elle devient ingérable », explique Luuk van Middelaar, philosophe politique et ancien conseiller d'Herman van Rompuy au Conseil.

Jean-Claude Juncker, le "Spitzenkandidat" de la droite aux élections européennes, avait fait le pari de la politisation en calquant sa « grande coalition », appuyée par le Parlement, sur celle de la chancelière allemande. Il est en train de le perdre. Quant à l'autorité technique de son institution, elle est plus attaquée que jamais, par exemple sur l'application des règles du Pacte de stabilité, jugée trop « flexible » par certains. Le Luxembourgeois a raison : il est en partie victime du double jeu des États membres. Mais se contenter du constat est un peu court.