COP 27 : « Ton univers impitoyable »

Par Nicolas Ravailhe  |   |  1598  mots
« Si la France fait figure de bon élève en matière d'émissions de CO2 par habitant, c'est donc moins en raison de ses choix énergétiques en faveur du nucléaire que pour sa désindustrialisation massive » (Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique). (Crédits : DR)
Les pays européens les plus pollueurs en Europe (Luxembourg, Irlande, Pays-Bas et Allemagne) sont aussi les plus prospères. Ils ont tout intérêt à tenir un discours offensif sur le plan climatique à la condition qu'il soit totalement déconnecté de leurs intérêts, qui est une Europe première puissance commerciale au monde. Par Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique.

Toute ressemblance avec la série culte « Dallas » de la fin des années 70 est évidemment fortuite. De « Dallas », qui met en scène des magnats du pétrole texans dans leurs rivalités, on ne retiendra pas grand-chose sauf peut-être cette phrase du générique annonçant les coups bas d'un épisode, « Dallas, ton univers impitoyable ».

Guerre de l'information par détournement d'attention

La COP 27, comme les précédentes, témoigne aussi d'un univers impitoyable. Confrontés à une urgence climatique, les États, les territoires, les ONG, les multinationales, en ce compris dans le domaine des énergies fossiles, se sont livrés une guerre de l'information truffée d'invectives, d'accusations, de promesses d'action, de reniements, de trahisons... Que peut-on en retenir ? Pas grand-chose, non plus. Certes, il y a toujours lieu de se réjouir de la moindre avancée en matière d'action pour le climat, notamment en ce quoi concerne les « pertes et dommages » qui impactent les pays les moins riches.

Dans cette guerre de l'information, que dire du rôle de l'Union européenne ? Le concert de lamentations des représentants officiels et les dissensions entre États membres sur les questions énergétiques auront détourné l'attention des enjeux essentiels. Et, pour faire oublier ses propres turpitudes en l'espèce, rien de mieux que d'accuser les autres et de s'afficher en bon élève. Forte de sa stratégie « Fit for 55 » visant à réduire les émissions de 55 % avant 2030, l'Union européenne se positionne en leader et accuse les tiers, États-Unis et Chine en tête, de ne pas s'engager assez.

Une Europe si bon élève en matière de climat ?

La législation européenne est une des plus avancées en matière de climat, c'est un fait. Elle n'est pourtant pas sans contradiction. La taxonomie européenne a été pensée dans le but de protéger les choix allemands en faveur du gaz très polluant. Néanmoins, l'Europe est plutôt un bon et dynamique stratège sur le sujet.

https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/fit-for-55-the-eu-plan-for-a-green-transition/

Toutefois, les plus pollueurs en Europe, Luxembourg, Irlande, Pays-Bas et Allemagne, sont aussi les plus prospères. Ils ont donc tout intérêt à tenir un discours offensif sur le plan climatique à la condition qu'il soit totalement déconnecté des intérêts de « la poule aux œufs d'or » : une Europe première puissance commerciale au monde. Dans la guerre de l'information, il importe encore et toujours de détourner l'attention et si possible d'accuser les autres... de préférence sans effet réel et même si ce sont des complices, comme c'est le cas avec la Chine.

Une étude publiée par le Parlement européen « China's climate change policies : State of play ahead of COP27 » en apporte la démonstration en comparant l'UE et la Chine en matière d'impact sur le climat. La Chine est pointée dans ce document. Une manière pour l'UE de se donner bonne conscience, sans « fake news » et sans impacts concrets. Pourtant, le bilan carbone chinois n'est pas isolé tant le partenaire commercial « Chine » agit en complice de l'enrichissement des Pays-Bas et de l'Allemagne.

Cette étude présente une infographie très explicite. Toutefois, elle ne montre pas que des États membres de l'UE et la Chine ont des intérêts partagés, entre eux, et contre d'autres États membres de l'UE. Emmanuel Macron exclu de la visite du chancelier allemand en Chine en a encore fait récemment l'expérience.

https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2022/738186/EPRS_BRI(2022)738186_EN.pdf

Complicité des Pays-Bas et de l'Allemagne avec la Chine

Deux modèles économiques différents créent une convergence d'intérêts. Les Pays-Bas qui importent depuis la Chine pour revendre aux autres Européens ; l'Allemagne qui produit sur son sol ainsi qu'en Europe de l'est pour obtenir des excédents commerciaux avec « l'empire du milieu ».

Pour deux raisons opposées, protéger les importations comme les exportations, ces deux États aux manettes de l'UE, directement et par l'intermédiaire de la présidente et du 1er vice-président de la Commission européenne en charge du "Green deal », ont donc un intérêt commun : ne pas limiter les échanges commerciaux avec la Chine. Cela malgré le fait que la Chine est, en données relatives CO2 / habitant comme en volume un des plus grands pollueurs au monde. Bien entendu, il faut aussi ajouter à cette réalité la problématique du transport intercontinental de marchandises qui est peu écologique.

Les Pays-Bas ont le plus grand déficit commercial (Biens) des pays européens avec la Chine : -94 milliards d'euros en 2021. Ce n'est pas un problème pour eux étant donné que ce déficit est revendu via le marché intérieur européen aux autres États membres de l'UE. Ces importations contribuent à leur procurer plus de 226 milliards d'excédents commerciaux en Europe en 2021. Quant à l'Allemagne, elle est un des rares pays européens à obtenir un excédent commercial en Chine.

Outre les problèmes de pollution que cela engendre, ces pratiques constituent un des principaux facteurs de désindustrialisation de la France. Trop souvent englué dans des analyses géopolitiques obsolètes et une gouvernance de ses acteurs économiques qui regardent ailleurs, notre pays subit de plein fouet ces logiques économiques d'États européens avec la Chine. Le déficit économique de la France dans le marché intérieur inclut des importations chinoises via des États européens. Il est passé de -19 milliards d'euros en 2002 à -129 milliards en 2022. Avec la Chine notre déficit est de 16 milliards d'euros en 2021 (Biens / source Eurosat). Contrairement à d'autres États membres, la France - ses acteurs économiques - ne revendent pas avec une marge bénéficiaire ces importations.

Dans l'infographie du Parlement européen, si la France fait figure de bon élève en matière d'émissions de CO2 par habitant, c'est donc moins en raison de ses choix énergétiques en faveur du  nucléaire que pour sa désindustrialisation massive. La part de la consommation des ménages en France dans les émissions de CO2 a de surcroît augmenté, ce qui s'explique par nos importations.

Le discours de la France se voulant bonne élève, gardienne de l'héritage de la COP de Paris, porte donc dans le vide, en particulier la sur scène européenne. Surtout, notre pays néglige, par une pensée des enjeux trop globalisante, la bataille ouverte filière par filière, entreprise par entreprise autour de la législation / des normes et des fonds alloués à la lutte climatique.

la législation est la mère des batailles pour le climat

Longtemps considérée selon le titre de l'ouvrage de Zaki Laïdi « La norme sans la force », l'Union européenne pratique en réalité la force par la norme. L'Europe joue de sa puissance normative avec un temps d'avance pour mieux réguler les échanges commerciaux. Il ressort de cette pratique offensive une forme « protectionnisme intelligent ». La source est l'importance du marché intérieur qui permet ensuite à l'UE d'exercer sa puissance dans ses relations avec les pays tiers.

La matrice de l'UE sous contrôle germano-néerlandais consiste en l'augmentation des accords d'échanges commerciaux, le fonds de commerce de ces États via l'Europe. L'Union européenne dispose d'une compétence exclusive en la matière ; les États en sont individuellement dépossédés. La politique commerciale européenne a pour objectif de limiter les barrières de protection économique dans les pays tiers à l'Europe. Les accords conclus par l'UE suivront les intérêts des États les plus dynamiques afin de « booster » les intérêts de leurs filières économiques.

La prise en considération de critères environnementaux dans les accords conclus par l'UE constitue un atout de contrôle et de régulation des échanges, là où les entreprises de ces États européens sont en avance. Bien entendu, les temps changent. Les pays tiers ne sont pas dupes et ils tentent de réagir. La bataille normative prend désormais une tournure mondiale.

Puis, par un mécanisme identique à celui de l'achèvement du marché intérieur, les stratégies et le droit de l'UE sont toujours accompagnés de fonds européens afin d'optimiser au mieux l'exportation de modèles économiques. La mise en œuvre de Global Gateway, 300 milliards d'euros mobilisés par l'UE pour contrer « les routes de la soie » entre 2021 et 2027, intègre le climat et l'énergie au rang de ses priorités.

Pendant ce temps, dans l'ignorance et/ou dans le déni des stratégies européennes, la France s'apprécie comme une championne des exportations de matières premières. Loin de s'en inquiéter, bien des commentateurs continuent à s'en féliciter. Or à quoi bon exporter du bois, du blé ou du lait si nous les réimportons transformés, c'est-à-dire en abandonnant à des pays tiers la marge bénéficiaire de la transformation, les emplois qui vont avec, et le tout en générant un bilan carbone désastreux ?

Il est grand temps d'observer les modèles dominants en Europe, de les combattre efficacement et/ou de s'en s'inspirer. En matière de « Green deal européen », État, territoires, filières économiques et entreprises en France doivent travailler ensemble pour sécuriser des modèles économiques, à partir des innovations technologiques, des stratégies, de la législation, des normes et des financements de l'UE.